LE JUGE FRANÇOIS RENAUD

François Renaud est né le 5 mars 1923 à Hao Giang Tonkin.

LYON : « CHICAGO-SUR-RHONE »

Au début des années 1970, le juge Renaud était une figure emblématique de la magistrature française pour sa lutte sans merci contre la pègre lyonnaise qui, à cette époque, avait quasiment pignon sur rue dans la capitale des Gaules rebaptisée « Chicago-sur-Rhône ».

Dans ses dossiers, la grande criminalité faisait bon ménage avec la politique. Le juge Renaud y croisait des notables qui ne cachaient pas leur appartenance au Service d’action civique (SAC), la milice barbouzarde de l’UDR, le parti gaulliste, réactivé avec les événements de mai 1968.

En enquêtant sur le « gang des Lyonnais », un groupe de braqueurs chevronnés, le juge Renaud découvrit qu’une partie du fabuleux butin de 12 millions de francs (1,8 million d’euros) dérobé lors du braquage de l’hôtel des Postes de Strasbourg, en 1971, avait fini dans les caisses de l’UDR. Il n’avait pas de preuves, mais il les cherchait. Ce qui ne plaisait pas à tout le monde…

Plusieurs années après, Edmond Vidal, le chef du « gang des Lyonnais » mis en prison par le juge Renaud, confirma publiquement à la télévision qu’une partie de l’argent avait bien été versée à un parti politique.

UNE ENQUETE BACLEE

Mais, dans la nuit du 2 au 3 juillet 1975, le juge François Renaud est abattu de plusieurs balles en bas de son domicile, à Lyon, par trois hommes cagoulés qui réussirent à prendre la fuite.

L’annonce de sa mort fut un choc. C’était la première fois, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, qu’un juge était assassiné en France. Nommé premier juge d’instruction du palais de justice de Lyon en 1972, après avoir fait ses classes en Afrique, François Renaud était surnommé « le shérif » en raison de ses méthodes peu orthodoxes et plutôt musclées pour mener les instructions.

Dandy et homme à femmes, il était aussi un des fondateurs du syndicat de la magistrature créé dans le sillage de Mai 68.

La veille de son assassinat, le juge Renaud avait confié à son fils Francis, alors âgé de 20 ans, qu’il était sur une grosse affaire et qu’il risquait, peut-être, sa vie.

Il n’en a pas su plus.

Après la mort de son père, Francis Renaud n’a pu que constater, impuissant, que l’enquête était bâclée : lâchage par les politiques, dysfonctionnement dans la police, dénigrement de son père et mort de l’assassin présumé abattu par la police. De plus, le dossier sur la mort du juge passa de main en main pour mieux s’enliser. Il sera suivi par six juges d’instruction dont le dernier, Georges Fenech (élu depuis député UMP du Rhône en 2002), signera une ordonnance de non-lieu en 1992. La prescription de l’affaire sera prononcée en 2004 sans que l’identité des commanditaires ait pu être établie.

Quarante ans après, Francis Renaud, auteur de Justice pour le juge Renaud (Editions du Rocher, 2011), a repris l’enquête avec le journaliste Patrice du Tertre et livre ce documentaire en forme de journal de bord dont on connaît la fin. De retour à Lyon, il y rencontre de nombreux protagonistes qui se sont occupés de l’affaire.

Magistrats, policiers, journalistes ainsi que la greffière du juge à l’époque, tous pointent les incohérences de l’instruction et le malaise lorsque l’on tente de rouvrir ce dossier. Structurée par de nombreuses archives accablantes pour les politiques de l’époque, cette enquête sur l’assassinat du juge Renaud montre que cette affaire reste une tache noire dans l’histoire de la République.

Le juge Renaud, c’est 1 500 affaires instruites en six ans.

C’est, surtout, l’arrestation du « gang des Lyonnais », à l’origine d’une quarantaine de « coups », dont le célèbre casse de l’hôtel des Postes de Strasbourg, en 1971.

Dans les jours qui suivent l’assassinat, l’implication de l’organisation criminelle s’impose donc comme l’hypothèse la plus plausible. Mais quarante après, il persiste de nombreuses zones d’ombre, et une question, qui n’a jamais cessé de tarauder Francis Renaud, le fils du magistrat, réalisateur du présent documentaire : l’élimination du juge n’aurait-elle pas été fomentée à un niveau politique ?

Plusieurs intervenants du film le laissent entendre, en revenant sur la porosité entre le gang et le Service d’action civique (SAC), cette milice de droite soupçonnée de financer les campagnes électorales de l’UDR, ancêtre du RPR…

L’enquête durera dix-sept ans et verra défiler six juges d’instruction. En 1992, une ordonnance de non-lieu est rendue, alors que de nombreux témoins, parmi lesquels Nicole Renck, l’ancienne greffière du juge Renaud, n’en reviennent toujours pas de ne jamais avoir été auditionnés. Étrange, en effet…

Le documentaire rappelle par ailleurs les viles attaques dont le juge fera l’objet après sa mort, de la part, notamment, du garde des Sceaux Alain Peyrefitte, que l’on revoit, sur un plateau de l’émission les Dossiers de l’écran, le 7 novembre 1979, disserter doctement sur la personnalité du défunt. Soulignant que François Renaud a commencé sa carrière en outre-mer, le ministre de la Justice le qualifie de « juge colonial », aux « manières (…) plus courantes dans la brousse qu’en France métropolitaine ».

Au terme de sa propre enquête, déclinée également en livre, Francis Renaud ne peut que faire part de son intime conviction : pour lui, son père a été assassiné pour raisons politiques. Difficile de le prouver, maintenant que les faits sont prescrits. Reste la mémoire d’un juge exemplaire et l’hommage d’un fils.

Ci-dessous, un chapitre se rapportant au juge François Renaud contenu dans le livre « L’histoire vraie du gang des Lyonnais » du journaliste Richard Schittly » :

« Le 3 juillet 1975 à 2 h 30 du matin, le juge François Renaud rentre chez lui, avec sa compagne. Il vient de passer une soirée chez des amis, quai Gillet, sur la rive gauche de la Saône, au niveau de l’Île Barbe.

Au volant de sa BMW 2002 beige, il traverse la rivière, emprunte la Montée de l’Observance. Il réside au 89, au premier étage de l’immeuble la Vigie. Il gare sa voiture à la première place disponible, quatre-vingts mètres en contrebas.

Le couple remonte à pied la rue déserte, entre les parois de l’imposant fort de Loyasse et les hauts murets des propriétés privées. Une voiture claire arrive à leur hauteur, avec plusieurs hommes à bord. Côté passager, une vitre se baisse.

Le magistrat et sa compagne croient un instant qu’un automobiliste cherche son chemin. À la vue des cagoules et de deux armes pointées dans leur direction, ils comprennent. Le temps d’un sursaut de recul, deux premiers coups de feu claquent, sans atteindre leur cible.

François Renaud passe derrière la voiture qui a calé.

Il dévale la pente en zigzaguant, entraînant sa compagne. La voiture fait une marche arrière. Le magistrat se cache derrière une Volkswagen Coccinelle. Des salves déchirent la nuit.

Les projectiles frappent la carrosserie. François Renaud se baisse, protège la jeune femme. Ils sont blottis contre la roue arrière de la Coccinelle. Un homme descend de la voiture claire, approche inexorablement. Il tire deux coups de feu.

Le juge s’effondre dans le caniveau. Le tueur frappe d’un coup de pied dans les reins et tire un coup de grâce dans la nuque du magistrat. La voiture part en direction de Loyasse.

Sa compagne donne l’alerte.

Son fils Francis compose le 17 : Mon père a été victime d’un attentat.

Il sort. Découvre le corps de son père inanimé. Une voiture passe, ne s’arrête pas.

Pompiers, police, Samu arrivent. Une heure plus tard à l’hôpital Edouard-Herriot, sa mort est annoncée. Pour la première fois en France, un juge d’instruction a été assassiné.

Le drame soulève une indignation nationale. Le ministre de la Justice, Jean Lecanuet, vient assister à la levée du corps à l’institut médico-légal. Il fait une déclaration solennelle :

– Je suis ici au nom du gouvernement et de la justice française pour rendre hommage au sacrifice de François Renaud, pour dire à ses enfants notre indignation, notre émotion, notre amitié. Je suis ici pour dire non aux assassins. Qu’ils sachent que vous, comme moi-même, n’allons pas relâcher, mais renforcer notre combat contre la terreur. La justice ne cédera pas. La sécurité des Français sera assurée. Ensemble nous relèverons l’intolérable défi du crime. »

La gravité de ses propos est accentuée par un contexte marqué par la recrudescence du terrorisme de toutes obédiences.

Lorsqu’il évoque le « combat contre la terreur », le ministre a en tête la mort de deux inspecteurs de la DST abattus à Paris en suivant la trace de Carlos, six jours avant l’assassinat du juge.

Le 15 septembre 1974, un attentat au drugstore Publicis du boulevard Saint-Germain fait deux morts et trente-quatre blessés. Le 19 janvier 1975, c’est une prise d’otages à l’aéroport d’Orly. Sans compter des épisodes sanglants du grand banditisme comme la fusillade du bar du Thélème, avec trois morts, dont un policier, à Paris le 28 février. L’assassinat d’un juge porte au paroxysme cette vague de violences.

Conformément à ses vœux, François Renaud est inhumé au cimetière du Père-Lachaise, dans une concession familiale. En Saône-et-Loire, sur ses terres maternelles, un notaire détient une enveloppe cachetée, à ouvrir « en cas de malheur ». Elle est adressée au procureur de la République de Lyon, Pierre Blaes. Le procureur découvre une lettre datée du 17 septembre 1972.

Sept feuillets noircis de la main du juge Renaud. Le magistrat se justifie après la campagne de calomnie qui le mettait en cause en marge des scandales de Lyon.

On avait pointé ses sorties nocturnes, supputé ses mauvaises fréquentations, alors qu’étaient démantelés les bordels de la ville. Par un geste posthume, le magistrat assure que son intégrité professionnelle n’a pas eu à souffrir de son style de vie. Cette époque semble bien lointaine à l’heure du drame.

À Lyon, l’assassinat du personnage emblématique provoque un séisme. Le monde judiciaire est tétanisé d’effroi. Chacun livre ses ultimes souvenirs, comme pour retracer ses derniers instants.

On se dit qu’il n’aurait pas connu ce sort impitoyable s’il avait gardé sur lui son pistolet 7,65. Il avait obtenu un port d’arme, à la suite de sérieux incidents avec la faune qui défilait dans son cabinet.

Un jour, cours Vitton dans le 6e arrondissement de Lyon, il avait brandi le pétard au cours d’une altercation avec un automobiliste. L’affaire s’était arrangée mais on l’avait prié de remiser l’arme. Le jour du drame, il aurait aussi pu sauter un muret pour échapper à ses agresseurs. Il est resté aux côtés de sa compagne, jusqu’au bout.

Louis Fouletier, son collègue du parquet, dit : Il est mort en chevalier.

Gérard Thomassin est le dernier avocat à l’avoir vu vivant.

Le 2 juillet en fin de journée, il vient déposer une demande de mise en liberté. Il le croise à la sortie de son bureau. Le pénaliste l’a souvent mis en garde contre les dangers qui s’accumulaient. Son ami Renaud repoussait d’un revers de main. Avant de quitter le palais, le juge, parapluie en main, est passé à la cour d’assises. Il est allé voir le procès d’Alain Benjelloul.

Un de ses clients les plus remontés, qui n’avait pas hésité à lui jeter un encrier à la figure lors d’un interrogatoire. Condamné pour hold-up et prise d’otages en 1971, évadé de Saint-Paul par une échelle en 1972, Benjelloul avait été repris après un braquage à Tassin.

Renaud ne l’avait pas ménagé.

Il quitte la salle sans attendre le verdict de vingt ans de réclusion, qui s’ajoute à une précédente peine à perpétuité.

Dix jours avant sa mort, le juge a déjeuné avec André Soulier, rue Saint-Jean.

Malgré un combat judiciaire acharné, l’avocat garde contact avec le magistrat. À table, ils évoquent la possibilité d’un poste de président de tribunal, moins exposé.

André Soulier confie : C’était prémonitoire.

Trois jours auparavant, le journaliste Robert Daranc avait aussi partagé un déjeuner, au restaurant «La Grillade », rue Simon-Maupin. Le reporter se souvient : Je l’entends encore me dire qu’il s’apprête à s’attaquer à l’affaire de Strasbourg.

Un assassinat commandité pour interrompre des investigations gênantes ?

La rumeur court la ville dans les jours qui suivent le décès du magistrat. On évoque des visites menaçantes, d’émissaires envoyés par le service d’action civique.

A l’époque, le casse de Strasbourg est synonyme de financement politique occulte. Les supputations vont bon train. Trop vagues pour fournir une piste concrète.

La police judiciaire est assaillie de demandes de rapports par les hautes sphères ministérielles. Les enquêteurs décident de prendre l’enquête à la base, sans se perdre en conjectures.

L’arme du crime : des projectiles de calibre 38 spécial, de la marque allemande Geco, aux ogives en plomb enveloppées d’étuis en laiton. Les griffures du métal mortel, étudiées par la balistique, indiquent que deux revolvers ont été utilisés. Très curieusement, deux lots de cartouches identiques sont trouvés par des riverains le jour même, disséminés sur le sol, dans deux rues du 9e arrondissement, avenue Sidoine-Apollinaire et rue Gorges-de-Loup.

Les huit projectiles font penser à une improbable version du petit Poucet.

Signes d’une équipe désorganisée ?

Façon pernicieuse d’égarer les enquêteurs ?

En poursuivant le ratissage du secteur, les enquêteurs trouvent la voiture, à 1,7 kilomètre du lieu du crime : une Audi 80 GL de couleur jaune moutarde.

Elle est abandonnée, vitres baissées, sur le parking d’un immeuble, 44, rue Pierre-Audry à Vaise. Un riverain affirme l’avoir vue deux jours plus tôt, garée sur le même parking, par un homme seul. À l’intérieur, deux cartouches sont trouvées au pied du siège arrière.

Même calibre, même marque, elles prouvent qu’il s’agit du véhicule utilisé par les tueurs. L’Audi a été volée le 1er juillet, dans la cour d’une entreprise, Grande Rue de Saint-Cyr, à Vaise. Un témoin rapporte le passage d’une moto vert et noir dans la cour, l’après-midi du vol.

L’immatriculation de l’engin se terminait par « WW 69 ». Les recherches d’une moto neuve dans tous les garages de la région ne donnent rien.

Si les policiers ont une idée plus précise sur la voiture et l’arme du crime, ils manquent cruellement de pistes pour remonter rapidement aux auteurs. Il leur faut chercher le mobile. Un large éventail s’ouvre à eux.

Le juge Renaud était la cible de menaces, depuis plusieurs mois, d’abord diffuses, de plus en plus pressantes. Après les cris vindicatifs des détenus sur les toits de la prison Saint-Paul en 1973, il a été l’objet d’un tract rageur, distribué en marge d’un procès d’assises, le 17 mars 1975. Deux hommes étaient jugés pour une tentative de vol à l’arraché.

L’affaire aurait pu passer en correctionnelle, le juge d’instruction avait retenu une qualification criminelle. Vengeance du juge, selon le Comité d’action de prisonniers. Un des deux accusés, Daniel Boiron, avait été acquitté dans une précédente affaire d’agression à main armée, après avoir passé deux ans en détention préventive, sur instruction du juge Renaud. L’ambiance du procès a été électrique. Les deux hommes ont été condamnés de dix ans de réclusion.

Dans la salle d’audience un étudiant en sociologie a crié : « Salopards ! »

Interpellé, il a été condamné à 500 francs d’amende pour outrage. Le lendemain, son professeur en sociologie diffusait un autre texte. Le professeur Daniel Prieto écrivait sans retenue : « La liste des faits évoqués à la charge du juge Renaud démontre la nature criminelle de cet individu. » Il concluait ainsi sa violente diatribe : « Coller dix ans de réclusion criminelle pour une simple tentative de vol sans même de violences, c’est purement et simplement de l’incitation, de la provocation au meurtre… Ces deux jeunes, quand ils sortiront, seront fous furieux et ils n’auront plus qu’une idée en tête : TUER… »

Le dernier mot est écrit en lettres capitales. Le professeur a été poursuivi pour diffamation, injures publiques et outrage à magistrats.

Les ennemis du juge ne se comptent plus dans un environnement professionnel devenu délétère. Les policiers se plongent dans les mille cinq cents dossiers traités ces dernières années par le magistrat. Ils dressent une liste d’une centaine de malfaiteurs les plus suspects. Ils étudient chaque cas, mènent une trentaine de perquisitions. Sans résultat. Les regards se tournent vers le gang des Lyonnais.

Le dossier le plus récent, parmi les plus brûlants.

Depuis six mois, l’instruction s’était figée dans la défiance mutuelle. Une rumeur sourde attribue au gang la faculté d’avoir téléguidé l’opération depuis la prison. Le raisonnement est le suivant : le juge a incarcéré les femmes des suspects, il a touché un point d’honneur qui a propulsé l’affaire en dehors des codes classiques du Milieu, provoquant une imprévisible réaction. La rumeur larvée s’agrémente de scénarios les plus élaborés : en tuant le magistrat, les gangsters changeront de juge et obtiendront la libération de Jeannette qui puisera dans leur trésor de guerre pour financer leur évasion !

Déformées, enjolivées, impalpables, le flot de suspicions sur le gang des Lyonnais trouve une source dans deux documents policiers confidentiels. Deux mois avant l’assassinat du juge, un inspecteur principal du détachement de Grenoble de la PJ a évoqué le déménagement d’un garage appartenant au gang. Selon ce procès-verbal de deux pages, daté du 2 mai 1975, un détenu de Bourgoin aurait passé un message à deux Corses pour nettoyer une planque du gang.

Le 13 juin 1975, un second procès- verbal a apporté des précisions. Il était cette fois question de trois garages, dans lesquels armes, matériel et voitures avaient été déménagés.

Dans ce PV de renseignement, l’inspecteur a signalé un projet d’enlèvement du juge Renaud, qui devait favoriser la libération de Lyonnais et celle d’« un italien récemment condamné à la réclusion criminelle à perpétuité ».

Sans le nommer, l’inspecteur a fait allusion à Mario Falbo, condamné pour un hold-up perpétré rue de la Bourse à Lyon. Lequel Falbo sera arraché par un commando de six hommes au cours d’un transfert entre la centrale de Nîmes et un cabinet dentaire.

Les connaisseurs du Milieu lyonnais affirment que les frères Alain et Régis Roche auraient participé à l’opération. S’il ne nomme pas l’Italien, le procès-verbal a en revanche directement cité le gang des Lyonnais dans cette velléité d’enlever le juge.

L’inspecteur poursuivait : « Le projet a été abandonné comme trop aléatoire. » Toutes ces hypothèses se basent sur des confidences d’un informateur anonyme. Il est donc bien difficile d’en apprécier la véracité. Aucun élément tangible n’est venu accréditer ce prétendu projet. Mais les deux notes produisent un effet collatéral : alimenter la suspicion autour du gang des Lyonnais.

De manière plus souterraine encore, le doute a été accentué par un incident connu du seul monde judiciaire, jamais révélé. Dans les semaines qui précédaient le crime, des membres du gang étaient transférés au palais de justice pour des auditions. Au cours d’un de ces déplacements dans les couloirs, un policier de l’escorte affirme avoir entendu un prévenu dire en substance : Bientôt on n’entendra plus parler de ce juge.

Ces paroles ont été rapportées au procureur. Elles n’ont jamais été consignées par écrit. Les policiers n’ont pas voulu prendre le risque de s’exposer par une mise en cause aussi lourde.

Il est d’ailleurs difficile d’en faire une interprétation tranchée.

S’agissait-il d’une parole en l’air, inspirée par une colère sans réelle intention ?

Ou d’une simple allusion à la démarche entreprise par les avocats, qui s’apprêtaient à demander un dessaisissement du magistrat ?

À moins qu’un second couteau ait cru bon de fanfaronner?

Dernière possibilité: le Milieu savait que quelque chose se tramait. Un tel propos ne ressemble pas aux membres éminents du gang, avares en paroles, extrêmement prudents. Un ancien fonctionnaire des escortes confie : Avec Edmond Vidal nous n’avons jamais eu un problème, jamais un mot plus haut que l’autre.

En tout état de cause, cet incident, ajouté aux notes de Grenoble, a laissé des traces dans l’esprit des enquêteurs et des magistrats.

De sa prison, Edmond Vidal entend la rumeur, découvre les articles de journaux, s’offusque qu’on puisse dire qu’il aurait menacé le juge dans son bureau alors qu’il a refusé de lui répondre. Il fait passer une lettre aux avocats. Elle est publiée le 7 juillet 1975 dans Le Progrès : « Je tiens à vous exprimer mon indignation de voir figurer en sous- entendus, évidemment, le gang des Lyonnais mêlé à cette affaire, le lâche assassinat que je réprouve totalement. »

Une version remaniée par les avocats paraît dans Paris Match, le 19 juillet suivant. Edmond Vidal reconnaît désapprouver les méthodes du magistrat mais réfute tout rôle dans son élimination. Aujourd’hui encore, le sujet reste sensible.

À propos de l’assassinat de Renaud, la réponse fuse. Un ancien membre du gang dit et répète : Quand j’ai appris sa mort je n’ai pas pleuré, dans l’heure qui a suivi je me suis dit qu’on allait nous la mettre sur le dos, ça n’a pas manqué, s’en prendre au juge qui fait notre instruction c’est forcément se mettre dans le pétrin, jamais on n’aurait fait ça.

Le 8 juillet 1975, Hubert Ogier, doyen des juges d’instruction, chargé de l’information judiciaire sur l’assassinat du juge Renaud, déclare à la presse : « J’ai aujourd’hui l’intuition que les coupables ne courront pas longtemps. »

En réalité, l’enquête est en plein brouillard. Comme s’il fallait conjurer le crime porté au cœur de l’institution, la justice ne lâche pas l’instruction consacrée au gang des Lyonnais. Dès le 10 juillet 1975, une « requête en remplacement d’un juge d’instruction » est signée du procureur de Lyon.

Le dossier des braquages est confié au juge Georges Riveslange, vice-président du tribunal. Lequel délivre dès le lendemain une commission rogatoire au SRPJ pour poursuivre les investigations sans désemparer. D’origine méridionale, le magistrat a la réputation d’un travailleur méticuleux. C’est lui qui avait instruit avec méthode la première affaire de fausses factures au début des années soixante-dix. Un de ses proches collègues se souvient : Il est tout le contraire de Renaud. Quelqu’un du midi, débonnaire en apparence, très sérieux, compétent, connaissant très bien la procédure, il n’a aucun engagement personnel dans ses dossiers, alors que Renaud faisait son affaire de tout.

Discret, courtois, le juge Riveslange donne immédiatement le ton aux avocats. Il poursuivra le dossier sans faillir, avec science et patience. Jeannette reste sous mandat de dépôt. Les autres détenus sont maintenus à l’isolement. Il est même décidé de les répartir dans d’autres maisons d’arrêt. Et de changer leurs affectations tous les trois mois. Depuis le mois de juin, la police a de nouveau vent de velléités d’évasions. Edmond Vidal passe par la maison d’arrêt de la Talaudière, près de Saint-Étienne, avant d’atterrir à Bourgoin-Jallieu, dans l’Isère. Pierre Pourrat est transféré de Trévoux dans l’Ain, à Valence dans la Drôme. À cette époque, les dossiers sont éparpillés dans différents ressorts judiciaires, calqués sur les pérégrinations du gang.

Durant l’été 1975, Jean-Pierre Gandebœuf, Michel Silmetzoglou et Pierre Zakarian sont transférés à Béthune pour des auditions dans le cadre des hold-up de Lens et Valenciennes. Les gangsters sont aussi passés au tribunal de Riom dans le Puy de Dôme. La presse suit leur « tour de France » judiciaire en attendant que tous les dossiers soient finalement regroupés au tribunal de Lyon.

C’est alors qu’un nouveau coup du sort secoue l’histoire du gang des Lyonnais. Pierre Pourrat, dit le Docteur, alias Patrick, s’évade de la maison d’arrêt de Valence ! L’administration n’a visiblement pas transmis les recommandations nécessaires à sa surveillance.

À peine arrivée en cellule, l’éminence grise du gang des Lyonnais se met en cheville avec un jeune détenu, bientôt libérable. Il s’associe à deux autres prisonniers, Roger Roussel, 24 ans, condamné à dix ans de réclusion pour vol qualifié, et Jean Mathieu, 37 ans, inculpé de vol qualifié et abus de confiance. Dimanche 19 octobre 1975, jour de promenade. À 8 h 20, vingt-quatre détenus tournent dans la cour de la prison. Journal sous le bras, Pourrat distribue des cadeaux. Cigarettes, revues, cigares. Soudain, il donne le signal. Il jette une savonnette par-dessus le mur. Une voiture klaxonne dans la rue.

C’est maintenant !

Aimé Berthiaud, codétenu libéré cinq jours plus tôt, apparaît sur le second mur d’enceinte. Au même moment, Pourrat, Roussel et Mathieu escaladent le premier mur d’enceinte, passent sur le toit du préau, sautent cinq mètres plus bas. Ils atteignent le chemin de ronde. Une arme est lancée à Pourrat. Il tient en respect un surveillant. Avec cette formule qui entre dans la légende : « Fais pas le con, tu vas pas te faire buter pour 2 000 balles par mois ! »

Une échelle de corde est déroulée côté cour. Côté jardin, une échelle coulissante est déployée, posée sur une camionnette volée dans le Vaucluse. Le trio passe à l’air libre et s’engouffre dans une Simca 1301 de couleur bleue. Clin d’œil de l’histoire, ce même lundi 20 octobre 1975, à Paris, un certain François Besse réussit une évasion qui s’ajoute à sa collection mythique.

À Lyon, l’heure n’est pas aux sifflements d’admiration. La belle de Pourrat provoque une nouvelle polémique. Pour les policiers, sa capacité à mener à bien une telle entreprise est bien la preuve de son envergure criminelle. Une confirmation en guise de maigre consolation. Ils enragent du raté administratif qui les prive du personnage tant recherché. La situation est incandescente. La chute du gang des Lyonnais provoque de forts remous dans le Milieu. Des gâchettes incontrôlables semblent vouloir se placer dans une recomposition troublée.

Le 1er septembre 1975, une fusillade en règle a fait trois morts et six blessés au bar la Trinité, dans le quartier du Vieux-Lyon. On évoque une jalousie à l’origine d’un contentieux. Les proportions prises semblent relever d’un personnage qui veut marquer son territoire. De septembre à décembre, des écoutes téléphoniques branchées sur l’entourage familial de Jean-Pierre Gandebœuf laissent entendre d’autres projets d’évasion. Les conversations font allusion à l’aide attendue de « Maître Roland. » Les policiers sont persuadés que le nom codé fait référence à Roland Lièvre, personnage actif du milieu lyonnais, qui a croisé la route des gangsters à plusieurs reprises, notamment à Strasbourg.

Le dossier d’instruction s’étoffe progressivement. L’analyse détaillée des scellés commence à dresser l’inventaire de l’œuvre présumée du gang des Lyonnais.

Une confrontation générale est fixée le 3 décembre 1975. Quinze prévenus, neuf hommes et six femmes, sont rassemblés dans la salle du petit dépôt, placée sous haute surveillance.

Le magistrat souhaite passer en revue les charges accumulées, évaluer les rôles de chacun, fixer les positions. La matinée se déroule assez classiquement. L’après-midi, l’instruction judiciaire bascule dans une autre dimension. Quand le juge aborde la question des itinéraires, Edmond Vidal et Jean-Pierre Gandebœuf endossent la conception des tracés.

En même temps, ils évoquent l’intervention d’un troisième personnage. Ils laissent entendre que tout ça répondait à des commandes supérieures. En réalité, ils avaient amorcé un virage dans leurs précédentes auditions, un mois auparavant. Dans un interrogatoire du 4 novembre 1975, Edmond Vidal, le premier, avait lâché une allusion mystérieuse à propos des tracés sur les cartes routières : « J’ai une raison si j’ai entouré le nom de certaines localités, mais je ne veux pas vous dire, ou plus exactement je ne peux pas vous la dire. C’est un élément indépendant de moi, je ne peux pas en dire davantage. »

Cette réponse énigmatique passait inaperçue. « Je ne peux pas vous dire » : que sous-entendait-il par là ? Six jours plus tard, Jean-Pierre Gandebœuf adoptait la même position, avec un sens aigu du suspens : « J’ai bien tracé des itinéraires sur des cartes et des cahiers mais ces opérations n’ont aucun caractère délictueux. Je sais peu de choses et je ne peux révéler le peu que je sais. Je pense que nous avons été manipulés pour tout ce qui concerne les itinéraires et les cartes. Je me réserve de parler un jour, peut-être. »

Jusqu’ici, Jean-Pierre Gandebœuf avait toujours parlé d’un complice impliqué dans la fraude fiscale et le trafic de devises. Ce qui fournissait une explication aux papiers et billets trouvés dans la planque des Terreaux. Dès la garde à vue, il avait servi cette version, il s’y tenait, imperturbable. Un simple service rendu à un ami, c’était un peu court pour justifier des cartes géographiques et des cahiers d’itinéraires.

Deux membres du gang ont donc choisi de modifier leur position. Ils agitent le spectre d’une manipulation qui pourrait tout expliquer.

Au beau milieu de la confrontation générale de décembre 1975, cette thèse est ainsi reprise, amplifiée. Le ton se fait grave. Les deux hommes affirment que leurs activités cachaient des actions à caractère poli- tique. Quand le juge aborde à nouveau la question des itinéraires, Jean-Pierre Gandebœuf avance : « Je sais à quoi ils servent, je ne peux pas le dire pour l’instant. Ce que je peux dire c’est qu’ils n’ont pas servi à commettre des hold-up. »

Quand le juge questionne sur une clé de garage gros format, Edmond Vidal va plus loin : « Je peux simplement dire qu’à l’intérieur était stationnée une voiture officielle. Il s’agissait d’une R16 noire et l’on était presque salué lorsqu’on circulait à bord. Dans ce garage, il y avait également une armoire blindée, contenant des cartes avec des itinéraires d’autres mains, des fiches. Il y avait d’autres choses, mais je ne peux pas en dire davantage. »

Selon lui, la voiture disposait de jeux de plaques administratives et d’un macaron tricolore.

À la sortie du palais, ces propos sont répercutés par les avocats à la presse. Les défenseurs distillent les sous-entendus. Ils promettent des révélations complémentaires. Sur le coup, cette proclamation fait l’effet d’une bombe, en gros titres dans les journaux. On en frissonne, on espère des vérités inédites. Le gang des Lyonnais était depuis longtemps entouré d’un halo mystérieux. L’ombre du parrain Augé, l’éclat du château de Fléchères, les mystères du casse de Strasbourg, nourrissaient des présomptions sur ses liens avec des forces politiques occultes, au premier rang desquelles le service d’action civique. Et voilà que deux membres du gang donnent corps à cette antienne du grand complot.

C’est un changement radical dans le système de défense des gangsters. Avec cet avantage : l’attention est focalisée sur la question politique. Les braquages passent au second plan. Les gangsters font à nouveau preuve d’un redoutable sens tactique.

C’est tout juste s’ils ne dictent pas aux avocats la marche à suivre. Joannès Ambre reconnaît d’ailleurs qu’il a été prévenu à la dernière minute de ce changement de cap. Les Lyonnais puisent certains éléments véridiques dans le passé du gang. À l’époque du règne de Jean Augé, une bonne part des butins passait effectivement entre des mains politiciennes. Dans les stands de tir, Joanny Chavel fréquentait bien des fonctionnaires à double casquette. Henri Regef, dit le Colonel, suicidé après l’arrestation du gang, n’était pas le dernier à assurer les liaisons. Les fondateurs du gang disposaient de faux documents estampillés préfecture, autant qu’ils obtenaient des bons tuyaux, en échange d’un retour sur investissement. Momon et Christo omettent de dire que ce passé est révolu. Précisément parce qu’ils ont renversé le pouvoir des anciennes figures pour échapper aux logiques barbouzes.

Augé et Chavel ne sont plus là pour démentir ou confirmer. Et pour cause. Si elle se doute que leurs disparitions ne sont pas innocentes, la justice en ignore l’origine exacte. Portés par leur petit effet, les leaders du gang en remettent une couche à chaque occasion. Dans un interrogatoire du 30 janvier 1976, il est encore question des itinéraires que viennent d’étudier en détail les enquêteurs. Edmond Vidal reconnaît son écriture sur les cahiers des cavales. Il répète : « Cette reconnaissance d’itinéraire correspond à quelque chose que je garde pour moi et que je ne peux révéler. »

Il ajoute une petite variante : « Je précise que celui qui me remettait la carte n’a pas toujours été la même personne. Je ne peux pas vous dire qui c’est. En fait, il y a eu deux personnes. »

La police judiciaire ne se laisse pas berner. Jamais, au cours des deux ans de traque serrée, la PJ n’a vu apparaître des acteurs politiques dans le sillage des jeunes gangsters. Pour le commissaire Richard, leurs déclarations tonitruantes tiennent d’une « grossière mise en scène ». Il en a confirmation, à travers une écoute téléphonique, cinq jours après la confrontation judiciaire. L’ex-épouse de Christo s’inquiète de la tournure des événements. Augustin Sorba, dit Gut, anciennement impliqué dans les scandales de Lyon et lui-même suspecté d’avoir mélangé les genres, sait de quoi il parle.

Il dit au téléphone que le gang a bien raison de « noyer le poisson ». À partir de là, l’image publique du gang des Lyonnais se modifie. Les garçons donnent l’impression de pions dépassés par une vaste organisation. Un arbre qui cache une forêt : leur rôle s’en trouve relativisé. Cette stratégie aura une énorme incidence à l’heure du procès.

À Lyon, un événement chasse l’autre dans une frénésie criminelle incessante.

Mardi 9 décembre 1975, la pègre frappe la famille Mérieux. Le nom n’est pas seulement celui des laboratoires pharmaceutiques mondialement connus. Il est synonyme d’une dynastie lyonnaise de haute tradition. Le petit Christophe Mérieux, 9 ans, est enlevé sur le chemin de l’école, dans le 6e arrondissement. Les ravisseurs réclament une rançon de 20 millions de francs.

Le Premier ministre, Jacques Chirac, ami de la famille, intervient directement pour que l’opération de sauvetage soit menée dans le plus grand secret, contre l’avis du ministre de l’Intérieur, hostile au paiement d’une rançon. Alain Mérieux, père de l’enfant, est amené à suivre un sinistre jeu de piste, seul. Il arrive jusqu’à la cour d’une ferme, à Saint-André-de-Corcy, dans l’Ain.

Trois malfaiteurs récupèrent l’argent avec fébrilité. Ils en oublient un des sept sacs. Le lendemain, ils téléphonent pour signaler que l’enfant a été abandonné dans une poubelle, avenue Jean-Jaurès, dans le 7e arrondissement. Christophe a pu se libérer tout seul. Il est raccompagné chez lui par un automobiliste. L’enquête ne tarde pas à progresser. En repassant la bande magnétique des appels, la voix aiguë d’un ravisseur retient l’attention. Il agrémente ses exigences de « conditions sine qua non ». À la PJ on s’interroge : « Merde, un truand latiniste, qu’est-ce que ça veut dire ? »

Un indicateur met les policiers sur la piste. Un inspecteur du GRB confirme. Marcel Aillot a récemment mené une enquête dans le Nord. Il avait interrogé un truand lyonnais qu’on croyait rangé.

La voix est celle de Louis Guillaud, 46 ans, dit La Carpe en raison du mutisme qu’on lui prête. Guillaud est interpellé à Paris, alors qu’il vient de convertir 1,8 million en lingots d’or dans des bureaux de change du quartier de l’Opéra. Il s’agit des billets de la rançon. Sa photo diffusée dans la presse inspire une lettre anonyme adressée à la PJ. Une femme dit l’avoir vu récemment tout près de chez elle. Ce qui conduit les enquêteurs au 9, de la rue de la Commune-de-Paris, à Oullins, au sud de Lyon. Dans l’appartement, les empreintes de l’enfant confirment qu’il a été séquestré ici. D’autres empreintes désignent un complice : Jean-Pierre Marin.

Ce nom résonne très fortement aux oreilles des policiers. Marin est cité depuis quelques mois, avec insistance, dans l’enquête sur l’assassinat du juge Renaud. L’affaire Mérieux et l’affaire Renaud se télescopent. Dans les jours qui ont suivi l’assassinat du juge, des indicateurs ont livré des noms, des descriptions de la scène du crime.

Les versions ont varié. Elles se recoupent sur plusieurs points. Selon ces sources, le commando aurait été constitué de trois à cinq hommes, ils auraient utilisé une ou deux voitures. Un indic évoque l’utilisation de talkie-walkie. Un autre précise la position des tueurs dans la voiture.

Ces indications ont été regroupées et consignées dans un « rapport d’information », daté du 2 janvier 1976, signé du commissaire divisionnaire Pierre Richard. Le document de treize pages, auxquelles sont jointes trois fiches de renseignements, a été classé « confidentiel ».

Il a été imprimé à cinq exemplaires. Trois indicateurs apparaissent sous des noms de codes : Alpha, Beta, Gamma. Dans ce document, Jean-Pierre Marin a été désigné à plusieurs reprises comme un assassin du juge. Les informateurs anonymes ont livré les noms de deux complices possibles: Michel Lamouret et Robert Alfani. Ils ont aussi évoqué un « Gitan de Décines », grand, cheveux frisés, ayant « la jambe cassée ».

Les policiers ont fait un rapprochement avec Barthélemy Vidal, cousin germain d’Edmond. Ils avaient croisé Barthélemy Vidal, dit Mimi, lors d’une perquisition liée à l’enquête sur le gang des Lyonnais. Le cousin avait une jambe dans le plâtre. L’accusation ne tient que par des déclarations de personnages à la probité probablement douteuse, dont les motivations peuvent dissimuler des intentions sans rapport automatique avec la vérité des faits. Des indics qui balancent des ennemis, ça s’est déjà vu. Concernant Marin, les policiers disposent toutefois d’un autre élément troublant.

Le 24 juin 1975, huit jours avant l’assassinat, il avait été remarqué par une patrouille de police municipale, place Vanderpol dans le 9e arrondissement de Lyon, dans des conditions curieuses. Les municipaux était en train de verbaliser la DS verte de Marin, mal stationnée, lorsque celui-ci arriva à bord d’une R16 qui repartit aussitôt. Marin monta dans sa voiture.

Contrôlé par les policiers, il tendit son permis de conduire, et laissa tomber une carte grise.

La carte correspondait à la R16, signalée volée début juin. Marin prit la fuite brutalement. Pour les policiers, cette précipitation relevait d’un esprit peu tranquille. Élément supplémentaire, ce contrôle s’était déroulé dans un secteur situé à proximité du domicile du magistrat tué.
Un kilomètre quatre cent, en accédant par la montée Saint-Exupéry, selon le calcul des policiers. Certes, la mère de Marin résidait dans le quartier. Ce qui pouvait aussi expliquer sa présence. La PJ interpréta cet incident sous l’influence des suspicions accrochées à un individu au passé agité.

Fils d’un gardien de la paix, Jean-Pierre Marin, né le 25 août 1943, s’est très tôt illustré. À 23 ans, il est impliqué dans un vol de sacs postaux, dans la recette principale de Neuville-sur-Saône, où il était facteur auxiliaire. Il écope de cinq ans d’emprisonnement, prononcés en mars 1968 par la cour d’assises du Rhône. Il fréquente assidûment le Milieu lyonnais et se taille une réputation plutôt dangereuse. On le dit à l’origine du carnage du bar de La Trinité dans le quartier de Saint-Jean. Un ancien truand confirme : « C’était un impulsif. »

Les chroniqueurs voient en lui une valeur « surcotée » du banditisme. En tout cas, Marin fait figure de suspect privilégié, à la fois dans l’affaire Renaud et dans le rapt du petit Mérieux.

Le secret des investigations vole soudainement en éclats. Roger Chaix, nouveau préfet de police de Lyon, ancien directeur des RG à la préfecture de police de Paris, avait déjà gaffé. Plusieurs journaux régionaux et nationaux avaient dressé le portrait de Lyon en « Chicago- sur-Rhône ». Jusqu’à la Pravda à Moscou, qui avait titré : « Lyon, capitale française du crime ». Le préfet avait cru bon de répliquer : « L’image de Lyon a été salie par une série de petits drames qu’on a un peu tendance à monter en épingle. »

Parler de « petits drames » après l’assassinat d’un magistrat, la fâcheuse formule ne passe pas inaperçue. Le 12 janvier 1976, à la traditionnelle cérémonie de vœux à la préfecture, le haut fonctionnaire cherche à se rattraper. Il veut se faire rassurant. Il commence par un discours classique. Les enquêtes avancent, ce n’est pas facile. La langue de bois se met à fourcher. Il commet une bourde monumentale. En ajoutant : « Toutes les affaires réussies sur le plan policier n’aboutissent pas automatiquement devant une juridiction, car la certitude policière est une chose, la présomption judiciaire une autre et il faut pouvoir passer de l’une à l’autre. »

En tenant ces propos, il a très probablement en tête le rapport confidentiel de la PJ, rédigé dix jours plus tôt. Il pense peut-être que ce descriptif supposé du crime, essentiellement basé sur des indicateurs, pourrait constituer un prélude à la résolution de l’affaire.

Un peu pressé par les journalistes qui s’interrogent sur ce cours de droit un peu crypté, le préfet s’enfonce. À propos de l’affaire Renaud, il rajoute : « La police peut connaître le nom des coupables et ne disposer d’aucun moyen de les confondre. »

Dans les jours qui suivent, Le Progrès de Lyon annonce : « Les assassins du juge Renaud ont été identifiés… mais il reste à établir matériellement leur culpabilité.» À ce stade, le journal évoque la thèse d’un projet d’enlèvement qui aurait mal tourné. Cinq jours plus tard, le 21 janvier, le journal fait état d’un détail à propos des suspects, sans citer leurs noms. Ils ont été impliqués dans une opération mouvementée dans le quartier des Jacobins.

Deux hommes s’étranglent à la lecture de l’article. Ils se reconnaissent. L’opération mouvementée en question remonte au 27 décembre 1973. Une Renault 17 avait pris un sens interdit près de la place des Jacobins, au cœur de Lyon. Les deux occupants avaient été bloqués dans leur fuite.

Il s’agissait de Jean-Pierre Marin, porteur d’un calibre 7,65 et de Michel Lamouret, qui présentait de faux papiers au nom de Henri Marran. Après cette incartade, ils avaient été condamnés à trois et cinq mois de prison, prononcés le 13 mars 1974 par le tribunal correctionnel de Lyon, pour rébellion, port d’arme prohibé, infraction à une interdiction de séjour. Les peines avaient été alourdies le 20 juin par la cour d’appel, à quinze mois et un an. Ils étaient ressortis de prison début 1975.

Début 1976, ils apprennent donc qu’ils sont dans le collimateur, nommément cités dans l’enquête la plus sensible du moment. Rien moins que l’assassinat d’un magistrat.

Dès le lendemain de la parution de l’article, les deux hommes vont prendre contact avec leur avocat, l’incontournable Joannès Ambre.

La situation est complètement ubuesque. La rumeur dépasse à une vitesse vertigineuse les avancées judiciaires dont le secret a explosé sous le coup d’une imprudence préfectorale.

Les deux hommes se sentent visés, cernés par d’invisibles incriminations, et même en danger, dans la ligne de mire, à la merci d’une bavure intempestive.
Ils décident de sortir du bois, par mesure préventive, alors qu’aucune action judiciaire n’est officiellement engagée contre eux. Un troisième personnage se joint à leur démarche.

Robert Alfani, dit Fafa, né le 17 avril 1947. Son passé judiciaire reste limité à trois condamnations mineures pour vol, recel et proxénétisme, qui n’excèdent pas vingt mois de prison, cumulés entre 1966 et 1969. La police lui prête des contacts avec Nicolas Caclamanos. Alfani apparaît dans le rapport confidentiel, désigné par un des indicateurs comme un complice de l’expédition, sans aucun autre élément précis à sa charge.

Michel Lamouret, dit Michou, né le 4 janvier 1947, présente un passé judiciaire plus chargé : trois condamnations pour vols et vols qualifiés prononcées depuis 1967. Les trois hommes sont fous de rage autant que d’inquiétude. Dans le cabinet d’Ambre, Jean-Pierre Marin rédige une lettre : « Je vous demande de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser ces accusations et éviter qu’on m’accuse injustement. Je souhaite, plus que quiconque, que cette affaire s’éclair- cisse, car je suis convaincu que l’on n’hésitera pas à tirer sur moi en prétendant que j’étais provocant. »

L’avocat fait publier une mise au point dans la presse. Il menace de poursuites judiciaires en réponse à l’infamie. Maître Ambre déclare : « J’ai reçu des personnes mises en cause mandat de mettre un terme à une campagne inquiétante qui ne repose sur aucun fondement et leur porte un très grave préjudice. »

Les trois hommes se disent prêts à être entendus dès que possible. Marin demande une « protection de la justice ». Les juges et les parquetiers chargés des dossiers Renaud et Mérieux sont directement contactés pour entreprendre leurs auditions le plus rapidement possible. Position des magistrats : en l’état actuel des investigations, il n’y a aucune raison de les recevoir. Selon Ambre, le juge Pizzetta, qui a repris le dossier Renaud, lui répond : « Rien en l’état du dossier ne justifie que je les convoque. »

En clair, la justice ne dispose pas d’élément suffisant pour les incriminer.

Pendant que l’affaire Renaud tourne à la confusion la plus totale, l’étau se resserre dans le cadre de l’affaire Mérieux. Après l’arrestation de Louis Guillaud et le relevé de ses empreintes à Oullins, Jean-Pierre Marin est activement recherché. Il a quitté son domicile de Vaise. Il s’est réfugié à Auberives-sur Varèze, dans l’Isère. Il en repart mais perd son chien, un doberman. Il n’hésite pas à contacter la gendarmerie de Péage-de-Roussillon, afin de signaler la disparition de l’animal. L’épisode revient aux oreilles de la PJ.

Une consigne est donnée par les policiers aux gendarmes : convoquer Marin et le retenir dans la brigade le temps d’arriver. Le 9 mars 1976, jour de la convocation, Georges Nicolaï et Marcel Aillot, patron et inspecteur du GRB, filent à Péage-de-Roussillon pour cueillir Marin. En route, ils apprennent que Marin a annulé le rendez-vous de 11 heures. Il a retrouvé son chien.

Grâce à des écoutes, la PJ avait localisé un de ses points de chute, à Champagne au Mont d’Or. Un dispositif était en place depuis quelques jours, chemin des Aulnes. Quand Jean-Pierre Marin, de retour de la Drôme, se présente, une Estafette et une 4L stationnent près de la villa.

La femme du couple qui l’accueille part au travail. Intriguée par la présence des véhicules, elle fait demi-tour. Selon les policiers, elle lance : « Tire-toi, il y a les flics ! »

Marin comprend. Il reprend le volant de sa DS 23 marron métallisé. Il démarre en trombe. Au moment précis où la R16 du GRB revient de l’Isère. Marcel Aillot se souvient : « Quand on arrive, il s’en va, je m’engage dans le chemin en première et là, pan ! Je percute la voiture et ça tire de partout. »

L’inspecteur a tout juste le temps de se baisser pour éviter les tirs de ses propres collègues. Marin sort. La fusillade déverse un déluge de plomb. De trente à quarante coups de feu, dont vingt-sept impacts relevés sur la DS. Marin est tué sur le coup, atteint de deux projectiles, au cou et au cœur.

Sa mort provoque une énième polémique. L’avocat Joannès Ambre lâche dans les minutes qui suivent au micro de RTL : « J’ai à déclarer qu’il est infiniment dangereux de désigner à la vindicte publique des coupables présumés. Les policiers affirment qu’il était sorti avec un pistolet calibre 11,43 en main.

Qu’il n’a pas eu le temps d’utiliser. Ils soulignent que plusieurs armes et munitions étaient entreposées dans le pavillon. Nervosité accentuée par la dangerosité prêtée au personnage et par le climat ambiant ?

Les proches de Jean-Pierre Marin n’en croient pas un mot. Pour eux, c’est une exécution sans sommation. La disparition de Jean-Pierre Marin casse net le cours de la justice. Coupable ou innocent ?

Sa fin brutale empêche toute avancée dans deux des affaires les plus retentissantes de l’histoire judiciaire lyonnaise.

Louis Guillaud reste le principal suspect dans l’affaire du rapt de Christophe Mérieux. D’autres noms sont évoqués en marge des investigations, sans preuve. Il est question d’un certain Mario Rodrigues, dit Mario le Portugais, ancienne fréquentation de Guillaud. L’hypothèse vient d’un informateur de l’ex-commissaire Javilliey. L’ancien baron du GRB a repris du service dans une agence privée. Il est sollicité par la famille pour des investigations officieuses. Les policiers entendent aussi parler de Jean-Claude Garcia, dit Pequeño, ou Péquen, ou encore demi-cervelle. Des supputations prêtent à Nicolas Cacla- manos un rôle influent, depuis ses bases espagnoles. Seul Louis Guillaud sera jugé pour le rapt de l’enfant.

Concernant l’assassinat du juge Renaud, l’instruction s’est inexorablement enlisée. Une plaque commémorative a été apposée dans la grande salle des pas perdus du palais de justice de Lyon, le 10 janvier 1978.

Un mois plus tard, un autre magistrat lyonnais est victime d’une mystérieuse agression. Le 6 février 1978, le juge Noël Daix est embarqué sans ménagement par un commando de deux ou trois hommes, à bord d’une Renault 12 bleu roi.

Juge d’instruction durant quinze ans, récemment nommé juge d’instance, le magistrat est l’exact contraire de son défunt collègue, qu’il a d’ailleurs remplacé à quelques reprises pour des actes d’instruction.

Il mène une discrète vie de célibataire dans son appartement du Clos Jouve, dans le quartier de la Croix-Rousse. Séquestré cinquante-quatre heures, il est retrouvé transi de froid, dans un bois de Ternay, au sud de Lyon. Il est accroché à un arbre, pieds et mains ligotés, la bouche bâillonnée avec du sparadrap.

Ce rapt a suscité toutes sortes d’interrogations, sans jamais trouver d’explication tangible. L’année suivante, plus personne n’avait cet épisode en mémoire quand était diffusé à la télévision Le Juge Fayard, dit le Shérif. Le film d’Yves Boisset a été présenté le 6 novembre 1979 en prélude des Dossiers de l’écran. Il s’inspire librement du parcours de François Renaud, incarné par l’acteur Patrick Dewaere. La bande-son du film a été modifiée, à la suite d’une procédure en référé. Toute allusion au service d’action civique (SAC) a été occultée par un bip sonore. Sur le plateau de l’émission, le nouveau ministre de la justice, Alain Peyrefitte, a trouvé le film « passionnant, tendancieux, pernicieux. » Il a peu apprécié le portrait cinématographique du magistrat, donnant une mauvaise image de l’institution.

À propos de Renaud, le ministre a pris ses distances sans vouloir accabler sa mémoire. Ce qui a donné : « Un juge extrêmement efficace, capable. Il traquait le milieu, il avait des méthodes un peu discutables, aux manières d’un juge colonial, assez discuté dans son milieu, son action a été la cause de sa mort. »

Cette déclaration en demi-teinte semblait sonner le glas de la détermination des autorités à connaître la vérité sur l’assassinat du juge. L’affaire Renaud a sombré dans une succession de polémiques stériles.

En mai 1980, une lettre anonyme a été adressée au procureur général de Lyon, accompagnée de deux photocopies. Il s’agissait de copies des notes de l’antenne de Grenoble de la PJ, qui faisaient état d’un projet d’enlèvement du juge.

La résurgence de ces documents a fait dire à la presse que des menaces avaient été « négligées ». Une enquête interne a été diligentée par le parquet pour chercher l’origine des fuites. Tous les policiers de l’époque ont été entendus.

Le commissaire Pierre Richard a expliqué qu’il avait bien informé le juge du contenu de ces notes. Toute cette agitation a donné lieu à des rapports circonstanciés, sans aucune nouveauté susceptible d’élucider le crime. Ce scénario s’est reproduit en février 1982.

L’émission Les Mercredis de l’info était consacrée à l’assassinat du juge Pierre Michel, abattu de trois balles de 11,43 par des tueurs à moto, le 21 octobre 1981 à Marseille.

À l’occasion du débat télévisé, les proches de François Renaud ont évoqué «des éléments nouveaux» concernant la mort du magistrat lyonnais.

Après Robert Badinter, Jacques Vergès a été désigné par la famille constituée partie civile. À sa manière, spectaculaire, le célèbre avocat a reparlé de la piste politique, du casse de Strasbourg, en promettant des révélations. La famille du magistrat a continué de penser que le volet politique de l’affaire n’avait jamais été sérieusement exploré.

Les versions les plus extravagantes ont circulé. Un détenu d’origine lyonnaise, incarcéré à Fleury Mérogis pour une tentative de hold-up, a livré une version totalement inédite, en 1984.

Daniel Boiron assurait avoir recueilli les confidences de Régis Roche, dit Pierrot.

En traversant le cimetière du Père-Lachaise, où repose le magistrat, Roche lui aurait avoué avoir fait le coup, avec son frère Alain, avec des indications fournies par une prostituée qui résidait dans l’immeuble du magistrat. Immédiatement entendus, les frères Roche ont démenti catégoriquement.

Leur avocat, François La Phuong a crié au scandale. L’épisode a rapidement sombré dans le registre des paroles hasardeuses de détenus en quête d’arrangement.

Entre 1984 et 1987, la famille Roche a été décimée.

À peine libéré, Daniel Boiron, 46 ans, le détenu de Fleury, a été abattu le 29 novembre 1991, place Gabriel-Peri à Lyon. Fermez le ban.

Les années passent, la vérité lasse. Six juges d’instruction se sont succédés, en vain.

Une ordonnance de non-lieu a été signée par le juge Georges Fenech, le 17 septembre 1992.

Avec le recul, la toute première version du crime reste imprimée dans la mémoire judiciaire. Celle d’une équipe plus ou moins autonome qui aurait pris l’initiative d’éliminer le magistrat, sous l’impulsion impalpable d’un climat menaçant.

La thèse de commanditaires politiques n’a jamais prospéré.

Marin mort, ses complices désignés n’ont cessé d’être poursuivis par une accusation qui n’a jamais dépassé le stade de dénonciations anonymes.

Injustement cité, Robert Alfani ne veut plus entendre parler de ce passé.

Michel Lamouret a été impliqué en 1991 dans une série de hold-up, dont un émaillé d’une fusillade avec trois policiers blessés. Armes, cagoules et butin ont été trouvés par l’antigang dans un box de Villeurbanne.

En décembre 1995, le procès portait sur huit hold-up et vingt-deux agressions dans des résidences cossues de l’ouest lyonnais. Ses deux complices ont été condamnés à vingt ans de réclusion criminelle, dont douze ans de sûreté. Michel Lamouret a pris trente ans de réclusion criminelle, aux deux tiers incompressibles. Une peine qui porte le poids du passé, comme si la justice avait posé dans la balance l’apparition de son nom dans l’affaire Renaud. Libéré en 2010, Michel Lamouret s’est discrètement rangé.

Les fantômes du passé détiennent-ils la vérité sur l’assassinat du juge Renaud ? Louis Guillaud, a été le seul condamné dans l’affaire du rapt du petit Mérieux. La cour d’assises du Rhône a prononcé vingt ans de réclusion criminelle, le 15 décembre 1981. Après quatorze années de détention, il a rejoint sa région natale. Dans le Nord, il a fait reparler de lui dans plusieurs dossiers de banditisme, comme s’il n’avait jamais pu se résoudre à raccrocher. Le jour de Noël 2008, il a abattu son gendre parce qu’il le trouvait trop violent à l’égard de sa fille. Avant de retourner l’arme contre lui et de se suicider. Paradoxalement, celui qu’on surnommait la Carpe pour son mutisme présumé, a laissé une cassette en héritage. Il l’a confiée à un proche, dans le Nord. Le document a été longuement écouté, avant d’être détruit.

Dans cet enregistrement, il raconte sa longue carrière. Et livre ses secrets. Il révèle que l’enlèvement du juge Daix avait été fomenté par deux ou trois de ses complices, avec l’idée d’échanger le magistrat contre un prisonnier. En l’occurrence lui-même, détenu dans l’affaire Mérieux. Selon lui, ses complices avaient prévu de poser un ballon coloré sur la plage arrière de leur voiture, près de la prison, pour se signaler. Faute d’aboutir, cet extravagant projet a poussé les complices à prévenir eux-mêmes les gendarmes. Il raconte même que les gendarmes ont mis du temps à trouver l’endroit. Les ravisseurs faisaient des passages pour s’assurer que le magistrat tenait le coup en attendant sa libération.

À propos de l’assassinat du juge Renaud, Louis Guillaud affirme qu’il était présent sur les lieux du crime, présent dans l’expédition assassine. Ce qui n’avait jamais été envisagé. Il parle d’un commando de quatre hommes, sans aucun lien avec le gang des Lyonnais. Il confirme que Jean-Pierre Marin a été le principal instigateur, l’exécutant.

Selon lui, la décision a été prise dans un bar, le soir même, dans une improvisation effarante. Dans une ambiance surchauffée, probablement alcoolisée, Marin a exprimé sa haine à l’endroit du juge. Il a recruté des équipiers sur un coup de tête, dont un Corse qui passait par hasard à Lyon ce jour-là.

Impulsif, décidé à marquer le Milieu de son empreinte, Marin était toujours armé. Il avait toujours à disposition une voiture volée. La fameuse Audi à deux portes. Originaire du quartier, il savait où résidait le magistrat.

Louis Guillaud donne des détails qui correspondent à plusieurs éléments constatés.

Selon lui, la voiture n’a pas calé après les premiers coups de feu.

Elle a simplement glissé en marche arrière, entraînée par la pente. Guillaud dit avoir vu le magistrat revenir sur ses pas.

Qu’il aurait pu échapper à la mort.

Qu’il a choisi de protéger sa compagne.

Alors que Marin descendait de la voiture, arme au poing. Un détail donne une crédibilité à ce témoignage posthume. Guillaud précise que Marin a soudainement arrêté la voiture, en plein milieu de la rue, juste après le crime. Il a basculé le barillet de son revolver et vidé les douilles percutées.

Les douilles retrouvées le lendemain par des riverains, répandues sur la chaussée.

Cette version colle en grande partie avec les rapports confidentiels des policiers.

Elle confirme l’hypothèse d’un crime élaboré dans une rage désordonnée, par un commando improvisé, sans rapport avec des commanditaires occultes.

Sources : www.lemonde.fr et www.lenouveleconomiste.fr