L’affaire Dreyfus est une affaire judiciaire, qui aurait dû le rester, et qui éclata vers la fin de 1894; elle bouleversa la politique française pendant plusieurs années.
LE BORDEREAU
L’origine de ces grands troubles fut une lettre missive : le bordereau, adressée à un attaché militaire allemand et tombée aux mains du service des renseignements (septembre 1894).
Ni datée, ni signée, elle fut attribuée à un officier d’état-major, le capitaine Dreyfus, à cause d’une similitude d’écriture.
On connaissait la fragilité des expertises. Les preuves morales faisaient défaut: Alsacien, riche, récemment marié, ambitieux, comment Dreyfus eût-il trahi pour un peu d’argent ?
Mais il était juif, et l’antisémitisme, vestige haineux d’une autre époque, importé sous de nouveaux habits d’Allemagne, tenait depuis quelque temps le haut du pavé, riposte brutale des intolérances de droite aux intolérances de gauche.
Le général Mercier, ministre de la Guerre, hésita devant le procès sans preuves. La presse antisémite connut l’arrestation préventive de Dreyfus. Mercier, qui avait ordonné de ne pas la divulguer, s’effraya d’être accusé de complaisance.
L’officier juif fut traduit devant un conseil, jugé à huis-clos et condamné à la déportation perpétuelle. Des pièces d’espionnage, qui ne s’appliquaient pas à lui, avaient été communiquées aux juges, secrètement, sans qu’il les connût, par ordre de Mercier, qui ajouta l’illégalité à l’erreur.
Dreyfus fut dégradé et transporté à l’île du Diable, en Guyane où il vécut quatre années dans une solitude absolue, parfois enchaîné de nuit, crainte qu’il ne s’évadât. Il ne cessa pas de protester de son innocence (janvier 1895).
LE COMMANDANT ESTERHAZY
L’année d’après, une autre pièce, – une missive télégraphique, le petit bleu – ramassée aussi à l’ambassade allemande, donna le nom du commandant Esterhazy, d’une branche de la fameuse famille hongroise, officier besogneux qui, sous l’uniforme, avait la haine de la France. Il reconnut, par la suite, une lettre où il avait écrit :
« Je regrette bien d’être venu dans cette France maudite. Dans un rouge soleil de bataille, Paris pris d’assaut et livré au pillage de cent mille soldats ivres, voilà une fête que je rêve!-»
Le chef du service des renseignements était, en 1896, le commandant Picquart, Alsacien comme Dreyfus. Il l’avait jusqu’alors tenu pour coupable. C’était lui que Mercier avait chargé de porter les pièces secrètes au conseil de guerre de 1894.
Picquart pensa d’abord avoir mis la main sur un autre traître. L’idée lui vint de comparer avec celle du bordereau l’écriture d’Esterhazy. Elles étaient identiques. Il fit part de sa découverte à Boisdeffre et à Gonse; chef et sous-chef de l’Etat-Major, et au nouveau ministre de la Guerre, Billot.
Esterhazy avait au ministère un ami, le commandant Henry, qui était sous les ordres de Picquart. Henry avait chargé Dreyfus à son procès. Il s’inquiéta de la trouvaille de Picquart, qui s’était produite en son absence, et fabriqua une fausse dépêche de l’attaché militaire italien Panizzardi à son collègue allemand, où Dreyfus (ce canaille de D…) était nommé comme leur agent.
Henry ayant porté la pièce aux grands chefs, ils se laissèrent persuader de n’en rien dire à Picquart, lui ordonnèrent de cesser ses recherches et, sur son refus, l’envoyèrent en Tunisie. Le faussaire eut sa place.
ALFRED DREYFUS (1859 – 1935)
INTERVENTION DE SCHEURER-KESTNER
Le mystérieux procès n’avait pas été sans troubler quelques personnes. Le frère de Dreyfus apprit d’un ami de Félix Faure l’existence des pièces secrètes. Il intéressa à sa cause Scheurer-Kestner, l’un des députés protestataires de l’Alsace à l’Assemblée de Bordeaux, ami intime de Gambetta, vice-président du Sénat.
Picquart, avant de partir, avait averti les chefs « qu’il n’emporterait pas son secret dans la tombe ». Il en fit la confidence à un avocat de ses amis qui, peu de temps après, informa Scheurer-Kestner.
Le sénateur alsacien était lié d’ancienne date avec le ministre de la Guerre. Il lui demanda de provoquer lui-même la révision du jugement et d’en avoir pour lui et pour le gouvernement de la République tout l’honneur.
Billot se déroba, donnant le premier l’exemple à tant d’autres, miliaires et civils, de s’obstiner dans l’erreur au lieu d’en convenir.
Scheurer, après avoir en vain essayé de convaincre Méline et Félix Faure, informa Mathieu Dreyfus, qui dénonça Esterhazy par une lettre publique au ministre de la Guerre (novembre 1897).
LE MOUVEMENT REVISIONNISTE
Alors commença une extraordinaire agitation dont Tolstoï dira que « c’était un grand bonheur pour la France, puisqu’elle était appelée à résoudre un problème de morale posé devant sa conscience ».
Bien d’autres innocents ont été condamnés dans tous les pays et dans tous les temps. La France se déchira pendant plusieurs années, parce que la pensée qu’un innocent fût au bagne était insupportable aux uns et que les autres se refusaient à croire que les chefs de l’armée et de l’Etat pussent couvrir une injustice. Ceux-ci et ceux-là se heurtèrent dans une confuse mêlée. Pour le monde, la France fut le pays « qui veut la justice ».
Les « révisionnistes », d’abord très peu nombreux, – des « intellectuels », écrivains et savants, des étudiants, pas mal d’ouvriers, – demandèrent que la Cour de cassation fut saisie des « faits nouveaux », selon le terme de la loi, qu’étaient l’écriture d’Esterhazy et les pièces recueillies par Picquart.
« LA CHOSE JUGEE »
Au contraire, la très grande majorité du pays, le gouvernement, les deux Chambres moins quelques hommes qui osèrent parler et écrire, et toute l’armée, moins quelques officiers qui se condamnèrent au silence, s’arrêtaient à la formule de « la chose jugée-».
Quand le ministre Billot et les chefs de l’Etat-Major attestaient la culpabilité de Dreyfus sur des preuves qui ne pouvaient être produites sans danger pour la chose publique, car, disaient-ils, la guerre avec l’Allemagne en résulterait aussitôt, rien que le doute à leur égard prit un air de trahison. C’était « l’honneur même de l’armée-»qui était en cause, comme s’il pouvait dépendre de quelques officiers coupables, complaisants ou abusés.
Ainsi s’opposèrent l’armée et la justice, alors qu’elles étaient solidaires l’une de l’autre. Des deux côtés de la barricade, la bonne foi originelle (sauf les inévitables exceptions) fut pareille. Mêmes certitudes, dans la vérité ou dans l’erreur, chez Albert de Mun, Barrès, Millerand, défenseurs de «la chose jugée-», et chez Clemenceau, Anatole France, Jaurès, militants de la révision.
L’absolue sincérité, à la manière d’un savant devant sa cornue, est chose rare. Souvent, la vision des hommes est faussée par leurs opinions (politiques, sociales, religieuses), comme s’ils regardaient à travers des verres de couleur qui teintent différemment les choses. Puis la passion, surchauffée, dépasse le but.
Les partis de Monarchie et d’Église, les anciens boulangistes à la recherche d’un drapeau, virent dans l’Affaire l’occasion d’une revanche. Les socialistes ne tardèrent pas à retourner contre l’armée le mot d’ordre qui la solidarisait avec quelques officiers coupables; ils engagèrent une violente campagne contre « le militarisme-».
La presse se divisa en deux camps ; des ligues se formèrent : l’Association de la patrie française s’opposa à la Société des droits de l’homme et du citoyen.
LES PROCES
Les péripéties de ce drame qui, du premier jour, passionna l’opinion dans le monde entier et comme il ne pouvait s’en jouer qu’en France, se succédèrent dans un tumulte croissant.
D’abord une série de procès.
Procès à huis clos d’Esterhazy, acquitté à l’unanimité par le conseil de guerre pour le bordereau dont il avoua, moins de six mois plus tard, qu’il était l’auteur.
Procès de Zola, frappé au maximum (un an de prison), après de longs débats retentissants, par la Cour d’assises de la Seine, pour avoir écrit, sous le titre J’accuse, une lettre ouverte à Félix Faure où il accusait les juges de 1894 d’avoir condamné Dreyfus innocent sur des pièces secrètes, ce dont ils convinrent l’année d’après, et les juges de 1897 d’avoir sciemment et par ordre acquitté Esterhazy coupable. Procès de Picquart mis à la réforme par un conseil d’enquête pour avoir confié à l’avocat Leblois sa découverte de l’erreur judiciaire.
Et dans les mêmes temps des séances tumultueuses à la Chambre, où radicaux, modérés et conservateurs rivalisaient à qui désavouerait avec le plus de dureté l’entreprise pour la révision; les partis extrêmes en vinrent parfois aux coups (décembre 1897 – avril 1898).
Zola fut flétri par les mêmes hommes qui lui décernèrent plus tard les honneurs du Panthéon.
Cependant les radicaux, tout en faisant cause commune avec les partis de droite contre la révision, s’inquiétaient de leurs progrès sous le couvert de l’Affaire. A la veille des élections, Brisson, alors président de la Chambre, exprima le voeu que « le pays sût, de sa main souveraine, écarter les perfides ».
LE FAUX HENRY
Aux élections, les républicains et les socialistes furent serrés de très près par les conservateurs et les « nationalistes », nom que prirent les anciens boulangistes et les antisémites associés.
La Chambre à peine constituée, Méline fut renversé; les républicains lui reprochaient son alliance avec la droite, les nationalistes le trouvaient trop faible contre les révisionnistes. Félix Faure appela Brisson qui fit un ministère de radicaux. tous hostiles à la révision.
Cavaignac, qu’il avait mis à la Guerre, se fit interpeller « pour donner au pays la foi dans la vérité ». Il jeta pardessus bord Esterhazy, devenu compromettant, puis affirma qu’il avait « la certitude absolue de la culpabilité de Dreyfus » et en donna pour preuves les pièces secrètes du procès de 1894, si longtemps entourés de mystère, et la lettre de l’attaché militaire italien, celle que Henry avait montrée aux chefs qui avait été produite au procès de Zola et dont l’auteur du présent article (J. Reinach) avait écrit aussitôt qu’ « elle puait le faux».
Cavaignac, d’une loyauté au-dessus du soupçon, dit qu’il en avait pesé « l’authenticité matérielle et l’authenticité morale. » La Chambre acclama et fit afficher son discours (7 juillet). Cavaignac fit alors arrêter Picquart, toujours le principal témoin, pour les mêmes accusations qui l’avaient fait chasser de l’armée.
Un mois plus tard (13 août), l’un de ses officiers, qui procédait par son ordre à l’examen des dossiers, découvrit que cette pièce décisive avait été fabriquée avec des morceaux de deux lettres différentes. C’était un faux.
Henry, convoqué par Cavaignac, s’en reconnut l’auteur. Cavaignac le fit conduire au Mont-Valérien où il se coupa la gorge avec un rasoir. Le lendemain, Esterhazy prit la fuite. Le général de Boisdeffre, qui avait été le protecteur de Henry, donna sa démission.
LA REVISION ENGAGEE
Brisson, jusqu’alors aussi hostile à la révision que Cavaignac, conclut de ces événements que, maintenant, elle s’imposait. Cavaignac continua à s’y opposer, donna sa démission.
En quelques heures, le gros des républicains changea de camp; Brisson transmit la demande en révision, formulée par la femme de Dreyfus, à la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui l’admit et ordonna une enquête, qu’elle commença aussitôt (20 septembre 1898).
RENVERSEMENT DE BRISSON
Il y avait moins d’un an que Zola avait écrit :
« La vérité est en marche, rien ne l’arrêtera plus. »
Evidemment, la vérité était en marche, mais elle allait encore rencontrer beaucoup d’obstacles.
Même la lutte devint plus âpre, parce qu’on ne se battit plus seulement pour faire attribuer un chiffon de papier jauni à Dreyfus ou à Esterhazy.
Dans ce carrefour du XIXe siècle finissant, c’était de nouveau la lutte entre les principes du monde moderne et ceux de la contre-révolution, idées aux prises au-dessus des combattants, tels les dieux, dans l’Iliade au-dessus des Troyens et des Grecs.
Après le départ de Cavaignac, Brisson avait appelé successivement deux généraux au ministère de la Guerre. Le général Zurlinden eut des hésitations, puis se retira simplement; le général Chanoine, après avoir feint d’accepter la révision, se démasqua en séance et donna théâtralement sa démission. Du coup Brisson fut renversé (octobre 1898).
LA LOI DE DESSAISISSEMENT
Dupuy, qui succéda à Brisson, essaya de louvoyer entre les partis. Freycinet, ayant consenti à rentrer au ministère de la Guerre, s’employa à ramener au calme l’armée que tant de secousses avaient troublée. Le ministre de la justice, Lebret, bien que professeur de droit, proposa d’enlever aux magistrats de la Chambre criminelle, tenus pour suspects, le jugement sur la révision et de faire prononcer par les trois Chambres réunies.
Il n’y avait pas de précédent à une telle modification de la loi pénale au cours d’une instruction. Le projet fut combattu, dans les deux Chambres, par quiconque avait le sens du droit (Renault-Morlière, Millerand, Bérenger, Trarieux, Waldeck-Rousseau). La « loi de dessaisissement » n’en fut pas moins votée. Le ministre de la Justice dit à ceux des députés qui hésitaient :
« Regardez dans vos circonscriptions. »
MORT DE FELIX FAURE
Au cours du débat sur le dessaisissement, Félix Faure mourut subitement (16 février 1899).
Le président du Sénat, Loubet, ferme républicain et notoirement acquis à la révision, fut élu à sa place contre Méline.
LES COMPLOTS
Depuis quelque temps, royalistes et nationalistes conspiraient à nouveau, mais séparément, à l’affût d’une occasion qui permit de recommencer le coup de force manqué par Boulanger (http://www.cosmovisions.com/btcf.gifLe Boulangisme).
Le duc d’Orléans, devenu le prétendant depuis la mort de son père, fit des avances à Déroulède, président de la Ligue des patriotes. Déroulède ne voulait pas plus de la monarchie que de la république parlementaire; c’était une république plébiscitaire qu’il se proposait d’établir par le moyen d’une brigade que ses ligueurs entraîneraient au Palais-Bourbon ou à l’Elysée. Il déclara que, si le prétendant cherchait à profiter du « 4 septembre militaire », il l’arrêterait de ses propres mains.
Le duc ne s’en tint pas moins prêt à profiter du coup, au premier signal. Son représentant, Buffet, fils de l’ancien ministre, avait préparé des relais et organisé des bandes, beaucoup de bouchers, sous un autre Caboche, Guérin.
TENTATIVE DE REUILLY
Déroulède, au retour des obsèques de Félix Faure, se jeta à la tête du cheval du général Roget, à défaut du général de Pellieux, pris de scrupules à la dernière heure.
Roget, bien que des plus ardents contre la révision, ne voulut rien entendre des appels de Déroulède :
» Suivez-nous ; des amis nous attendent; à l’Hôtel de Ville, à l’Elysée, mon général! »
Il ramena sa troupe à la caserne de Reuilly; Déroulède y pénétra avec quelques ligueurs, mais pour s’y faire arrêter, après avoir, vainement encore, harangué les officiers et les soldats (23 février 1899).
Déroulède, qui ne voulait pas laisser diminuer son personnage, réclama d’être renvoyé devant le Sénat constitué en Haute-Cour, comme l’avait été Boulanger, pour complot et pour attentat. Le gouvernement de Dupuy se contenta de le poursuivre, en vertu de la loi sur la presse, pour « provocation »; le jury de la Seine l’acquitta.
LA REVISION
La Cour de cassation, toutes Chambres réunies, annula le jugement qui avait condamné Dreyfus et ordonna qu’il serait traduit devant un autre conseil de guerre.
Comme les adversaires de la révision, après avoir obtenu qu’il fùt statué par les Chambres réunies, ne s’inclinaient pas davantage « devant cet appareil grandiose et rassurant de légalité » : « La vraie accusée, dit le pape, ne serait-elle pas la République? »
Aux courses d’Auteuil, le président Loubet fut hué, frappé dans sa tribune.
Les républicains, si longtemps indécis et divisés, ouvrirent enfin les yeux. Reprenant la politique que Gambetta avait inutilement conseillée aux premiers temps de la IIIe République, ils firent bloc, l’exception de quelques ultra-modérés, contre les partis de droite. Dupuy écarté, Waldeck-Rousseau forma un gouvernement de « défense et d’action républicaines ».
GOUVERNEMENT DE WALDECK-ROUSSEAU
Avec l’ancien ministre de Gambetta et de Ferry, c’était, à une heure difficile, le retour à la politique et aux méthode qui avaient fait la République.
Son originalité était faite de contrastes : le sens profond de la démocratie avec une distinction toute aristocratique, la fermeté impassible d’un homme de gouvernement et la préoccupation des réformes sociales, le plus beau talent oratoire à la barre comme à la tribune, et le goût de l’action. Il donna le ministère de la Guerre au général de Galliffet, fameux pour avoir conduit la charge des cavaleries à Sedan ( http://www.cosmovisions.com/btcf.gifLa Guerre de 1870), détesté des révolutionnaires à cause de son rôle dans la répression de la Commune; pour la première fois, un socialiste (Millerand) devint ministre.
Treize voix déplacées auraient fait tomber Waldeck-Rousseau dès la première séance (26 juin 1899). Il fut accueilli par la droite et par les nationalistes avec de telles clameurs qu’il se crut dans « une cage de fauve »; il obtint un sursis, refit l’État et dura près de trois ans.
LE PROCES DE RENNES
Nombre de révisionnistes s’étaient persuadés que le conseil de guerre de Rennes, désigné par l’arrêt des chambres réunies pour juger Dreyfus, à son retour de l’île du Diable, s’empresserait de proclamer son innocence. C’était méconnaître le trouble persistant que les passions aux prises avaient créé dans l’armée.
Le prétoire militaire n’était pas encore redevenu le « temple serein ». Trop de mauvaises paroles avaient été proférées contre l’armée elle-même. Dreyfus restait l’homme que cinq ministres de la Guerre et tant de grands chefs avaient déclaré coupable. Les quelques officiers qui déposèrent en sa faveur furent traités en suspects (Picquart, à peine sorti de prison, Hartmann, Freystaetter, tous trois Alsaciens).
L’un des avocats de Dreyfus (Labori) fut l’objet d’une tentative d’assassinat.
L’autre, Démange, tout catholique qu’il fût, n’avait pas été réélu au conseil de l’Ordre.
LE CAPITAINE DREYFUS DEVANT LE CONSEIL DE GUERRE, A RENNES (AOUT 1899)
Mercier, dont la mise en accusation avait été demandée par Dupuy, son ancien président du conseil, pour la communication illégale des pièces secrètes, fit une déposition qui n’apportait rien de neuf, mais répandit qu’il existait une preuve, impossible à produire, de la culpabilité : un « bordereau » annoté par l’empereur allemand, avec le nom de Dreyfus. C’était ce qu’on appelait le dossier « ultrasecret ».
Le chancelier allemand, Bülow, déclara, dans une note officielle, « qu’il n’y avait jamais existé entre Dreyfus et n’importe quels organes allemands de relations ni de liaison de quelque nature qu’elles soient ». Il ne dit rien d’Esterhazy, toujours en fuite.
Dans l’atmosphère enfiévrée du procès, il n’y eut que deux juges pour acquitter: le président Jouaust et le commandant de Bréon, catholique pratiquant. Les trois autres condamnèrent, mais seulement à dix ans de détention, abaissement si disproportionné de la peine qu’il suffisait à infirmer le jugement dans une affaire de trahison.
FIN DE L’AFFAIRE JUDICIAIRE
Waldeck-Rousseau se refusa à garder en prison un officier dont l’innocence avait été déclarée par la plus haute justice civile. Galliffet soumit au président de la République, qui le signa aussitôt, un décret de grâce.
Il avait invoqué, dans une lettre à Waldeck-Rousseau, l’opinion de beaucoup de ses camarades. En même temps que Dreyfus serait gracié, il serait décidé, « en principe-», « de mettre pour toujours hors de cause les officiers généraux ou autres qui avaient été mêlés à cette malheureuse affaire ». Il fallait « leur ouvrir les portes de l’oubli», ce qui fut fait, peu après, par une loi d’amnistie.
Rendu à la liberté, Dreyfus se mit à la recherche de « faits nouveaux » qui donneraient ouverture à un second procès de révision. Il y fallut six ans. D’autres faux furent découverts au ministère de la Guerre. L’ancien chef de l’espionnage allemand confirma au colonel Péroz l’étroite association d’Esterhazy et d’Henry. Trois illustres savants, désignés par l’Académie des sciences (Darboux, Appell, Henri Poincaré), furent chargés de l’expertise du bordereau et conclurent en faveur de Dreyfus.
Mercier, mis en demeure par ses amis d’affirmer publiquement ses inventions de Rennes, nia tout.
La Cour de cassation, toutes chambres réunies, abolit en conséquence le verdict de Rennes et, par un arrêt longuement motivé, vu qu’il ne restait plus rien de toutes les accusations, cassa définitivement, sans renvoi. La Chambre et le Sénat votèrent aussitôt deux lois qui réintégrèrent dans l’armée Dreyfus et Picquart (juillet 1906).
Avant la fin de l’année, Clemenceau devint président du Conseil et fit Picquart ministre de la Guerre.
Au cours du procès de Rennes, comme les nationalistes et les royalistes se consultaient pour recommencer l’entreprise manquée à Reuilly, Waldeck-Rousseau avait fait procéder à des arrestations, sous l’inculpation de complot.
La Haute-Cour acquitta les comparses et condamna les chefs, Déroulède, Guérin et Buffet, au bannissement.
Ils furent amnistiés quand le calme parut revenu dans les esprits. (J. Reinach).
Source : www.cosmovisions.com