Né en 1966, après avoir obtenu un diplôme de droit et de sciences politique, en 92, Frédéric Clément de Clety s’inscrit au barreau. Il commence dans cabinet spécialiste en droit commercial.
En 1995, il ouvre son cabinet et commence à faire du pénal.
Frédéric Clément de Cléty fut un grand avocat pénaliste et un grand dévoreur de vie. Un look d’acteur, avec ses longs cheveux qu’il ramenait régulièrement, d’un geste large, à la Bernard Henry-Levy, derrière ses oreilles, un verbe volontiers lyrique (il adorait les citations littéraires), un sang-froid impressionnant, une faculté de réagir à chaud et en droit à la sortie d’un confrère: l’homme se donnait parfois des airs de dandy désinvolte alors qu’il était surtout un gros bûcheur.
UN JOUISSEUR
Mais c’était aussi, en dehors des palais de justice, un bon vivant qui a, dit-on, quelque peu abusé de la bonne chère, des sorties nocturnes, des virées en voiture de sport vers des paradis quelque peu artificiels.
On se souviendra surtout du plaideur audacieux et vif. On le vit un jour quitter son banc de la partie civile, pour s’avancer dans le prétoire, ouvrir la vitrine des pièces à conviction, se saisir de l’arme du crime, une hache, et la déposer sur le pupitre du chef du jury. Cela fit grosse impression.
Nihoul et Adam G.
On le vit une autre fois arriver très en retard à l’audience du tribunal de la jeunesse qui devait trancher le sort d’Adam G., le jeune Polonais qui porta des coups de couteau mortels à la Joe Van Holsbeeck, à la gare Centrale, en avril 2006 et dont Me Clément de Cléty était le conseil.
Il s’attira les foudres du juge mais aussi de son adversaire, Me Marc Preumont, et fut secoué par la meute de journalistes, qui ne comprenaient pas cette désinvolture.
En vérité, il avait plaidé la veille en Afrique et son avion avait atterri à Bruxelles avec des heures de retard sur l’horaire prévu. Clément de Cléty avait passé une nuit blanche et une fois Bruxelles ralliée foncé au tribunal.
Sans prendre le temps de se changer ou de se nourrir et après avoir entendu les reproches s’abattre sur lui sans ciller, il avait, sans notes, mené une plaidoirie brillante d’une demi-heure, comme si de rien n’était. Il fallait une solide dose de sérénité pour agir de la sorte.
Du sang-froid, il sut en afficher dans la défense de Michel Nihoul, lors du procès Dutroux. L’avocat bruxellois avait été consulté par Nihoul dès 1996. Il avait alors 28 ans. Cela lui permit de faire valoir, lors du procès d’Arlon, en 2004, qu’il était le seul avocat à “avoir été là depuis le début”.
Il lui avait fallu résister à des tonnes de ragots, oublier que les pneus de sa voiture avaient été crevés plusieurs fois, faire semblant que les enquêteurs ne s’étaient pas intéressés de très près à sa petite personne, dans une tentative de déstabilisation qui ne fonctionna pas.
La presse s’en mêla aussi; un célèbre magazine français se demanda si Me Clément de Cléty ne fréquentait pas, lors de ses nombreux voyages en Thaïlande, certaines fréquentations sexuelles de Nihoul. Tout cela laissait l’avocat de marbre.
EMOTION AU PROCES RWANDA
A l’occasion de l’un des procès dits du Rwanda, on le vit toutefois, à plusieurs reprises, ému, ébranlé, atteint par l’ampleur du drame vécu par ses clientes, les veuves du Rwanda, C’est lors de ce procès qu’il révéla sa part d’humanité qui, derrière le vernis de l’aristocrate revenu de tout et un brin arrogant, vibrait sincèrement.
Me Frédéric Clément de Cléty assumait sa vie disons chahutée. Elle lui aura, hélas, coûté très cher. Ce grand anxieux, vouait une passion aux stratèges de la Seconde Guerre mondiale, était né en 1966, à Bruxelles. Diplômé en droit en 1993, il effectua son stage chez Me Jaspar. En1996, éclatait l’affaire Dutroux. Un certain Michel Nihoul le consulta. On connaît la suite.
Sur les bancs de l’université à Saint-Louis, où il était devenu mon meilleur ami. En première candidature, je ne fréquentais pas beaucoup les auditoires et lui non plus, il allait aux cours qui l’intéressaient. Déjà à l’époque, il sortait du lot. Il était habillé de jeans, avait les cheveux longs et arborait un bronzage assez intense.
Il avait déjà une passion pour les animaux. Une passion qui l’a même amené à avoir un loup et un faucon avec qui il s’entendait à merveille. Je l’ai fréquenté de beaucoup plus près suite au suicide de mon père, alors que nous étions en plein blocus en deuxième année. A la maison, l’ambiance était relativement épouvantable et il m’avait suggéré de venir chez sa maman. J’ai y passé tout le mois de juin, en 1988 si je me souviens bien. Lui commençait à étudier lorsque moi je terminais : vers 16h.
QUEL AVOCAT ETAIT-IL ?
En terme de talent, il avait de l’or entre les mains (Interview de sa consœur et amie Nathalie Gallant, avocate pénaliste). C’est certainement l’un des plus grands plaideurs, non pas de sa génération, mais des 50 dernières années. Le seul problème, c’est que certains démons l’agitaient, l’ont toujours agité. C’est peut-être cela qui lui donnait ce petit grain de folie qui le rendait particulièrement exceptionnel. Lors de ce fameux blocus, il prédisait qu’à 40 ans je serais une bourgeoise et que lui serait mort… Il a toujours eu une vue relativement pessimiste de son avenir, parce que son père et son frère sont décédés des mêmes causes. Il avait pris pour acquis que cela arriverait un jour ou l’autre.
PEUT-ON DIRE QUE C’ETAIT UNE TETE-BRULEE ?
Non, parce que j’associe ce terme plutôt aux bandits. Lui avait un sens de l’honneur tout à fait réel mais avait parfois des comportements suicidaires. Pas suicidaires en tant que tels mais dans le sens qu’ils ne pouvaient qu’aboutir à quelque chose tragique. Comme s’il souhaitait hâter une chose qui était de toute façon écrite…
Continuiez-vous à vous voir dernièrement ?
Beaucoup moins ces derniers temps, même si au cours des derniers mois il m’avait recontactée. J’avais effectivement constaté qu’il était au plus mal, tant psychologiquement que physiquement parlant.
LE PROCES DUTROUX, OU IL DEFENDAIT MICHEL NIHOUL, RESTERA-T-IL SON PROCES PHARE ?
Il a toujours eu un goût de la provocation donc il serait le dernier à rougir d’avoir été l’avocat de Nihoul, qu’il a défendu bec et ongles.
Mais il n’a pas été tellement remercié puisque M. Nihoul l’a attaqué en responsabilité professionnelle pour des queues de cerises qui n’avaient rien à voir avec le procès à proprement parler. Mais je ne suis pas sûre qu’il aimerait laisser comme dernière image d’avoir été l’avocat de Nihoul. Il était tout simplement brillant.
Il savait habiller tous les maux. C’était un ténor à l’ancienne, il n’était pas dans le synthétique. On pouvait aller s’asseoir pour écouter sa plaidoirie, c’était un plaisir à l’oreille.
Par ouïe-dire, il est contacté par Michel Nihoul, co-accusé de Marc Dutroux.
Marc Dutroux est le pédophile honni par les belges pour avoir séquestré 4 jeunes filles dont 2 mourront de faim dans la cache aménagée dans sa cave.
En prison pour d’autres méfaits, il charge son épouse, Michelle Martin de les nourrir, elle n’en fait rien.
A sa sortie, Dutroux continuera à enlever des fillettes et les dernières, Ann et Effje connaîtront une fin horrible.
Quand on demande à maître Clément de Cléty comment il a pu représenter une telle personne, il répondra qu’il a tout de suite en le regardant dans les yeux que Nihoul est peut-être un petit trafiquant d’ecstasy, il n’a rien à voir avec les réseaux pédophiles et n’a jamais pris part aux enlèvements, viols et meurtres.
Nihoul sera acquitté de ces préventions après 4 mois de procès.
Pour lui commencera alors une période très difficile à vivre.
Hai par la population, mis au banc de la société, il devra faire face aux menaces de mort, ses proches seront sans cesse harcelés et il perd de sa crédibilité auprès de certains de confrères mais aussi d’une partie des magistrats.
Or pour lui, le fond de commerce d’un avocat, c’est sa crédibilité auprès des juges.
« Il faut 10 ans pour obtenir crédibilité et faire sa réputation et 1 minute pour les perdre. »
Il s’est aussi énormément investit pour les rescapés du génocide du Rwanda, plus particulièrement auprès des veuves.
Ce mouvement vient de Suisse et il est leur avocat depuis la première cour d’assise.
Il participera à la quatrième au mois de janvier.
Quand on lui demande comment il fait pour passer si facilement d’une affaire à l’autre.
Les cours d’assise et de correctionnelles peuvent être moralement très dures et les échecs peuvent être lourds à porter : « Je ne suis pas un sentimental, ça rentre et sort. Ce qui est capital, c’est de savoir qu’on a fait son boulot. Il est important pour moi c’est d’avoir de l’empathie pour mes clients sinon je ne prends pas le dossier et je dois absolument pouvoir trouver une stratégie. Et de donner cet exemple : J’ai hérité d’un dossier où le client dont la version de l’affaire m’empêchait de trouver cette stratégie. J’ai donc rendu visite à celui-ci 1 mois avant le début du procès, il a continué à nier. Je suis retourné à la prison 8 jours avant le début du procès et lui ai fait savoir que s’il n’avouait pas le premier jour, je refuserais le dossier. Résultat, il a été condamné à 9 ans de prison au lieu des 30 qu’il risquait. »
Il y a d’autres victimes qui m’ont marqué à vie. En voilà deux : Natacha dont le petit ami lui avait fait croire qu’elle avait de l’acné vénérienne. Un de ses amis a monté plusieurs faux sites internet. Elle dialogue avec des personnes qui n’existent pas. Son petit ami, d’une jalousie maladive, l’a convaincue qu’elle ne pouvait avoir des petits amis à part lui. Le jour où elle tombe amoureuse d’un autre et qu’il voit qu’il la perd, il se rend compte que si son ami parle, Natacha se rendra compte qu’en fait elle s’est fait violer et va porter plainte. Pour échapper à une arrestation et une condamnation, il l’enlève et la tuera à coup de bâton.
Une autre affaire inoubliable est le viol de trois petites filles violées par leur père. Celui-ci n’admettra jamais les faits. Les victimes ont eu des réactions très différentes, l’une ne parle pas et pleure aussi bien dans son cabinet qu’au tribunal. La troisième est représentée par un avocat du tribunal de la jeunesse.
Une fois la peine prononcée, la situation a totalement changée. L’aînée qui avait parlé, fera une dépression que ni médecin ni les hospitalisations n’arriveront pas à l’enrayer. Elle est brisée. La cadette, elle, après les larmes a retrouvé un équilibre.
Voilà ce qui peut décrire un avocat. Un jour défendant des gens qui ont commis des actes innommables et puis venir en aide auprès des victimes, comme les veuves du Rwanda.
Frédéric Clément de Cletyest mort dans la nuit du mardi 1er septembre au mercredi 2 septembre 2015.
Source : www.lalibre.be et www.crimes-et-chatiments.be