HOMMAGE DE THOMAS SANKARA LE 31 OCTOBRE 1986 AU DECES DU PRESIDENT MOZAMBICAIN SAMORA MACHEL

« Camarades militantes et militants,

il ne s’agit pas aujourd’hui pour nous de pleurer mais d’avoir une attitude révolutionnaire face à cette situation tragique que provoque en nous la disparition de Samora Machel.

Nous ne devons pas pleurer pour ne pas tomber dans le sentimentalisme. Le sentimentalisme ne sait pas interpréter la mort.

Il se confond avec la vision messianique du monde, qui, attendant d’un seul homme la transformation de l’univers, provoque lamentation, découragement et abattement dès lors que cet homme vient à disparaître.

Il ne s’agit pas pour nous de pleurer non plus, pour ne pas nous confondre avec tous ces hypocrites, ces crocodiles et ces chiens qui ici et ailleurs font croire que la mort de Samora Machel provoque en eux la tristesse.

Nous savons très bien qui est triste et qui se réjouit de la disparition de ce combattant. Nous ne voulons pas tomber dans cette compétition de cyniques qui décrètent par-ci par-là tant et tant de jours de deuil ; chacun essayant d’affirmer et d’afficher son abattement par des larmes que nous révolutionnaires devons interpréter à leur juste valeur.

Samora Machel est mort. En tant que révolutionnaires, cette mort doit nous édifier, nous fortifier en ce sens que les ennemis de notre révolution, les ennemis des peuples nous ont dévoilés une fois de plus une de leurs tactiques, un de leurs pièges. Nous avons découvert que l’ennemi sait abattre les combattants même quand ils sont dans les airs.

Nous savons que l’ennemi peut profiter d’un moment d’inattention de notre part pour commettre ses odieux crimes. De cette agression directe et barbare qui n’a pour seul but que de désorganiser la direction politique du Frelimo et de compromettre définitivement la lutte du peuple mozambicain mettant fin ainsi à l’espoir de tout un peuple, de plus d’un peuple, de tous les peuples tirons-en les leçons avec les frères mozambicains.

Nous disons à l’impérialisme et à tous nos ennemis que chaque fois qu’ils commettront de tels actes, ce sera autant d’enseignements qu’ils nous auront donnés, certes, pas gratuitement, mais d’une façon qui sera à la hauteur de ce que nous méritons. Hier les ennemis des peuples, les ennemis de la liberté des peuples avaient cru bien faire, avaient cru réussir [leur coup] en abattant lâchement, de façon barbare et par traîtrise, Eduardo Mondlane’.

Ils espéraient qu’ainsi, le drapeau de la lutte de libération tomberait dans la boue et que définitivement le peuple prendrait peur et renoncerait à la lutte. Mais c’était compter sans cette détermination, sans cette volonté populaire de se libérer.

C’était compter sans cette force spéciale qui existe chez les hommes et leur fait dire non malgré les balles et les pièges. C’était compter sans les combattants intrépides du Frelimo.

C’est dans ces conditions que Samora Machel a osé reprendre le drapeau que tenait Eduardo Mondlane dont nous gardons la mémoire. Immédiatement, Machel s’est imposé comme un leader, une force, une étoile qui guide et éclaire.

Il a su faire profiter les autres de son internationalisme : il n’a pas combattu seulement au Mozambique ; mais aussi ailleurs et pour les autres. Posons-nous la question aujourd’hui : qui a tué Samora Machel ? On nous parle d’enquêtes qui se mènent, d’experts qui se réuniront pour déterminer la cause de la mort de Machel.

Déjà, l’Afrique du Sud, aidée par les radios impérialistes, essaie de faire passer la thèse de l’accident. On nous fait croire que des éclairs se seraient abattus sur l’avion.

On nous fait croire qu’une erreur de pilotage aurait conduit l’avion là où il ne fallait pas. Sans être pilotes ou experts en aéronautique, il y a une question que nous pouvons nous poser en toute logique : « Comment un avion volant à une si haute altitude a pu brusquement raser les arbres et se renverser, c’est-à-dire venir à moins de 200 mètres du sol ? »

On nous dit que le nombre de survivants est une preuve qu’il s’agit d’un accident et non d’un attentat. Mais, camarades, comment des passagers d’un avion, brutalement réveillés par le choc, peuvent-ils dire comment et pourquoi leur avion s’est renversé et s’est écrasé ?

Pour nous il s’agit purement et simplement de la continuation de la politique raciste des Blancs d’Afrique du Sud ; il s’agit d’une autre manifestation de l’impérialisme. Pour savoir qui a tué Samora Machel, demandons-nous qui se réjouit et qui a intérêt à ce que Machel ait été tué ?

Nous trouvons côte à côte, main dans la main, d’abord les Blancs racistes d’Afrique du Sud que nous n’avons cessé de dénoncer.

Nous trouvons à leurs côtés ces marionnettes, ces bandits armés du MNR, dit Mouvement national de résistance (Renamo). Résistance à quoi ?

A la libération du peuple mozambicain, à la marche pour la liberté du peuple mozambicain et d’ailleurs, et à l’aide internationaliste que le Mozambique à travers le Frelimo apportait aux autres peuples.

Nous trouvons également les Jonas Savimbi’. Il doit se rendre en Europe. Nous avons protesté contre cela. Nous avons dit aux Européens, en particulier à la France que si elle a établi un visa d’entrée pour lutter contre le terrorisme, si elle recherche les terroristes, elle en a trouvé un : Jonas Savimbi.

A leurs côtés nous trouvons les traîtres africains qui font transiter par chez eux des armes contre les peuples africains’. Enfin nous trouvons ces éléments qui crient ça et là paix mais déploient chaque jour leur intelligence, leurs énergies pour aider et soutenir les traîtres à la cause africaine. Ce sont eux qui ont assassiné Samora Machel.

Hélas, pour n’avoir pas apporté le soutien nécessaire à Samora Machel, nous autres Africains l’avons aussi livré à ses ennemis. En effet, lorsque, répondant à l’appel de l’Organisation de l’unité africaine, le Mozambique a rompu définitivement ses relations avec l’Afrique du Sud, qui au niveau de l’OUA l’a soutenu ?

Pourtant le Mozambique, lié économiquement à l’Afrique du Sud connaissait d’énormes difficultés. Les Mozambicains ont lutté et résisté seuls contre l’Afrique du Sud. C’est pourquoi nous Africains au sein de l’OUA portons une lourde responsabilité dans la disparition de Samora Machel.

Les discours d’aujourd’hui ne seront jamais rien tant que nous n’essaierons pas dans le futur d’être plus conséquents dans nos résolutions. A Harare [au huitième Sommet du Mouvement des pays non-alignés], le Burkina Faso a soutenu la même position.

Il ne s’agit pas d’applaudir Robert Mugabe, de le présenter comme un digne fils du Non-alignement si quelques heures après notre départ, Afrique du Sud se mettant à bombarder le Zimbabwe, chacun de nous resterait douillettement dans sa capitale, se contentant d’envoyer des messages de soutien.

Certains Etats nous avaient applaudi, d’autres avaient trouvé que nous allions trop loin. Aujourd’hui l’histoire nous donne raison : Quelque temps après le sommet des Non-alignés, l’Afrique du Sud a fait son sale boulot ; et nous voilà seulement dans des condamnations verbales.

C’est l’impérialisme qui organise, qui orchestre tous ces malheurs ; c’est lui qui a équipé et formé les racistes ; c’est lui qui leur a vendu des radars et des avions de chasse pour surveiller et abattre l’avion de Samora Machel.

C’est également lui qui a mis des fantoches en Afrique pour lui communiquer des informations sur l’heure du décollage de l’avion et l’heure de son passage dans la zone. Et c’est encore lui qui essaie de tirer profit de la situation et qui déjà cherche à savoir qui va succéder à Samora Machel.

C’est enfin lui qu’essaie de diviser les combattants mozambicains en les classant en modérés et en extrémistes. Samora Machel était un grand ami de notre révolution, un grand soutien de notre révolution. Il le disait partout et le montrait dans ses attitudes vis-à-vis des délégations burkinabè. Nous avons été en contact avec lui pour la première fois à travers ses écrits sur la révolution.

Nous avons lu et étudié les ouvrages de Machel et nous avons communié intellectuellement avec lui. La deuxième fois que nous l’avons connu, c’était à New-Delhi au sommet des
Non-alignés. Il disait qu’il suivait la situation dans notre pays, mais était inquiet à cause de la volonté de domination de l’impérialisme.

Par la suite nous l’avons rencontré à Addis-Abeba deux fois.

Nous avons discuté. Nous avons admiré cet homme qui n’a jamais baissé la tête, même après les accords de Nkomati dont il comprenait la portée tactique et que certains éléments opportunistes ont essayé d’exploiter contre lui en le faisant passer pour un lâche.

La délégation burkinabè avait alors pris la parole pour dire que ceux qui attaquaient le Mozambique n’avaient pas droit à la parole tant qu’ils n’avaient pas pris les armes pour aller combattre en Afrique du Sud. Nous l’avions beaucoup soutenu, mais il nous soutenait également.

Au dernier sommet de l’OUA, lorsque la position burkinabè avait été attaquée par certains États, Machel avait pris la parole et dit que « s’ils n’avaient pas la reconnaissance et le courage d’applaudir le Burkina Faso, ils devaient au moins avoir honte et se taire ».

Nous nous sommes encore retrouvés chez lui à Maputo. Il nous a beaucoup aidé à comprendre la situation intérieure et extérieure extrêmement difficile dans laquelle il se trouvait. Tout le monde sait le rôle joué par Samora Machel au sein des pays de la Ligne de front.

Enfin nous l’avons retrouvé à Harare au dernier sommet des Non-alignés où nous avons eu de nombreuses conversations. Samora Machel se savait une cible de l’impérialisme. Il avait par ailleurs pris l’engagement de venir au Burkina Faso en 1987. Nous avions convenu d’échanger des délégations au niveau de nos CDR, de l’armée, de nos ministres, etc.

Tout cela doit nous servir de leçons. Nous devons nous tenir solidement, main dans la main avec les autres révolutionnaires parce que d’autres complots nous guettent, d’autres crimes sont en train d’être préparés.

Camarades, je voudrais vous inviter tous à accompagner de vos vœux la médaille, la distinction honorifique que nous conduirons au Mozambique pour décorer Samora Machel. Nous lui enverrons la plus haute distinction du Burkina Faso, de notre révolution ; parce que nous estimons que son œuvre a contribué et contribue à l’avancée de notre révolution. Il mérite donc que nous lui décernions l’Étoile d’or du Nahouri.

En même temps je vous invite sur toute l’étendue de notre territoire à baptiser des carrefours, des immeubles, etc., du nom de Samora Machel parce qu’il l’aura mérité. Il faut que la postérité se souvienne de cet homme, de tout ce qu’il a fait pour son peuple et pour les autres peuples.

Ainsi nous aurons matérialisé chez nous cette mémoire pour que d’autres hommes s’en souviennent éternellement.

Camarades, nous nous sommes réunis aujourd’hui pour réfléchir sur la disparition de Samora Machel ; demain il faudra avancer, il faudra vaincre.

La patrie ou la mort, nous vaincrons ! »

DISCOURS DE THOMAS SANKARA
DU 29 JUILLET 1987 AU 25ème SOMMET DES MEMBRES DE L’OUA

Nous estimons que la dette s’analyse d’abord de par ses origines. Les origines de la dette remontent aux origines du colonialisme.

Ceux qui nous ont prêté de l’argent, ce sont ceux-là qui nous ont colonisés. Ce sont les mêmes qui géraient les Etats et les économies.

Ce sont les colonisateurs qui endettaient l’Afrique auprès des bailleurs de fonds, leurs frères et cousins (regards approbateurs de Kenneth Kaunda et attentifs de Samora Machel).

Nous étions étrangers à cette dette, nous ne pouvons donc pas la payer.

La dette, c’est encore les néocolonialistes ou les colonisateurs qui se sont transformés en assistants techniques. En fait, nous devrions dire qui se sont transformés en assassins techniques.

Et ce sont eux qui nous ont proposé des sources de financement, des bailleurs de fonds, un terme que l’on emploie chaque jour comme s’il y avait des hommes dont le bâillement suffisait à créer le développement chez d’autres. Ces bailleurs de fonds nous ont été conseillés, recommandés.

On nous a présenté des montages financiers alléchants, des dossiers. Nous nous sommes endettés pour cinquante ans, soixante ans et même plus. C’est-à-dire que l’on nous a amenés à compromettre nos peuples pendant cinquante ans et plus.

Mais la dette, sous sa forme actuelle, contrôlée et dominée par l’impérialisme, est une reconquête savamment organisée, pour que l’Afrique, sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangères, faisant en sorte que chacun de nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser.

On nous dit de rembourser la dette. Ce n’est pas une question morale, ce n’est point une question de ce prétendu honneur que de rembourser ou de ne pas rembourser.

Monsieur le Président, nous avons écouté et applaudi le premier ministre de Norvège lorsqu’elle est intervenue ici même. Elle a dit, elle qui est européenne, que toute la dette ne peut pas être remboursée.

Je voudrais simplement la compléter et dire que la dette ne peut pas être remboursée. La dette ne peut pas être remboursée parce que d’abord si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas.

Soyons-en sûrs. Par contre si nous payons, c’est nous qui allons mourir. Soyons-en sûrs également. Ceux qui nous ont amené…ceux qui nous ont conduits à l’endettement ont joué comme dans un casino.

Tant qu’ils gagnaient, il n’y avait point de débat. Maintenant qu’ils ont perdu au jeu, ils nous exigent le remboursement. Et on parle de crise. Non, Monsieur le président, ils ont joué, ils ont perdu, c’est la règle du jeu. Et la vie continue. (Applaudissements).

Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous n’avons pas de quoi payer. Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous ne sommes pas responsables de la dette. Nous ne pouvons pas payer la dette parce qu’au contraire les autres nous doivent ce que les plus grandes richesses ne pourront jamais payer, c’est-à-dire la dette de sang. C’est notre sang qui a été versé.

On parle du Plan Marshall qui a refait l’Europe économique. Mais l’on ne parle pas du Plan africain qui a permis à l’Europe de faire face aux hordes hitlériennes lorsque leurs économies étaient menacées, leurs stabilités étaient menacées.

Qui a sauvé l’Europe? C’est l’Afrique.

On en parle très peu. On en parle si peu que nous ne pouvons, nous, être complices de ce silence ingrat.

Si les autres ne peuvent pas chanter nos louanges, nous en avons au moins le devoir, de dire que nos pères furent courageux et que nos anciens combattants ont sauvé l’Europe et finalement ont permis au monde de se débarrasser du nazisme.

La dette, c’est aussi la conséquence des affrontements. Et lorsqu’on nous parle aujourd’hui de crise économique, on oublie de nous dire que la crise n’est pas venue de façon subite.
La crise existe de tous temps et elle ira en s’aggravant chaque fois que les masses populaires seront de plus en plus conscientes de leurs droits face aux exploiteurs.

Il y a crise aujourd’hui parce que les masses refusent que les richesses soient concentrées entre les mains de quelques individus.

Il y a crise parce que quelques individus déposent dans des banques à l’étranger des sommes colossales qui suffiraient à développer l’Afrique.

Il y a crise parce que face à ces richesses individuelles que l’on peut nommer, les masses populaires refusent de vivre dans les ghettos et dans les bas quartiers.

Il y a crise parce que les peuples, partout, refusent d’être dans Soweto face à Johannesburg. Il y a donc lutte et l’exacerbation de cette lutte amène les tenants du pouvoir financier à s’inquiéter.

On nous demande aujourd’hui d’être complices de la recherche d’un équilibre. Équilibre en faveur des tenants du pouvoir financier. Équilibre au détriment de nos masses populaires.

Non ! Nous ne pouvons pas être complices. Non; nous ne pouvons pas accompagner ceux qui sucent le sang de nos peuples et qui vivent de la sueur de nos peuples. Nous ne pouvons pas les accompagner dans leurs démarches assassines.

Monsieur le Président, nous entendons parler de clubs, club de Rome, club de Paris, club de Partout. Nous entendons parler du groupe des cinq, des sept, du groupe des dix, peut-être du groupe des cent, que sais-je encore.

Il est normal que nous créions notre club et notre groupe. Faisons en sorte que dès aujourd’hui Addis-Abeba devienne également le siège, le centre d’où partira le souffle nouveau: Le Club d’Addis-Abeba.

Nous avons le devoir aujourd’hui de créer le front uni du Club d’Addis-Abeba contre la dette. Ce n’est que de cette façon que nous pourrons dire aux autres qu’en refusant de payer, nous ne venons pas dans une démarche belliqueuse, mais au contraire dans une démarche fraternelle pour dire ce qui est. Du reste, les masses populaires en Europe ne sont pas opposées aux masses populaires en Afrique.

Mais Ceux qui veulent exploiter l’Afrique sont les mêmes qui exploitent l’Europe. Nous avons un ennemi commun. Donc notre club parti d’Addis-Abeba devra également dire aux uns et aux autres que la dette ne saura être payée.

Quand nous disons que la dette ne saurait être payée, ce n’est point que nous sommes contre la morale, la dignité, le respect de la parole. Nous estimons que nous n’avons pas la même morale que les autres. Entre le riche et le pauvre, il n’y a pas la même morale. La Bible, le Coran, ne peuvent pas servir de la même manière celui qui exploite le peuple et celui qui est exploité.

Il faudra qu’il y ait deux éditions de la Bible et deux éditions du Coran. (Applaudissements).

Nous ne pouvons pas accepter que l’on nous parle de dignité. Nous ne pouvons pas accepter que l’on nous parle du mérite de ceux qui paient et de perte de confiance vis-à-vis de ceux qui ne paieraient pas.

Nous devons au contraire dire que c’est normal aujourd’hui. Nous devons au contraire reconnaître que les plus grands voleurs sont les plus riches.

Un pauvre quand il vole ne commet qu’un larcin, une peccadille tout juste pour survivre et par nécessité.

Les riches, ce sont eux qui volent le fisc, les douanes et qui exploitent les peuples. Monsieur le Président, ma proposition ne vise pas tout simplement à provoquer ou à faire du spectacle. Je voudrais dire ce que chacun de nous pense et souhaite.

Qui ici ne souhaite pas que la dette soit purement et simplement effacée. Celui qui ne le souhaite pas, il peut sortir, prendre son avion et aller tout de suite à la banque mondiale payer. Nous tous le souhaitons. (Rires et applaudissements)

Ma proposition n’est pas non plus… Je ne voudrais pas qu’on prenne la proposition du Burkina Faso comme celle qui viendrait de la part de jeunes sans maturité, sans expérience. Je ne voudrais pas non plus qu’on pense qu’il n’y a que des révolutionnaires à parler de cette façon.

Je voudrais qu’on admette simplement que c’est l’objectivité et l’obligation. Et je peux citer, dans les exemples de ceux qui ont dit de ne pas payer la dette, des révolutionnaires, comme des non-révolutionnaires, des jeunes comme des vieux.

Je citerai par exemple, Fidel Castro qui a déjà dit de ne pas payer, il n’a pas mon âge, même s’il est révolutionnaire.

Mais je pourrais citer également François Mitterrand qui a dit que les pays africains ne pouvaient pas payer, les pays pauvres ne peuvent pas payer.

Je pourrais citer Madame le Premier Ministre…je ne connais pas son âge et je m’en voudrais de le lui demander. Mais… (Rires) c’est un exemple.

Je voudrais citer également Félix Houphouët Boigny, il n’a pas mon âge. Cependant, il a déclaré officiellement et publiquement, du moins pour ce qui concerne son pays, que la Côte d’Ivoire ne peut pas payer.

Or, la Côte d’Ivoire est classée parmi les pays les plus aisés d’Afrique, au moins d’Afrique francophone.

C’est pourquoi il est normal qu’elle paye plus, en contribution, ici (éclats de rires).

Mais, Monsieur le Président, ce n’est donc pas de la provocation. Je voudrais que très sagement vous nous offriez des solutions.

Je voudrais que notre conférence adopte la nécessité de dire clairement que nous ne pouvons pas payer la dette, non pas dans un esprit belliqueux, belliciste, ceci, pour éviter que nous allions individuellement nous faire assassiner. Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serais pas là à la prochaine conférence.

Par contre, avec le soutien de tous, dont j’ai besoin, (applaudissements) avec le soutien de tous, nous pourrons éviter de payer. Et en évitant de payer, nous pourrons consacrer nos maigres ressources à notre développement.

Et je voudrais terminer en disant que chaque fois qu’un pays africain achète une arme, c’est contre un Africain. Ce n’est pas contre un Européen, ce n’est pas contre un Asiatique, c’est contre un Africain.

Par conséquent, nous devons également dans la lancée de la résolution de la question de la dette, trouver une solution au problème de l’armement.

Je suis militaire et je porte une arme. Mais Monsieur le Président, je voudrais que nous nous désarmions. Parce que moi je porte l’unique arme que je possède, d’autres ont camouflé les armes qu’ils ont. (Rires et applaudissements).

Alors, chers frères, avec le soutien de tous, nous pourrons faire la paix chez nous. Nous pourrons également utiliser ses immenses potentialités pour développer l’Afrique parce que notre sol et notre sous-sol sont riches. Nous avons suffisamment de bras et nous avons un marché immense, très vaste du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest.

Nous avons suffisamment de capacité intellectuelle pour créer ou tout au moins prendre la technologie et la science partout où nous pourrons les trouver.

Monsieur le Président, faisons en sorte que nous mettions au point ce front uni d’Addis-Abeba contre la dette.

Faisons en sorte que ce soit à partir d’Addis-Abeba que nous décidions de limiter la course aux armements entre pays faibles et pauvres.

Les gourdins et les coutelas que nous achetons sont inutiles. Faisons en sorte également que le marché africain soit le marché des Africains: produire en Afrique, transformer en Afrique et consommer en Afrique.

Produisons ce dont nous avons besoin et consommons ce que nous produisons au lieu de l’importer. Le Burkina Faso est venu vous exposer ici la cotonnade, produite au Burkina Faso, tissée au Burkina Faso, cousue au Burkina Faso pour habiller les Burkinabés.

Ma délégation et moi-même, nous sommes habillés par nos tisserands, nos paysans. Il n’y a pas un seul fil qui vienne de l’Europe ou de l’Amérique. (Applaudissements)

Je ne fais pas un défilé de mode, mais je voudrais simplement dire que nous devons accepter de vivre africain. C’est la seule façon de vivre libre et de vivre digne. Je vous remercie, Monsieur le Président.

La patrie ou la mort, nous vaincrons.

Thomas Sankara. »