1 – Contrat de travail – Rupture – Mise à disposition ne comportant aucun élément pouvant situer le travailleur sur le travail à effectuer – Refus – Rupture imputable à l’employeur (oui).; 2 – Délégué du personnel – Licenciement Autorisation préalable de l’inspecteur du travail (non) – Licenciement irrégulier – Refus de réintégration – indemnité spéciale et supplémentaire (oui).; 3 – Contrat de travail – Rupture – Délivrance du certificat de travail (non)- Dommages – intérêts
LE TRIBUNAL
Vu les pièces du dossier ;
Vu l’échec de la tentative de conciliation ;
Ouï les parties en leurs demandes, fins et conclusions ;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi.
LE TRIBUNAL
Attendu que suivant requête écrite en date du 05 Juillet 2002, G.K.B., a fait citer par devant le Tribunal du travail de céans, la société AFR, prise en la personne de son Directeur Général D.G., aux fins d’obtenir, à défaut de conciliation ; le paiement des sommes suivantes :
2.364.116 F à titre d’indemnité de préavis ;
450.694 F à titre d’indemnité de congés payés ;
3.692.796 F à titre d’indemnité de licenciement ;
35.112 F à titre d’indemnité de gratification ;
1.588.000 F à titre des avantages attachés au poste ;
11.527.980 F à titre de l’indemnité spéciale pour les 10 ans ;
8.069.586 F à titre de l’indemnité supplémentaire pour les 7 ans ;
10.375.182 F à titre des dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
1.658.162 F à titre de dommages et intérêts pour la non-délivrance de la lettre de licenciement et du certificat de travail ;
Attendu que les parties n’ont pu se concilier, que la cause a été renvoyée à l’audience publique pour être statué sur le mérite de leurs prétentions ;
Attendu que G.K.B. expose au soutien de son action par le biais de son conseil Maître C…………………, Avocat à la cour, qu’il a été embauché par la Société AFR le 14 Juillet 1984, en qualité de comptable au service export ;
Que depuis, il est devenu délégué du personnel et a connu diverses fortunes au sein de l’entreprise ;
Qu’en Septembre 1996, il a été affecté à Agboville en qualité de chef d’agence avant de devenir, en Juillet 2001, le chef de cette zone ;
Qu’il y a eu ensuite divers malentendus entre lui et son employeur notamment l’affaire des travailleurs accusés de vol de sacs, celle de l’incident de l’effraction du portail de la Société AFR, agence d’Agboville, par les sieurs D.,G. et F., qui voulaient procéder nuitamment à des contrôles sur des documents comptables tenus sous sa responsabilité et enfin le licenciement de son aide comptable A.L., qui a refusé aux susnommés, venus faire un contrôle inopiné, l’accès à des documents comptables hors sa présence ;
Que c’est dans cette atmosphère de grande méfiance, qu’il a été muté le 27 Mars 2002 à Sikensi en qualité de superviseur de poste ;
Que bien que considérant cette mutation comme une rétrogradation, car de son poste de chef de zone, il avait autorité sur le chef de poste de Sikensi ;
Il a néanmoins accepté de faire la passation de charges pour attester de la transparence de sa gestion de sa zone ;
Que cependant, dès après cette passation de charges en date du 10 Avril 2002, il a adressé le 23 Avril 2002, un courrier à sa hiérarchie, pour lui signifier son refus d’intégrer le poste de Sikensi ;
Que de guerre lasse, il a finalement saisi le 24 Avril 2002 ; l’Inspection du travail, afin d’obtenir de son employeur, un départ négocié de l’entreprise ;
Que ce dernier s’étant enfin présenté chez l’Inspecteur du Travail après une deuxième convocation, a refusé d’entériner les accords amiables, obtenus chez l’Inspecteur du Travail, avant de lui proposer la somme de 200.000 contre une lettre de démission ;
Que suite à son refus de rédiger une telle lettre de licenciement, son employeur lui a adressé un courrier en date du 04 Juin 2002 l’informant de ce qu’il était mis à la disposition du siège en attendant une prochaine affectation ;
Qu’après son refus de signer cette lettre, chose que son employeur n’a jamais accepté, celui-ci est resté muet, lorsqu’il lui a adressé le 24 Juin 2003, une lettre de réintégration ;
Qu’il induit donc de ce silence et du fait qu’il n’a pas reçu, depuis bientôt deux mois, son salaire, que son employeur a cessé de le considérer comme un membre de son personnel ;
Attendu que pour résister à cette action, AFR expose, sous les conclusions de son conseil, maître L……., Avocat à la Cour, que depuis environ 3 ans, l’entreprise a noté une baisse de rendement au niveau de la zone d’Agboville alors dirigée par G. ;
Que ce rendement est passé de 1168 tonnes de colas achetés en 1995 à 142 tonnes en 2002 ;
Que de tels résultats, risquant de compromettre l’avenir des engagements commerciaux entre AFR et ses partenaires, surtout que Agboville est la zone phare de la société, il a fallu prendre des mesures de sauvegarde ;
Que pour cela, G. a été muté à Sikensi en qualité de superviseur de ce poste, qu’il rejoindra du reste sans problème après avoir normalement effectué la passation de charges ;
Que quelques moments après c’est avec surprise qu’elle apprenait que son employé refuse ce poste motif pris de ce que son affectation à Sikensi, constituait pour lui une rétrogradation ;
Que malgré un tel abandon manifesté de son poste, AFR a dans sa magnanimité, accepté le 04 Juin 2002 de lui proposer une mise à disposition du siège ;
Que ce refus qui en réalité se confond avec une insubordination du travailleur, s’explique en vérité, par le fait que ce dernier était en train de constituer avec certains anciens employés de AFR, une société à elle concurrente dénommée A. ;
Que c’est toutes ces manouvres qui ont conduit à la rupture du lien contractuel qu’il faut imputer au travailleur ;
Qu’en conséquence AFR demande reconventionnellement au Tribunal d’imputer la rupture du contrat de travail à ce dernier et de le condamner à lui payer les sommes de 2.293.892 F à titre d’indemnité de préavis et de 7.734.730 F à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail ;
Attendu que le Ministère Public sous ses écritures en date du 18 Janvier 2003, a conclu qu’il plaise au tribunal, déclarer l’action de G.B. recevable, bien fondée et de faire droit à ses demandes ;
DES MOTIFS SUR LE CARACTERE DE LA DECISION
Attendu que toutes les parties ont comparu et fait valoir leurs arguments ;
Qu’il échet de statuer contradictoirement à leur égard ;
SUR LA RECEVABILITE DE L’ACTION
Attendu que G.K.P. a introduit son action dans les forme et délai requis par la loi ;
Qu’il y a lieu de la déclarer recevable ; AU FOND
SUR LE MOMENT DE LA RUPTURE
Attendu qu’il est constant que G.K. a refusé, le 23 Avril 2002, d’intégrer son poste à Sikensi, alors qu’il avait bien avant cette date, accepté de faire la passation de charges à Agboville avec son successeur, motif pris de ce que sa mutation à ce poste constituait une rétrogradation ;
Que par courrier en date du 4 Juin 2002, AFR proposait à son employé, de le mettre à la disposition du siège en attendant une prochaine affectation ;
Attendu que AFR, dans cette lettre propose seulement au travailleur de se mettre à la disposition du siège, sans lui indiquer un poste de travail précis ;
Qu’en effet, la lettre invitait seulement le travailleur à se présenter au chef du personnel de l’entreprise qui prendrait seulement acte de sa mise à disposition du siège, sans toutefois lui indiquer son nouveau poste au sein du siège ;
Que cette lettre de mise à disposition du siège du travailleur qui ne l’affectait réellement à aucun poste au sein du siège, n’a pu valablement l’affecter au service comptable du siège, puisque cela n’apparaît en tout cas pas sur la lettre de mise à disposition datée du 04 Juin 2002 ; Encore moins sur une quelconque note de service ultérieure ;
Que le refus du travailleur de signer une telle lettre aussi confuse qu’imprécise marque inéluctablement le moment de la rupture du lien contractuel entre les deux parties ;
II – LA NATURE DE LA RUPTURE
Attendu qu’il n’est pas contesté que G.B. a refusé de signer la lettre de sa mise à disposition du siège du 04 Juin 2002 ;
Que si cet acte, marque le moment de la rupture du lien contractuel, c’est donc bien G. qui est à l’initiative de cette rupture ;
Que cependant, s’il est vrai que le travailleur est à l’initiative de la rupture, il est incontestable qu’elle ne lui est pas imputable ;
Qu’en effet la lettre de mise à disposition du siège qui lui a été présentée ne comportait aucun élément pouvant le situer sur le travail qu’il devait y effectuer, et donc ne le mettait pas en mesure d’exercer son droit d’accepter ou de refuser cette décision ;
Que dès lors il était en droit de refuser cette mise à disposition ;
Qu’étant donné que le contrat de travail a pris fin sur ces faits, la rupture ne peut qu’être imputable à la Société AF ;
SUR LA REGULARITE FORMELLE DE LA RUPTURE
Attendu que G.K. est un délégué du personnel et qu’en tant que tel, il fait partie de la catégorie des travailleurs protégés ;
Que c’est d’ailleurs pour cela que le code du travail, en son article 61-7, soumet le licenciement du délégué du personnel, à l’autorisation préalable de l’Inspecteur du travail et des lois sociales ;
Que faute donc pour l’employeur de se conformer à cette procédure, comme c’est le cas en l’espèce, le licenciement opéré, est entaché d’irrégularité ;
IV – SUR LE CARACTERE DU LICENCIEMENT
Attendu que le licenciement est intervenu à l’initiative de l’employé, suite à son refus d’accepter sa mise à disposition du siège de la société AFR ;
Que cette rupture est cependant imputable à l’employeur ;
Attendu cependant que l’employeur n’a pas agi dans l’intention de nuire à son employé ;
Qu’en effet lorsque celui-ci l’a saisi d’un courrier pour lui signifier son refus d’être maintenu à Sikensi, elle a cherché à rattraper sa décision en lui proposant une mise à disposition du siège sans affectation précise ;
Que si l’employé est fondé à refuser une telle mesure, il ne peut valablement prouver qu’elle avait des relents nuisibles ;
Que dès lors que l’intention de nuire ne peut être prouvée chez l’employeur, le licenciement bien qu’irrégulier, ne peut être qualifié d’abusif pour ouvrir droit à perception, de la part de l’employé, de dommages et intérêts ;
V- SUR LES INDEMNITES DE RUPTURE
I/ SUR L’INDEMNITE DE PREAVIS
Attendu que le travailleur licencié a une ancienneté de 17 ans 10 mois et 21 jours au sein de la société AFR ;
Que son licenciement intervenu sans préavis, ouvre droit, selon les dispositions de l’article 34 de la convention collective interprofessionnelle, à une indemnité compensatrice de préavis de 4 mois ;
Que le travailleur ayant un salaire de 573.473 francs par mois, il convient de condamner l’employeur à lui verser la somme de 2.293.892 francs à titre d’indemnité de préavis ;
2/ SUR L’INDEMNITE DE LICENCIEMENT
Attendu que le travailleur licencié réclame la somme de 3.692.796 francs à titre d’indemnité de licenciement ;
Que cette indemnité lui est effectivement due conformément aux dispositions de l’article 16-12 du code du travail ;
Attendu que ce montant correspond exactement à l’indemnité qui lui est due conformément à son ancienneté qui est de 17 ans, 10 mois et 21 jours passés au sein de l’entreprise ;
Qu’il échet dès lors de condamner l’employeur à lui verser la somme de 3.692.796 francs à titre d’indemnité de licenciement ;
3/ SUR LES INDEMNITES SPECIALES ET SUPPLEMENTAIRES PREVUES A L’ARTICLE 87 DE LA CONVENTION COLLECTIVE INTERPROFESSIONNNELLE
Attendu que G.B. réclame respectivement 11.527.980 francs à titre d’indemnité spéciale et 8.069. 586 francs à titre d’indemnité supplémentaire ;
Attendu que ces deux indemnités prévues par l’article 87 de la convention collective, sont dues au délégué du personnel licencié par l’employeur si celui-ci ne le réintègre pas, huit jours après la réception de la lettre de demande de réintégration ;
Que s’agissant de l’indemnité spéciale, elle est égale à la rémunération due pendant la période de suspension du contrat de travail ;
Que cette suspension, qui a couru du mois de Juillet 2002 à Mars 2003, a duré exactement 9 mois ;
Qu’en conséquence, l’indemnité spéciale due sur cette base est égale au salaire mensuel qui est de 573.473 multiplié par 9 mois, ce qui donne la somme de 5.161.257 francs ;
Que s’agissant en outre de l’indemnité supplémentaire qui est, suivant l’article 87 précité, de 2 mois de salaire par année de présence avec un maximum de 36 mois, lorsque le délégué du personnel compte plus de 10 ans d’ancienneté dans l’entreprise ;
Qu’il s’ensuit donc que G qui a passé 17 ans au sein d’AFR a droit à 34 mois de salaire au titre de l’indemnité supplémentaire ;
Mais attendu qu’il n’a réclamé qu’une indemnité supplémentaire de 7 ans soit 14 mois, qu’il y a donc lieu de lui verser 8.028.622 francs ;
VI – SUR LES DROITS ACQUIS I – SUR L’INDEMNITE DE CONGES PAYES
Attendu que G. réclame la somme de 450.694 francs à titre d’indemnité de congés-payés.
Que conformément aux articles 69 et 72 de la convention collective, il a droit à cette indemnité, calculée sur la base du temps passé dans l’entreprise depuis son dernier congé ;
Attendu que le montant de cette indemnité correspond effectivement à la somme réclamée par le travailleur qu’il échet en conséquence de condamner l’employeur à lui verser la somme de 450.694 francs à titre d’indemnité de congés payés ;
2 – SUR L’INDEMNITE DE GRATIFICATION
Attendu que le demandeur réclame 35.112 francs à titre de 5 mois de gratification ;
Que suivant l’article 53 de la convention collective, cette somme ne pourra pas être inférieure aux 3/4 du salaire minimum conventionnel de la catégorie professionnelle du travailleur et elle est calculée au prorata du temps de service effectué au cours de l’année pour laquelle elle est réclamée ;
Que ce montant réclamé est conforme à ce à quoi le travailleur pouvait effectivement prétendre ;
Qu’il y a lieu en conséquence de condamner l’employeur à lui verser la somme de 35.112 francs à titre de gratification sur 5 mois ;
3 – LES AVANTAGES ATTACHES AU POSTE
Attendu que le travailleur sollicite le paiement de la somme de 1.558.000 francs au titre des avantages attachés au poste ;
Que ces avantages, s’il est vrai qu’ils sont attachés au poste restent avant tout, accessoires du salaire ;
Que dès lors que le travailleur est licencié et qu’il n’a plus droit à ce salaire, alors et surtout qu’il ne réclame pas non plus d’arriérés de salaires ;
Qu’il y a donc lieu de dire le demandeur mal fondé en sa demande et l’en débouter ;
VII – SUR LES DOMMAGES ET INTERETS POUR LICENCIEMENT ABUSIF
Attendu que le travailleur sollicite le versement de la somme de 10.375.182 francs à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
Que s’il est vrai qu’aux termes de l’article 16-11 du code du travail, toute rupture abusive du contrat de travail, donne lieu à des dommages et intérêts ;
Que le licenciement présent, bien qu’intervenu au mépris de la procédure de licenciement du délégué du personnel telle que prévue par l’article 61-7 du code du travail, n’est en revanche pas abusif ;
Qu’en tant que tel, il n’ouvre pas droit au paiement de dommages et intérêts et qu’en conséquence, le travailleur doit être débouté sur ce chef ;
VIII – SUR LES DOMMAGES ET INTERETS POUR NON-DELIVRANCE DE LETTRE DE LICENCIEMENT ET DU CERTIFICAT DE TRAVAIL
Attendu que le travailleur sollicite le paiement de la somme de 1.152.798 francs pour la non-délivrance de la lettre de licenciement et du certificat du travail ;
Attendu que pour ce qui regarde la non remise d’une lettre de licenciement, cette omission n’ouvre pas droit à perception de dommage et intérêts au profit de l’employé ;
Qu’il échet dès lors, de le débouter de cette demande ; Attendu que s’agissant du certificat de travail sa remise doit être selon les prescriptions de l’article 16-14 du code du travail, automatique, dès la cessation des liens contractuels ;
Que l’employeur, bien qu’ayant constaté la cessation du contrat de travail le liant à G. et après en avoir tiré toutes les conséquences ne lui a cependant pas délivré un certificat de travail ;
Qu’il y a lieu en conséquence de la condamner à verser au travailleur la somme de 100.000 francs à titre de dommages et intérêts pour les non-délivrance du certificat de travail, la somme de 1.152.798 francs étant excessive ;
SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE AFR
Attendu que la rupture du contrat de travail intervenue est imputable à AFR ;
Que dès lors, ses demandes reconventionnelles en paiement de l’indemnité compensatrice de préavis et de dommages et intérêts pour licenciement abusif sont non fondées ;
Qu’il y a lieu en conséquence de l’en débouter ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière sociale et en premier ressort ;
Déclare le demandeur recevable en son action ;
L’y dit partiellement bien fondé ;
Dit que la rupture intervenue est imputable à l’employeur ;
Qu’il s’agit d’une rupture irrégulière mais non abusive ;
Qu’en conséquence, il y a lieu de condamner l’employeur à payer à G.K.B les sommes suivantes ;
2.393.829 Francs à titre d’indemnité de préavis ;
3.692.796 Francs à titre d’indemnité de licenciement ;
5.161.257 Francs à titre d’indemnité spéciale ;
8.028.622 Francs à titre d’indemnité supplémentaire ;
450.694 Francs à titre d’indemnité de congés payés ;
35.112 Francs à titre d’indemnité de gratification ;
100.000 francs pour non-délivrance de certificat de travail ; soit la somme totale de 19.862.310 francs (Dix neuf millions huit cents soixante deux mille trois cents dix francs CFA).
Déboute le demandeur du surplus de ses demandes ;
Déboute AFR de ses demandes reconventionnelles en paiement de l’indemnité compensatrice de préavis et de dommages et intérêts comme étant non fondées ;