Pour vous permettre de comprendre les risques auxquels s’exposent les citoyens du fait de l’emploie de certaines informations les concernant dans les réseaux sociaux, la rédaction de la Revue vous propose une interview sur le thème: données à caractère personnel et réseaux sociaux: quels risques pour les citoyens ?
La rédaction : Bonsoir, pouvez-vous vous présenter au public ?
Je suis Arnaud NIKIEMA, juriste spécialisé en Droit du numérique et en Droit international des droits de l’homme, une dualité de formation qui m’a permis de faire une convergence de vue sur la protection des droits de l’homme sur internet et de façon générale dans l’environnement fortement dématérialisé. Depuis quelques années, j’ai mis en place avec des experts, un Centre d’études sur les TIC et la cyberactivité (CERTIC) et on essaie de tenir notre bout de chemin sur les questions de cybercrime, de protection des droits fondamentaux sur internet notamment les questions relatives à la vie privée, aux données personnelles, à la gouvernance de l’internet, etc.
La rédaction : nous rentrons dans le vif du sujet. Que devons-nous entendre par données à caractère personnel ?
M .NIKIEMA : Il faut dire que les données à caractère personnel renferment un ensemble d’informations qui se rattachent à la personne physique qu’elles permettent d’identifier directement ou indirectement. Ces informations peuvent renvoyer à un numéro ou à tout autre élément de l’identité physique, physiologique, génétique, psychique, comportementale, culturelle, sociale ou économique.
Lorsque vous regardez en Europe, la Convention du Conseil de l’Europe de 1981 pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel définit les données à caractère personnel comme étant toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable.
Chez nous, au Burkina Faso, la loi n°045- 2009/AN portant réglementation des services et des transactions électroniques définit en substance, une donnée à caractère personnel comme étant toute information qui permet d’identifier des personnes physiques, en faisant référence à un numéro d’identification ou à plusieurs éléments spécifiques propres à leur identité physique, psychologique, psychique, économique, culturelle ou sociale.
Au Sénégal, au Mali, en Côte d’ivoire, et partout, les définitions données par les lois nationales sont à peu près comme celle que je viens d’évoquer. Les données personnelles sont des informations relatives au nom, prénom, adresse postale, adresse IP, numéro de carte de crédit, numéro de sécurité sociale, numéro de téléphone, voix et l’image sont à ranger dans la catégorie des données personnelles.
La rédaction : quelle est la relation entre les données personnelles et les réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram ou Tweeter ? Quels enjeux revêtent ces données ?plus simplement qu’est-ce qu’on fait avec les données dites personnelles ?
M .NIKIEMA : Sans trop percevoir la pertinence de votre question, je dirai simplement que Internet est une niche favorable pour la collecte et le traitement des données personnelles. Sachant que les réseaux sociaux sont internet, on peut dire que les réseaux sociaux permettent de collecter des données des utilisateurs pour certains besoins de grands groupes commerciaux ou même pour servir à des politiques.
La rédaction : y’a-t-il une règlementation en la matière d’usage de ces données ?
M .NIKIEMA : Oui bien sûre. La réglementation foisonne. Seulement, elle n’est pas toujours à la hauteur du développement du numérique et des activités dématérialisées qui s’exercent de plus en plus. Sinon, à tous les niveaux, au niveau international, en Europe, en Afrique et au niveau des Etats il en existe.
La rédaction : la réglementation encadrant le traitement des données à caractère personnel au Burkina Faso est-elle effective ? Est-elle adaptée avec les réseaux sociaux ?
M .NIKIEMA : Oui la règlementation existe. C’est depuis 2004 que la loi relative à la protection des données personnelles à été adoptée. Disons donc que l’encadrement est effectif depuis 2004. Sur le plan de l’adaptabilité, on peut dire qu’elle est adaptée aux réseaux sociaux sous l’angle de la protection des données personnelles.
La rédaction : que peut faire le citoyen pour la protection de ses données ? et dans l’hypothèse où ses droits seraient méconnus par une entreprise collectant ou utilisant les données personnelles qu’est-ce qu’il peut faire pour faire cesser le trouble ou l’atteinte ?
M .NIKIEMA : Je dirai sur ce registre qu’il appartient à chaque citoyen de prendre soin de ses données personnelles. Par exemple, c’est nous-mêmes qui prenons nos photos, les images de nos enfants, de nos voitures et les partageons sur les réseaux. C’est nous qui prenons nos images nues pour les envoyer à d’autres personnes via les réseaux. C’est nous qui donnons nos positions partout où nous nous trouvons… Donc pour ce qui est des données que nous collectons et traitons nous-mêmes, il est de notre devoir de nous discipliner pour protéger ces données.
Mais pour ce qui est de la collecte automatique soit par les cookies, par la géolocalisation installée sur nos téléphones et autres terminaux digitaux, en réalité, nous sommes presqu’impuissants. À titre d’exemple, quand vous voulez accéder à un site sérieux aujourd’hui, si vous n’acceptez pas les cookies, vous ne pouvez pas accéder au site. De la même façon, les téléphones que nous tenons tracent toutes les minutes les déplacements que nous effectuons.
Pour ce qui est des entreprises qui collectent et traitent les données personnelles, il leur faut de la sensibilisation parce que beaucoup ignorent le caractère illégal de ce qui est fait. Pour cette catégorie, si vous sentez que le traitement des données viole vos droits fondamentaux, il vous appartient de saisir la CIL pour suite à donner. Mais pour les autres aspects de violation de données personnelles en lien avec votre vie privée, vous pouvez également saisir le tribunal compètent pour une action au pénal sur le fondement de l’atteinte à la vie privée.
La rédaction : au Burkina Faso plus d’un million de personnes sont sur les réseaux sociaux, certains y sont alors même qu’ils ne savent pas lire et donc de toute évidence ils ne savent pas ce à quoi ils s’exposent en donnant ou en autorisant l’accès à certaines informations les concernant. Alors est-ce qu’il y a des institutions ou organismes chargés de vulgariser le droit de protection des données personnelles auprès du potentiel usager des réseaux sociaux ?
M .NIKIEMA : Oui bien sûr. La Commission de l’informatique et des libertés est à cette tache depuis des années. La CIL est investie d’une mission générale d’information des personnes sur les droits et les obligations que leur reconnaît la loi.
Il nous a été dit qu’elle n’a pas un budget consistant pour sa mission mais elle fait de son mieux pour sensibiliser. Je reste persuadé qu’elle peut mieux faire dans l’intensification de sa mission d’information et d’éducation au numérique, même avec le peu de ressource qu’elle a.
La rédaction : Facebook a fait l’objet d’une amende de 5 milliards de dollars en 2019, amende infligée par l’agence américaine de protection des consommateurs. Que pensez-vous de cette sanction à l’égard du géant ? quelle leçon celle-ci revêt ?
M .NIKIEMA : Il n’y’a pas de leçon particulière à tirer. Il faut seulement reconnaitre que certaines données personnelles sont des aspects de droits fondamentaux qui sont extrêmement surveillés et protégés. Et quel que soit l’organisme ou la firme qui les viole, elle encourt sanction. C’est la leçon fondamentale que je retiens.
La rédaction : dans l’hypothèse où Face book ou WhatsApp aurait fait un usage non conventionnel des données personnelles d’un burkinabé ou un tchadien et que celui-ci veut se plaindre est-ce qu’il pourra le faire puisqu’on sait que les tenants de ces réseaux sont soit en Europe ou aux USA ?
M .NIKIEMA : Votre question est l’objet d’une très grande réflexion. Au stade actuel, je n’ai pas connaissance effectivement de plainte déposée auprès de juridictions nationales en Afrique contre ces firmes. Mais le jour que ça viendra, certainement que nos juridictions vont apprécier.
Vous savez certainement que chez Facebook, dans les conditions générales d’utilisation, il existe une clause attributive de compétence exclusive au profit des tribunaux du comté de Santa Clara en Californie. Un arrêt de la cour d’appel de Paris en 2016 avait jugé cette clause abusive et conclu que cette clause était réputée nulle et non écrite. La Cour d’appel a donc déclaré le TGI de Paris compétent pour juger le litige qui opposait Facebook à un internaute qui avait vu son compte désactivé.
Me fondant sur cette jurisprudence française, je suis optimiste à penser que si un problème survenait, les juridictions étatiques se déclareraient compétentes à connaitre de l’affaire, encore faut-il qu’elles aient de solides arguments.
La rédaction : On entend parler de droit à l’oubli, droit au référencement, de droit à l’effacement qu’est-ce que c’est tout ça ?et pourquoi un droit à l’oubli ?
M .NIKIEMA : Le droit à l’oubli ou déréférencement concerne uniquement les moteurs de recherche. Il s’agit du droit pour un utilisateur de demander la suppression de résultats lors d’une recherche de sorte à ce que l’information tombe dans l’oubli. Le déréférencement permet de faire supprimer un ou plusieurs résultats fournis par un moteur de recherche à l’issue d’une requête effectuée à partir de l’identité d’une personne. Cette suppression ne conduit pas à effacer l’information sur le site internet source parce que le contenu original reste inchangé et est toujours accessible, en utilisant d’autres critères de recherche ou en allant directement sur le site à l’origine de la diffusion.
Quant au droit à l’effacement, c’est le droit de demander à un organisme l’effacement de données à caractère personnel vous concernant. Qu’il s’agisse d’une photo gênante sur un site internet ou d’une information collectée par un organisme que vous jugez inutile, vous pouvez obtenir son effacement dans certaines situations.
La rédaction : quels conseils avez-vous à donner à tous ces usagers des réseaux sociaux qui n’hésitent pas à renseigner les informations relatives à leurs identités ,à leurs envies etc. au vu des risquent qu’ils courent ?
M .NIKIEMA : prudence est mère de sureté dit-on. Ces usagers doivent donc être très prudents par rapport aux informations les concernant qu’ils mettent sur les réseaux sociaux. Le plus judicieux serait de donner moins d’informations que possible sur soi et ses proches.
14 juin 2020
Interview réalisée par Catherine DAYO
La rédaction
Revue Juridique du Faso