DÉCISION DE JUSTICE INTÉGRALE : AFFAIRE DAME AKA CONTRE LA SOCIETE DE TRANSPORT

REPUBLIQUE DE COTE D’IVOIRE

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE D’ABIDJAN-PLATEAU

AUDIENCE PUBLIQUE ORDINAIRE DU 21/07/2016
(1ère CHAMBRE CIVILE)

JUGEMENT CIVIL N° 458 DU 21/07/2016

AFFAIRE :
DAME AKA
(Me D.)
C/
YAO
LA SOCIETE DE TRANSPORT
(CABINET B.)

LA SOCIETE D’ASSURANCE N
(Me N.)

LE TRIBUNAL

Vu les articles 1384 du code civil, 200,258, 259, 260 et 262 du code CIMA ;

Vu les pièces du dossier ;

Vu le jugement avant dire droit N° 37 rendu le 07 janvier 2009 ;

Vu les conclusions écrites du Ministère Public du 24 mai 2016 ;

Ouï les parties en leurs demande, fins et conclusions ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

 

EXPOSE DU LITIGE

Par acte d’huissier de justice du 16 avril 2007, comportant ajournement au 25 avril 2007, dame AKA a assigné YAO, la SOCIETE DE TRANSPORT et la société d’assurance N par-devant le Tribunal de ce siège, statuant en matière civile, à l’effet de voir :

  • Déclarer son action recevable ;
  • L’y dire bien fondée ;
  • Dire et juger que YAO est responsable de l’accident qu’elle a subi ;
  • Déclarer la SOCIETE DE TRANSPORT civilement responsable dudit accident ;
  • Condamner la SOCIETE DE TRANSPORT sous la garantie de l’assurance N, à lui payer des dommages et intérêts;
  • Commettre tel expert aux fins de déterminer tous les préjudices par elle subis ;
  • Condamner les défendeurs aux dépens, distraits au profit de maître D., avocat ;

Au soutien de son action, elle expose que le 05 octobre 2005, elle a été victime d’un accident de la voie publique, mettant en cause un véhicule de marque RENAULT type bus articulé immatriculé 5793-3, appartenant à la société SOCIETE DE TRANSPORT, conduit au moment des faits, par le nommé YAO, et assuré par les soins de la société N;

Elle explique, qu’alors qu’elle s’apprêtait à prendre place à bord dudit véhicule immobilisé, par la porte du milieu, encadrée qu’elle était, en raison de la grossesse de huit mois qu’elle portait, par de nombreux jeunes gens, le conducteur dudit autobus, a eu à ouvrir, au même moment, toutes les portières du véhicule qu’il conduisait ;

Cette manœuvre a eu à entraîner un afflux de passagers aux différentes portes d’accès dudit autobus ;

Elle indique en outre, que contre toute attente, paniqué certainement par la foule, le conducteur a eu à démarrer brusquement, ce qui lui fît perdre l’équilibre, de sorte qu’elle a été trainée par son pied droit sur une certaine distance de la chaussée, avant d’être elle- même projetée sur la chaussée ;

Elle ajoute que, consécutivement à cette manœuvre, elle a eu à subir de multiples blessures, et par la suite une césarienne, à l’effet de préserver sa vie et celle de l’enfant qu’elle portait;

C’est la raison pour laquelle, elle entend voir la SOCIETE DE TRANSPORT être déclarée civilement responsable des dommages par elle subis, et condamnée à réparer lesdits dommages, sous la garantie de l’assurance N ;

Pour ce faire, elle sollicite dans un premier temps, la nomination d’un expert, à l’effet de déterminer et d’évaluer lesdits préjudices ;

En réplique, les défendeurs plaident la mise hors de cause de la SOCIETE DE TRANSPORT, et partant celle de son assureur, la société N ;

Selon la SOCIETE DE TRANSPORT, l’indiscipline des usagers de ses autobus ne saurait lui être imputée ;

En effet, selon elle, le jour des faits, à sa gare sise à la cité administrative au plateau, au moment où l’autobus conduit par YAO se dirigeait vers le quai 34 pour l’embarquement, il a été pris d’assaut par des usagers attroupés audit quai ;

Avant même que ledit autobus ne s’immobilise devant le quai, lesdits usagers se sont rués sur le véhicule en mouvement ;

Elle indique que, ce fut dans ces circonstances que la demanderesse, présente dans la foule et attendant que le bus ne s’arrête pour y embarquer, a été bousculée et précitée sur ledit véhicule en mouvement, par les autres clients en furie ;

Celle-ci, en tombant, s’est donc heurtée audit autobus et a eu des écorchures ;

La SOCIETE DE TRANSPORT note donc que, dans ces circonstances, ni elle, ni le conducteur du bus ne sauraient être tenus responsables de cet accident ;

Elle note, par ailleurs, qu’à supposer qu’elle soit mise en cause dans la survenance de l’incident, sa responsabilité ne peut être retenue, étant entendu qu’il s’agit d’un cas de force majeure ;

Les défendeurs notent, par ailleurs, que le sinistre de dame AKA n’était nullement imputable à YAO, mais a été plutôt causé par l’imprudence de la demanderesse ;

Selon eux, celle-ci, à l’instar des autres passagers, s’était précitée vers l’autobus en cause, lequel n’était pas encore arrivé au quai de la ligne 34, pour anticiper l’embarquement;

Ils ajoutent donc, que ce fût dans la bousculade que dame AKA a chuté et que son pied a heurté le véhicule en mouvement ;

Ce fut la raison pour laquelle, selon eux, il existe sur le plan des lieux de l’accident, un seul point de chute de la victime, et non un point de choc de la victime avec le bus, et un autre point où elle serait tombée ;

Ils concluent au fait que dame AKA doit seule assumer la responsabilité des blessures par elle subies en raison de son comportement fautif ;

Réagissant à ces arguments, dame AKA conteste les déclarations des défendeurs ;

Selon elle, en raison de l’âge la grossesse qu’elle portait, elle n’a pu valablement se ruer vers l’autobus comme le prétendent les défendeurs ;

Elle note que les déclarations de l’agent de la SOCIETE DE TRANSPORT, de même que celles de l’agent de la police sont partisanes, alors surtout que, selon elle, les témoignages des personnes présentes à la gare lorsque l’accident s’est produit, ont été écartés ;

Par jugement avant dire droit N° 37 rendu le 07 janvier 2009, le Tribunal de ce siège a déclaré recevable l’action de dame AKA, puis, a ordonné une expertise médicale confiée à KOFFI, es qualité d’expert en traumatologie aux fins habituelles, sous le contrôle d’un juge de ce siège, en mettant les frais d’expertise à la charge de la SOCIETE DE TRANSPORT;

Aucune diligence n’ayant été accomplie par cet expert, la juridiction de céans a, par ordonnance du 22 juillet 2014, procédé à la nomination d’un nouvel expert, en la personne de COULIBALY, maître assistant en traumatologie et orthopédie au CHU de COCODY ;

Suite au dépôt du rapport d’expertise, la société N a tenu à rappeler que sa garantie n’était pas due dans le sinistre en cause ;

Elle a tenu toutefois, a indiqué que si le présent Tribunal entend néanmoins retenir la responsabilité de la SOCIETE DE TRANSPORT et sa garantie à elle, il devra retenir, conformément au rapport d’expertise les montants suivants :

  • Incapacité permanente : 86.400 francs ;
  • Souffrance physique : 288.000 francs ;
  • Préjudice esthétique : 288.000 francs ;

Soit la somme totale de 662.400 francs ;

Dame AKA quant à elle, précise qu’au moment des faits, elle n’était nullement institutrice comme le prétend la N ;

De la sorte, elle sollicite la condamnation des défendeurs, sous la garantie de la N, à lui payer plutôt les sommes suivantes :

  • Incapacité temporaire : 88.767 francs ;
  • Préjudice physiologique : 86.400 francs ;
  • Pretium doloris : 288.000 francs ;
  • Préjudice esthétique : 288.000 francs ;
  • Frais médicaux : 488.030 francs ;
  • Frais de procédure : 630.000 francs ;

Le Ministère Public pour sa part, s’en est remis à la sagesse du Tribunal

SUR CE

YAO, les sociétés SOCIETE DE TRANSPORT et N ayant conclu, il y a lieu de statuer contradictoirement ;

AU FOND

Sur la responsabilité civile de la SOCIETE DE TRANSPORT

Sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er du code civil, le propriétaire d’un véhicule terrestre à moteur, est civilement responsable en cas de dommages occasionnés aux tiers du fait de l’engin sous sa garde ;

En l’espèce, il est constant, comme résultant des pièces du dossier, notamment du procès-verbal de constat d’accident N° 265 / MSI/PPA/VP/01 des 19 et 20 avril 2006, du plan des lieux des lieux de l’accident, que le véhicule de type RENAULT immatriculé 5793- 3 appartenant à la SOCIETE DE TRANSPORT a été en contact avec dame AKA ;

Ce contact a entraîné la chute de ladite dame et occasionné pour celle-ci, de multiples blessures au corps ;

Ledit véhicule a donc joué un rôle causal dans la survenance dudit accident ;

Celui-ci étant la propriété de la société SOCIETE DE TRANSPORT, il convient de dire et juger que cette dernière est le civilement responsable de l’accident survenu, en sa qualité de gardien de la chose ayant joué un rôle causal à la survenance du dommage ;

Sur la garantie de la N

Il résulte des dispositions de l’article 200 nouveau du Code CIMA, que les contrats d’assurance couvrent la responsabilité civile du souscripteur du contrat et du propriétaire du véhicule ;

En l’espèce, Il ressort du procès-verbal de police constatant l’accident survenu, que le véhicule immatriculé 5793-3, appartenant à la société SOCIETE DE TRANSPORT, était assuré auprès de la compagnie d’assurances N, sous la police n° 200010069-A valable du 01 janvier 2005 au 31 décembre 2005 ;

Ainsi, l’accident en cause, survenu le 05 octobre 2005, a donc eu lieu pendant la période de validité de l’assurance souscrite auprès de la N;

C’est en pure perte que cette compagnie d’assurances sollicite sa mise hors de cause, motif pris de ce que l’accident litigieux est imputable à la demanderesse, en raison de son imprudence, alors surtout que la responsabilité en cause de l’assuré de la société N, repose sur la garde de la chose et non sur un quelconque comportement de l’auteur du dommage ;

Dès lors, il convient de dire et juger, que la garantie de la société N se substitue donc à la responsabilité de son assuré ;

SUR LE BIEN FONDE DE LA DEMANDE EN PAIEMENT

Au titre des préjudices

L’Incapacité Temporaire de Travail dite ITT

Il résulte de l’article 259 du code CIMA, que l’indemnité due à la victime au titre de PITT, pour les personnes majeures ne pouvant justifier de revenus, est basée sur le SMIG mensuel ;

Le SMIG à prendre en compte est celui en vigueur au jour du prononcé de la décision ;

Cette indemnité est donc calculée de la manière suivante :

  • SMIG mensuel x le nombre de jours d’ITT /30 ;
  • Le SMIG actuel étant de 60.000 francs, l’indemnité due à dame AKA au titre de l’ITT est de : 60.000 x 45 /30 = 90.000 francs ;

Celle-ci ayant cependant sollicité le paiement de la somme de 88.767 francs, il convient, dès lors, de condamner la compagnie N à lui payer ladite somme d’argent ;

Le préjudice physiologique

Il résulte de l’article 260 du code CIMA, que l’indemnité due à la victime au titre du préjudice physiologique est fonction de l’âge de la victime au moment des faits et du taux d’incapacité permanente ;

Cette indemnité est calculée de la manière suivante : valeur du point d’IP X taux d’IP x SMIG annuel/100;

Dame AKA étant âgée moment des faits de moins de 30 ans et l’expertise ayant déterminé le taux de son incapacité permanente à 2%, elle a droit à la somme suivante :

6x2x720.000/100 = 86.400 francs;

Il convient, dès lors, de condamner la compagnie N à lui payer ladite somme d’argent;

Le Pretium doloris

Il résulte de l’article 262 du code CIMA, que l’indemnisation due à la victime au titre de la souffrance physique ou pretium doloris est fonction de son importance et est calculée selon un pourcentage du SMIG annuel ;

En l’espèce, il ressort du rapport d’expertise versé au dossier que le pretium doloris est moyen ;

Il correspond, par application du texte susvisé à 40% du SMIG annuel, soit la somme suivante : 40 x 720.000/100 = 288.000 francs ;

Il convient, dès lors, de condamner la compagnie N à payer ladite somme d’argent à dame AKA ;

Le préjudice esthétique

Il résulte de l’article 262 du code CIMA, que l’indemnisation due à la victime au titre du préjudice esthétique est fonction de son importance et calculée selon un pourcentage du SMIG annuel ;

En l’espèce, il ressort du rapport d’expertise versé au dossier, que le préjudice esthétique est moyen;

Il correspond, dès lors, à 40% du SMIG annuel, soit la somme de 288.000 francs ;

Il convient, dès lors, de condamner la compagnie N à payer ladite somme d’argent à la demanderesse ;

Au titre des frais médicaux

Il résulte de l’article 258 du code CIMA, que les frais de toute nature peuvent être remboursés à la victime, sur présentation des pièces justificatives ;

En l’espèce, il résulte des factures et autres reçus produits par dame AKA  que sa demande remboursement des frais médicaux est justifiée ;

De ces pièces il ressort que les frais exposés s’élèvent à la somme de 488.030 francs ;

Il convient, dès lors, de condamner la compagnie N, à payer ladite somme d’argent à dame AKA ;

Au titre des frais de procédure

Il est acquis en droit processuel, que les frais liés à une instance, précisément les sommes exposées pour l’obtention d’une décision de justice, constituent les dépens, lesquels sont supportés par la partie succombant ;

Dès lors, c’est à tort que dame AKA, laquelle a entendu voir condamner les défendeurs aux dépens, sollicite également la condamnation de ceux-ci à lui payer les frais de procédure ;

Il convient, dès lors, de la débouter de ce chef de demande, comme mal fondé ;

SUR LES DEPENS

Les sociétés N et SOCIETE DE TRANSPORT succombant, il convient de mettre les dépens à leur charge ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en premier ressort ;

Déclare dame AKA partiellement fondée en son action ;

Dit que le véhicule de la SOCIETE DE TRANSPORT assuré par la compagnie N est responsable de l’accident survenu ;

Condamne, en conséquence, la société N à payer à dame AKA les sommes suivantes :

  • 88.767 francs au titre de l’incapacité temporaire de travail ;
  • 86.400 francs au titre du préjudice physiologique ;
  • 288.000 francs au titre du pretium doloris ;
  • 288.000 francs au titre du préjudice esthétique ;
  • 488.030 francs au titre des frais médicaux ;

Soit la somme totale de un million deux cents trente-neuf mille cent quatre-vingt-dix-sept (1.239.197) francs ;

Déboute, toutefois, dame AKA du surplus de ses demandes;

Condamne la compagnie les sociétés N et la SOCIETE DE TRANSPORT aux dépens ;

PRESIDENT : COULIBALY