KAAR KAAS SONN (TCHADIEN)

Kaar Kaas Sonn est un Ovni.

Né au Tchad en 1973, il obtient une licence en droit avant d’entrer à l’ENA au Tchad, d’où il sort major.

A sa sortie, il travaille à la présidence de la République, mais l’écriture lui tient à cœur. Il publie un recueil de poèmes, un autre recueil de nouvelles… Mais comment faire entendre ces choses dans un pays où il n’y a pas de bibliothèque?

Kaar Kaas Sonn pense au Rap américain.

En tant que responsable, il préfère la force du verbe à celle des armes qui font la pluie et le beau temps au Tchad. « Je ne sais pas comment ni pourquoi j’ai survécu aux massacres », dit-il, lui qui a failli être tué en 1984. Il a dû son salut au fait qu’on l’avait déguisé en fille…

Mais le rap américain ne lui convient pas. Il met l’accent sur des textes de qualité. On lui doit de donner le goût du verbe aux jeunes du Tchad, lui qui a lu Rimbaud, Camus, Sartre, Nietzsche, Proust…

A l’entendre, on croirait à la réincarnation de Francis Bebey, pour l’écriture.

Ses compositions s’approchent de celles du Grand Manu Dibango. C’est un mélange de registres : la France pour la littérature et l’Afrique pour l’oralité !

Kaar Kaas Sonn narre de longues chroniques.

A l’instar griot, qui jure de tout raconter –la joie, la douleur, le bonheur, l’amour, la beauté, la laideur-, comme un slameur, sans emphase, d’un timbre égal et chaud. Quand il chante, sa voix est plus fragile, d’une fragilité qui se fait touchante parfois (“Yueng”).

Kaar Kaas Sonn revendique une filiation avec Brassens. Effectivement, on retrouve chez lui un goût pour l’effronterie salace, et pour la dénonciation des bassesses humaines. Kaar Kaas Sonn est un Ovni parce qu’il ose des paroles comme “la problématique des bases militaires françaises” ; parce qu’il est capable de parler de sexe sans détour, puis d’embrayer sur Montréal, la crise économique ou les prêtres pédophiles.

Au fur et à mesure se dessinent ses thèmes de prédilection : les femmes, la politique mondiale, l’Afrique.

Citoyen français, il n’épargne pas non plus les bonnes âmes occidentales. Kaar Kaas Sonn vit ici, mais a gardé ses yeux d’Africain, et nous rappelle ce qu’on oublie de voir chez nous.

Kaar Kaas Sonn est un Ovni aussi parce qu’il est prolixe : il s’étend sur 19 titres ! 19 titres, c’est un album photo qu’on peut ouvrir où l’on veut. Kaar Kaas Sonn propose et on dispose. On pioche et jaillissent de géniales pépites : des refrains marquants ou des bijoux d’ironie comme dans “Casse-toi pov’ con” ou dans cette berceuse moqueuse pour tyran d’Afrique.

Sur son second album, Kaar Kaas Sonn a fait des choix musicaux judicieux. Comment accompagner des textes qui s’écoutent avec attention ? Kaar Kaas Sonn a trouvé l’équilibre. L’Afrique entre en arrière-plan musical, avec de grands noms : guitares et contrebasse de ses amis Français Claude Renon et Nicolas Rastoul, percussions, chœurs, avec la chanteuse internationale camerounaise Flavy Bato, un écho de balafon et de kora, par Madou Diarra du Burkina Faso, et surtout un saxophone de Doro Dimanta –qui a joué avec les plus grands jazzmen-, qui élève le débat.

Comme tout Ovni, Kaar Kaas Sonn peut déranger, mais, comme tout Ovni, il peut se targuer d’avoir une identité qui fait la différence dans le brouhaha uniformisé de notre village global

Lorsque j’ai reçu le CD de Kaar Kaas Sonn, j’ai d’abord cru à un gag, mais quand j’ai lu les textes de ses chansons j’ai pris ce chanteur très au sérieux. D’abord pour sa maîtrise de notre langue de Molière, lui qui est né au Tchad, et par la profondeur de ses propos. J’avoue avoir été obligé d’utiliser mon dictionnaire pour connaître le sens de certains mots qu’il utilise.

Tanguant entre rap, slam et chanson, Flavien a su trouvé un équilibre pour nous parler de ce qui le préoccupe, de ses colères et de ce qu’il aime, avec une originalité peu courante. Le rythme de ses chansons est déjà dans la sonorité des mots et la cadence des phrases, mêlant la musique européenne avec l’oralité du palabre typiquement africaine au travers de laquelle l’on entend les percussions natales jouer en sourdine.

Ce chanteur évoque avec tendresse sa mère «Yueng» comme sa tristesse en constatant ce qui se passe dans le monde «Nous n’avons qu’une terre» ou bien sa colère face aux ecclésiastiques pédophiles «Pédo prêtre». Rien n’échappe à son propos, pas même l’égoïsme «Citoyen irréprochable» ou l’hypocrisie de la France qui accueille des tyrans «Pétition» et «Berceuse pour un tyran», ou les réparties assassines de notre président «Casse-toi pauv’con».

Flavien nous dit de son Afrique la misère «Taedium vitae». Tout chez lui respire l’humanisme et la révolte face aux injustices et au mépris qu’ont les puissants face aux faibles et aux démunis. C’est un griot des temps modernes qui utilise le verbe de manière non-violente, un conteur d’aujourd’hui qui colporte des nouvelles d’ici-bas pas toujours réjouissantes.

Continue mon frère à chanter ce que les hommes ne veulent pas voir dans leur miroir, tu as touché mon cœur et mon esprit, et pour cela je te dis merci, car nous sommes tous deux faits du même bois dont parlait le tonton Georges dont tu te réclames une certaine filiation.

Il est des individus qui entrent dans votre tête sans prévenir… sans frapper. En fait, il est irrésistible et le choc n’en est que plus important. Ce n’est pas un chanteur, c’est un poète. Sur une musique sobre, à la mélodie efficace et dépouillée, il dit ses poèmes comme on dégaine sa révolte… Et les mots restent. Le tour est joué. Bien joué…

Source : chansonrebelle.com