COUR SUPRÊME – ARRÊT N°005 DU 09 JANVIER 2003

1/ Mariage – Etrangers – Conditions de validité – transcription sur les registres de l’Etat Civil ivoirien (non).;

2/ Mariage – Second mariage – Epoux étant dans un précédent lien non dissout – Nullité du second mariage.;

3/ Mariage putatif – bonne foi de l’épouse – Bénéfices des effets civils du mariage (oui).

RESU

1/ Le mariage est valable et a force probante en Côte d’Ivoire dès lors que dune part il na point été matérialisé par deux actes différents mais par l’extrait de mariage qui est le résultat de la transcription du jugement supplétif, document légal, à l’état civil et d’autre part contracté avant l’acquisition de la nationalité ivoirienne par le mari, il s’agissait de mariage entre deux citoyens guinéens, conformément aux lois guinéennes. Par conséquent, il ne pouvait ni être soumis aux règlements régissant le mariage d’un officier militaire ni être transcrit sur les registres de l’Etat civil ivoirien. En décidant autrement, la cour d’appel n’a pas donné de base légale a sa décision qui encourt la cassation

2/ Un nouveau mariage ne pouvant être contracté avant la dissolution du précédent, encourt l’annulation le mariage contracté par un époux se trouvant dans les liens d’un précédent mariage non dissout

3/ L’épouse du second mariage étant de bonne foi, il y a lieu de lui accorder ainsi qu’à ses enfants nés du mariage annulé, les effets civils du mariage dans les mêmes conditions que l’épouse dont le mariage a été reconnu valable.

TEXT

AU NOM DU PEUPLE IVOIRIEN Monsieur YAO ASSOMA, Président ~

La Cour Suprême, Chambre Judiciaire, Formation Civile, a rendu l’arrêt suivant:

Sur le pourvoi formé le 26 septembre par Dame MS, Ménagère né vers 1947 à Foiro, de nationalité Guinéenne, domiciliée à Abidjan S/C de CD, 01 B.P. 1381 ABIDJAN 01 ;

Ayant pour conseil Maître EN, Avocat à la Cour, demeurant à Abidjan…… ; En cassation d’un arrêt n° 1031 rendu le 20 juillet 2001 par la Cour d’Appel d’Abidjan au profit de CF, née le 1er Janvier 1951 à Bouaké, demeurant à Abidjan Yopougon Selmer, lot n°3350, Sage-femme, Anesthésiste au CHU de Yopougon, 21 B.P. 632 ABIDJAN 21 ;

La Cour, en l’audience publique de ce jour ;

Sur le rapport de Monsieur le Conseiller BOGA TAGRO et les observations des parties;

Et après en avoir délibéré conformément à la loi :

La Cour :

Vu les mémoires produits ;

Vu les conclusions écrites du Ministère public en date du 3 juin 2002.

Sur le premier moyen de cassation pris du défaut de base légale résultant de l’absence, de I’insuffisance, de l’obscurité ou de la contrariété des motifs ;

Attendu, selon les énonciations de l’arrêt attaqué (Abidjan, 20 juillet 2001) que selon Dame MS, elle a contracté mariage avec CAMARA  dans le courant de l’année 1963 conformément à la coutume malinké ; que ce mariage a été constaté par jugement n° 002 du Tribunal Populaire de l’Arrondissement de Gbakédou en République de Guinée, et transcrit sur les registres de l’état civil de ladite ville; qu’au décès de CAMARA, la Dame CF s’est également prévalue de la qualité d’épouse légitime du défunt se fondant sur un extrait des actes de l’état civil pour l’année 1981 de la commune de Bouaké établissant que le 17 octobre 1981, un mariage avait été célébré entre CAMARA  et CF ;

Qu’estimant qu’un tel mariage est frappé de nullité, Dame MS a saisi le Tribunal de Première Instance d’Abidjan en annulation de ce mariage ; que par jugement n° 15 du 8janvier1999, ladite juridiction a fait droit à sa demande ; que par l’arrêt attaqué la Cour d’Appel d’Abidjan a infirmé le jugement entrepris ;

Attendu que pour débouter Dame MS de sa demande en nullité du mariage contracté par CAMARA  avec Dame CF, la Cour d’Appel a estimé que le mariage de MS avec CAMARA  n’a aucune force probante aux motifs que ce mariage, en plus être matérialisé par deux actes différents et contradictoires n’a pas été célébré selon les règles applicables au mariage d’un Officier Militaire et n’avait pas été transcrit en Côte d’ivoire ;

Attendu cependant qu’en statuant ainsi alors que d’une part la Cour d’Appel ne peut appliquer les lois et règlements ivoiriens à un mariage célébré en Guinée selon les lois guinéennes, sans établir que ces lois sont identiques aux lois ivoiriennes, et que d’autre part aucun texte de loi ne subordonne en toute hypothèse la force probante du mariage célébré en Côte d’ivoire à la transcription, les Juges d’Appel ont par insuffisance de motifs manqué de donner une base légale à leur décision ; qu’il convient de casser et annuler l’arrêt attaqué et d’évoquer en application de l’article 28 nouveau de la loi n° 97-243 du 25 avril 1997 ;

Sur l’évocation

Sur la validité du mariage contracté par CAMARA  avec MS ;

Attendu qu’il est constant que par jugement supplétif n° 2 du 23′ novembre 1978, le Tribunal populaire de l’Arrondissement de Gbackédou, en République de Guinée, a déclaré que « le nommé CAMARA a contracté mariage en mil neuf cent soixante trois avec la nommée MS conformément à la coutume malinké…  » et ordonné que  » le présent dispositif sera transcrit sur le registre de l’état civil ;

Qu’il est tout aussi constant que par lettres en date des 7 octobre 1991 et 15 décembre 1997 adressées au Président du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, le Juge de Paix de Beyala a attesté que ledit jugement supplétif « est un document légal parce que conforme aux conditions’ requises par la loi guinéenne « ; qu’il s’en suit d’une part que ledit mariage n’a point été matérialisé par deux actes différents mais par l’extrait de mariage qui est le résultat de la transcription du jugement supplétif du 23 novembre 1978 à l’état civil que d’autre part, ce mariage ayant été contracté avant l’acquisition de la nationalité ivoirienne par CAMARA, s’agissant dès lors d’un mariage entre deux citoyens guinéens en République de Guinée et conformément aux lois guinéennes, il ne pouvait ni être soumis aux règlements régissant le mariage d’un Officier militaire, ni être transcrit sur les registres de l’état civil ivoirien ; que par conséquent ce mariage est valable et a force probante en Côte d’Ivoire ;

Sur la nullité du mariage de Dame CF avec CAMARA

Attendu qu’il résulte des considérations qui précèdent que CAMARA  et MS étaient légalement mariés au moment où CF célébrait son mariage avec le sieur CAMARA ; qu’aux termes de l’article 2 de la loi n° 64-375 du 7 octobre 1964 modifié par la loi n° 83-800 du 2 août 1983  » nul ne peut contracter un nouveau mariage avant la dissolution du précédent  » ; que l’article 31 de la même loi sanctionne un tel mariage par la nullité absolue; que le mariage contracté par CF et CAMARA le 17 octobre 1981 alors que CAMARA se trouvait dans les liens d’un précédent mariage non dissout avec MS encourt l’annulation ;

Sur le bénéfice du mariage putatif

Attendu qu’aux termes de l’article 42 de la loi n064-375 du 7 octobre 1964 modifiée par la loi n° 83-800 du 2 août 1983 « la décision prononçant la nullité doit également statuer sur la bonne foi de l’un et l’autre des époux; la bonne foi est présumée » ;

Attendu que Dame CF est de bonne foi.; qu’en conséquence il convient de lui accorder ainsi qu’à ses enfants nés du mariage annulé, les effet civils du mariage dans les mêmes conditions que Dame MS dont le mariage a été reconnu valable ;

DISP

PAR CES MOTIFS

Et sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’autre moyen,

Casse et annule l’arrêt n° 1031 rendu le 20 Juillet 2001 par la Cour d’Appel d’Abidjan, Chambre Civile ;

Evoquant,

Déclare nul le mariage contracté entre CAMARA  et CF;

Dit que le mariage de Dame SM avec CAMARA est valable;

Dit que CF  bénéficiera, concurremment avec Dame SM ainsi que les enfants qui en sont issus, des effets civils de leur mariage respectif CAMARA  ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor Public ;

Ordonne la transcription du présent arrêt sur les registres du greffe de la Cour d’Appel d’Abidjan en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour Suprême, Chambre Judiciaire, Formation Civile, en son audience publique du neuf janvier deux mil trois ;

Où étaient présents MM YAO ASSOMA, Président de la Chambre Judiciaire, Président; BOGA TAGRO, Conseiller-Rapporteur; KOUAME AUGUSTIN; Conseiller; Me N’GUESSAN GERMAIN, Greffier ;

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le Président, le ‘Rapporteur et le Secrétaire.

PRESIDENT
YAO ASSOMA