AFFAIRE LANDRU

Curieuse histoire que celle d’un homme qui fût guillotiné pour avoir tué près de dix femmes sans que, jamais, aucun corps n’ait été retrouvé…

C’est celle d’Henri Desiré Landru, petit homme chauve à la longue barbe noire et au regard perçant, aujourd’hui connu pour être le premier tueur en série français. Surnommé « le Barbe Bleue de Gambais », il a fait de ses relations avec les femmes le berceau de son destin criminel.

Retour sur une enquête et un procès qui ont subjugué le tout Paris du XXème siècle.

LA NAISSANCE D’UN ESCROC

Né à Paris en 1869 d’un père chauffeur et d’une mère couturière en chambre, métier très répandu à l’époque pour les femmes, Henri Désiré Landru est en enfant choyé qui aura une enfance heureuse.

Après des études d’architecte, suivies sans grande conviction, il épouse sa cousine, Marie-Charlotte Rémy le 7 octobre 1893. Le couple aura quatre enfants. La paternité le pousse rapidement à prendre le chemin du travail. De cartographe à brocanteur en passant par comptable, Landru exercera différents métiers qui ne lui permettront toutefois pas de subvenir décemment aux besoins de sa famille.

C’est à partir de 1900 que Landru entame sa véritable carrière de petit escroc.

Rapidement condamné pour divers méfaits liés à ses activités qu’il dit professionnelles, il alternera entre des peines d’amende et des peines de prison dont il parvient à éviter l’entière exécution sur la base d’expertises de médecins aliénistes qui le déclarent dans « un état mental maladif, qui sans être de la folie, n’est plus du moins l’état normal ». En 1909, Landru est une nouvelle fois condamné pour avoir, cette fois, soutiré des titres financiers à une femme, Jeanne Isoret, qu’il aurait séduite par le biais d’une agence matrimoniale.

Cette affaire signe le commencement de ses rapports aux femmes, tristement célèbres. Son ultime escroquerie liée à l’achat et la revente d’un garage scellera définitivement son destin puisqu’il est condamné en 1914 à une peine de prison assortie d’une relégation au bagne de Guyane. Il parvient à prendre la fuite et est définitivement contraint de vivre caché.

LE BARBE BLEUE DE GAMBAIS

Le contexte économique et social de l’époque lié au commencement de la 1ère guerre mondiale, est propice à son nouveau mode de vie pour lequel il multiplie les identités au quotidien. Sous des noms différents, il se fait passer pour un veuf esseulé feignant la prospérité, qui n’est pourtant que façade. Il entreprend alors, par l’intermédiaire de petites annonces dans les journaux, de séduire des femmes seules, possédant quelques économies et leur promet à chacune le mariage.

« Monsieur sérieux, ayant petit capital, désire épouser veuve ou femme incomprise, entre 35 et 45 ans, bien sous tous rapports, situation en rapport. »

Adoptant plus de 90 pseudonymes, l’appât fonctionne et Landru fait la connaissance de près de 300 femmes.

Avec un soin plus que méticuleux, il rédige des lettres, dresse un fichier précis de chaque femme, notant aussi bien des détails physiques que la situation familiale et la fortune.

Lorsque les femmes lui semblent suffisamment intéressantes, il les invite à séjourner dans des pavillons de campagne isolés qu’il loue, d’abord à Vernouillet puis à Gambais, qui deviendra le lieu de villégiature de ses assassinats.

L’isolement y est doux pour les couples naissants et Landru le sait. Faisant fi de son physique peu attrayant, il sait se faire aimer. Charmeur et plein d’humour, il met peu de temps à mettre la main sur les économies de ces femmes.

En 1918, le maire de Gambais reçoit à quelques semaines d’intervalle deux lettres qui l’interpellent. La première est attribuée à Madame Pellat qui recherche Anne Collomb, installée à Gambais avec son fiancé, un certain Monsieur Fremyet. La seconde est envoyée par Mademoiselle Lacoste qui souhaite avoir des nouvelles de sa sœur, Célestine Buisson, laquelle serait également installée avec son compagnon, Monsieur Fremyet, dans une maison isolée du village de Gambais.

La similitude des deux histoires pousse le maire à mettre en contact les deux familles et à mener de son côté quelques recherches. Il parvient rapidement à identifier une maison isolée, qui serait en réalité celle d’un certain Monsieur Dupont dont on est sans nouvelle.

Ces éléments suffisent à ce qu’une enquête soit ouverte ; et elle le sera sous l’autorité du commissaire Dautel.

L’ENQUÊTE

A Gambais, les témoignages des villageois concordent tous. Ils connaissent bien ce petit homme chauve et barbu, coiffé d’un chapeau melon, qui arrive à chaque fois avec une femme différente et qui repart toujours seul.

Rapidement, les incohérences se multiplient et l’espoir de revoir ces femmes vivantes s’estompe. Les odeurs nauséabondes et la fumée noire qui s’échappent, hiver comme été, de la cheminée de la maison finissent de conforter les suspicions des inspecteurs.

Loin de la petite escroquerie, l’affaire semble prendre une tournure plus inquiétante. D’autres disparitions sont signalées. Les recherches se poursuivent, mais la multitude des identités du suspect nuit à l’avancée de l’enquête.

C’est en 1919 qu’un proche d’une des victimes pense reconnaître l’homme sortant d’un magasin rue de Rivoli à Paris. Les inspecteurs se rendent alors immédiatement sur place et obtiennent l’identité et l’adresse d’un certain Monsieur Guillet. Le 12 avril 1919, les enquêteurs passent les bracelets à un Landru fou de rage, sous les yeux de sa maitresse de l’époque Fernande Segret.

A son transfert à la brigade mobile, devant le commissaire Dautel, Landru ne lâchera rien, pas un mot, pas un aveu. Il ne donnera aucune explication sur les onze disparitions qu’on lui impute depuis 1915. Il semble, curieusement, avoir une connaissance affûtée de ses droits et réclame déjà un avocat.

Son axe de défense durant ses auditions, et c’est là que repose toute l’affaire Landru, est qu’on ne peut lui reprocher le meurtre de femmes dont les corps n’ont pas été retrouvés.

Les preuves ne tardent pourtant pas à apparaître. Les villas de Landru sont perquisitionnées. On y découvre des objets ayant appartenus aux femmes disparues tels que des morceaux de corsets et boutons ou des chaussures, mais également des restes d’ossements humains. Des montagnes de cendres sont réparties entre le hangar, la cheminée et la cuisinière.

Les papiers personnels de Landru sont également passés au peigne fin, et notamment son petit carnet noir, dont il tenta d’ailleurs de se débarrasser le jour de son arrestation. Véritable journal, il relate quotidiennement le déroulement des rencontres, des déplacements et des dépenses. Pas moins de 283 femmes sont répertoriées pour ce qui aurait pu se réduire à une vaste opération d’escroquerie au mariage. Mais l’inscription des noms des femmes disparues et les reçus de billets de train achetés par Landru pendant toutes ces années (un aller-retour et un aller simple) ne laissent plus aucun doute.

L’arrestation de Landru fait la Une de la presse de l’époque et l’affaire devient une attraction mondaine. Aux élections législatives de 1919, près de 4.000 bulletins de vote porteront le nom de Landru !

LE PROCÈS

Le procès s’ouvre le 7 novembre 1921 devant la Cour d’assises de Seine-et-Oise à Versailles. La presse s’empare des lieux. Les personnalités de l’époque (Mistinguett, Colette, Maurice Chevalier…) et toute l’aristocratie se bousculent pour apercevoir le « vilain barbu ». Assisté par Vincent de Moro Giafferi, dont les talents d’orateur ont fait de lui l’un des plus talentueux avocats du XXème siècle, Landru clame haut et fort qu’il est certes un escroc mais pas un assassin, encore moins un fou. A chaque question du président Gilbert, il ironise, il plaisante.

Souvent provocatrice, son éloquence est telle que Landru s’attire la sympathie du public. Mais les témoignages sont accablants et l’accusation évoque une à une les pièces à charge du dossier : le carnet noir, les reçus des billets de train et la fameuse cuisinière…Landru détourne chaque question en se contentant de répondre « ma vie privée ne regarde que moi ».

« Le président : Voyons Landru, toutes ces femmes…vos enfants ne disaient rien ? – Landru : Quand je donne un ordre à mes enfants, moi, monsieur le juge, ils obéissent. Ils ne cherchent pas le pourquoi ni le comment. Je me demande comment vous élevez les vôtres ! »

Quand la parole lui revient, Maître de Moro Giafferi défend avec talent son client. Il insiste sur le fait que l’accusation est vide, aucun corps n’ayant été retrouvé. Les hypothèses sont là mais les preuves manquent. Dans sa robe noire, il interpelle l’avocat général Godefroy : « Comment condamner aujourd’hui un homme pour le meurtre de 10 femmes et être demain dans l’impossibilité de délivrer un jugement déclaratif de décès aux familles faute d’avoir retrouvé un quelconque corps ? »

L’avocat va même plus loin, dans une scène désormais célèbre, en arguant qu’une des victimes prétendument morte aurait été retrouvée et qu’elle serait prête à apparaître.

Toute la salle, y compris les jurés, se seraient alors tournés vers la porte…démonstration que nul n’est certain de la culpabilité de Landru. Mais immédiatement, l’avocat général rétorque que seul Landru n’a pas détourné le regard.

Plaidoirie brillante mais pas suffisante pour sauver Landru qui est condamné à mort le 30 novembre 1921. Henri Landru est guillotiné le 25 février 1922 à la prison Saint-Pierre de Versailles à 6h05, après que son recours en grâce ait été rejeté par le président de la République, Alexandre Millerand.

A son avocat qui, au pied de l’échafaud, lui demandait si, finalement, il avouait avoir assassiné ces femmes, Landru répondit : « Cela, Maître, c’est mon petit bagage… » !

Source : www.justice.gouv.fr