01/ PROCEDURE – EXPERTISE JUDICIAIRE – CARACTERE CONTRADICTOIRE (NON) – VIOLATION DE LA LOI – CASSATION
02/ DROIT FONCIER – IMPENSES – OCCUPANT – MISE EN VALEUR CONTINUE, PUBLIQUE ET PAISIBLE – OCCUPANT DE BONNE FOI (OUI) – REMBOURSEMENT
La COUR,
Vu les mémoires produits ;
Vu les conclusions écrites du Ministère Public en date du 08 février 1999 ;
Sur le Premier Moyen de Cassation, tiré du défaut de base légale résultant de l’absence, de l’insuffisance, de l’obscurité ou de la contrariété des motifs ;
Attendu que selon les énonciations de l’arrêt attaqué (Cour d’Appel d’Abidjan, 29 mars 1996), à la suite du déclassement en 1974 de la forêt de X dans la région d’X, le Chef dudit village, du nom de N, sollicita et obtint l’attribution de 50 hectares, dont il céda une portion de 2 ha 75 à sa cousine K, qui la céda à son tour à son fils A;
Qu’au décès de N, son fils aîné KO céda lui aussi une autre portion de la forêt de son père à A ;
Que les frères cadets du cédant, N’GUESSAN et ANON, déniant à leur frère le droit de transmettre une partie de ce qu’ils considéraient comme l’héritage de leur père, occupèrent la portion ainsi transmise à A qui les assigna devant le Tribunal Civil d’Adzopé en expulsion et en dommages-intérêts, sur la base de l’article 1382 du Code Civil, suite à la destruction de ses plantations ;
Que par jugement n° 75 du 05 avril 1991, il fut débouté de ses demandes, et cette décision a été confirmée par arrêt n° 76 du 22 janvier 1993 de la Cour d’Appel d’Abidjan ;
Que de nouveau, mais sur le fondement de l’article 555 du Code Civil, A assigna les mêmes adversaires devant la même juridiction d’Adzopé qui, par jugement n° 69 du 13 juin 1995, les condamna à payer à A la somme de 3.986.000 francs représentant la valeur de ses investissements évalués aux dires d’expert ;
Attendu qu’il est fait grief à la Cour d’Appel d’avoir, en confirmant ledit jugement, manqué de donner une base légale à sa décision par absence, insuffisance, obscurité ou contrariété des motifs, en ce qu’elle a repoussé l’exception de chose jugée attachée à l’arrêt du 22 janvier 1993 rejetant la demande de dommages-intérêts de A, alors que, selon le moyen, la demande première, bien que fondée sur les dispositions de l’article 1382 du Code Civil, avait la même cause que celle présentement évoquée sur la base de l’article 555 du même Code ;
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Mais attendu que contrairement aux énonciations du moyen, la demande première de condamnation à des dommages-intérêts, qui avait pour fondement juridique l’article 1382 du Code Civil, était différente de la demande présentement évoquée, ayant pour fondement juridique l’article 555 du même Code ;
Qu’il s’agit donc de causes distinctes, de sorte que l’arrêt du 22 janvier 1993 n’a pu acquérir l’autorité de la chose jugée à l’égard des parties au procès ;
Qu’au demeurant, le moyen ne précise pas en quoi la Cour d’Appel, en repoussant la prétendue exception de chose jugée, a manqué de donner une base légale à sa décision que ce moyen n’étant pas fondé, doit être rejeté ;
SUR LE DEUXIEME MOYEN DE CASSATION TIRE DE L’OMISSION DE STATUER
Attendu qu’il est également reproché à la Cour d’Appel d’avoir, omis de statuer sur le moyen tiré de ce que A n’ignorait pas que les parcelles qu’il avait mises en valeur constituaient des biens indivis et qu’il ne pouvait invoquer une prétendue bonne foi ;
Mais attendu que nulle part en cause d’Appel KOUASSI et ANON n’ont spécifié un tel moyen ;
Qu’ils ont en réalité sollicité l’irrecevabilité de l’appel, aux motifs que les autres héritiers n’ont pas été mis en cause, « s’agissant d’un bien indivis », ont-ils ajouté;
Que ce moyen n’est pas fondé et doit donc lui aussi être rejeté ;
SUR LE TROISIEME MOYEN DE CASSATION TIRE DE LA VIOLATION DE LA LOI, ERREUR DANS L’APPLICATION OU L’INTERPRETATION DE LA LOI, EN PARTICULIER
1ERE BRANCHE : DE L’ARTICLE 555 DU CODE CIVIL
Attendu que le pourvoi reproche à la Cour d’Appel d’avoir, en statuant comme elle l’a fait, violé l’article 555 du Code Civil, en ce qu’elle n’aurait « pas examiné en profondeur les prétentions du sieur A au sens de l’article 555 du Code Civil », alors que selon cette branche du moyen, le remboursement des impenses exige la bonne foi de l’occupant ;
Mais attendu que nul ne plaidant par procureur, il n’appartient pas aux auteurs du pourvoi d’affirmer que les prétentions de leur adversaire ont été mal examinées, affirmations du reste gratuite, puisque précisément, la Cour d’Appel a fait droit à la demande de A et a de ce fait reconnu qu’il était de bonne foi ;
Qu’en tout état de cause, il appartenait à KOUASSI et ANON de rapporter la preuve de la mauvaise foi de leur adversaire, se contentant d’affirmer, sans la moindre justification, que A ne pouvait ignorer que les parcelles mises en valeur par lui étaient des biens indivis, alors qu’il les a exploitées depuis près de huit ans, sans la moindre protestation de quiconque ; que cette branche du moyen n’étant pas fondée, doit être rejetée ;
Mais sur la deuxième branche du moyen
Attendu qu’aux termes de l’article 74 du Code de procédure Civile, Commerciale et Administrative:
« L’expert procède à ses opérations, les parties dûment appelées par lettres recommandées avec demande d’avis de réception,
« Il dresse un rapport écrit détaillé de ses opérations,
« Il mentionne la présence ou l’absence des parties et reproduit leurs déclarations
« Il expose son point de vue technique, en le motivant »
Vu ledit texte;
Attendu qu’il est reproché à la Cour d’Appel d’avoir, en confirmant le jugement de condamnation de KOUASSI et ANON à rembourser le montant des impenses réalisées par A, violé l’article 74 sus-visé, en ce qu’elle s’est fondée sur une expertise non contradictoire, donc nulle ;
Attendu en effet, que l’expert S…..n’a ni convoqué, ni a fortiori entendu les mises en cause KOUASSI et ANON ;
Que la Cour d’Appel qui ne s’est pas rendue compte que ce qu’elle considérait comme une expertise judiciaire n’avait pas respecté les dispositions de l’article 74 sus-visé, a violé ledit texte ; d’où il suit que cette branche du moyen est fondée ; qu’il y a lieu de casser et annuler l’arrêt attaqué et de statuer à nouveau par
Évocation, conformément aux dispositions de l’article 28 de la loi n° 97-243 du 25 avril 1997, portant Organisation, Attribution et Fonctionnement de la Cour Suprême ;
SUR L’EVOCATION
Attendu que A, qui a occupé et mis en valeur de façon continue, publique et paisible pendant huit ans les parcelles à lui cédées par KO sans la moindre protestation de quiconque, était de bonne foi, d’autant plus que rien n’indique qu’il savait que c’était des biens indivis ;
Que dès lors, les impenses qu’il a réalisées doivent lui être remboursées ;
Que sur ce point, des techniciens agricoles ont pu évaluer avec précision le contenu et la valeur des plantations faites par le sus-nommé, en particulier :
1°) des Agents du Service des Affaires Domaniales rurales d’Adzopé, commis par le Tribunal Civil d’Adzopé, qui ont procédé, en présence des parties et des témoins à des relevés topographiques ;
2°) Le sieur S…, Ingénieur des Eaux et Forêts et Expert Agricole qui, bien que non commis par la juridiction précitée, a procédé à une évaluation chiffrée des plantations faites sur les parcelles litigieuses ;
Qu’il résulte de ces éléments d’appréciation, incontestables (et au demeurant incontestés) que A a apporté aux dites parcelles une plus value de 3.986.000 francs ;
Qu’il y a lieu de condamner KOUASSI et ANON à lui rembourser cette somme ;
PAR CES MOTIFS :
Casse et annule l’arrêt n° 601 rendu le 29 mars 1996 par la Cour d’Appel d’Abidjan ;
Statuant à nouveau par évocation conformément aux dispositions de l’article 28 de la loi n° 97-243 du 25 avril 1997, portant Organisation, Attribution et Fonctionnement de la Cour Suprême, condamne KOUASSI et ANON à payer à A la somme de 3.986.000 francs à titre de remboursement d’impenses ; Laisse les dépens à la charge du Trésor Public ;
PRESIDENT : M. BAMBA L.