
Le Cameroun est un Etat situé en Afrique centrale qui partage ses frontières avec le Nigéria à l’Ouest, le Tchad au Nord, la Centrafrique à l’Est et le Gabon, la Guinée équatoriale et la RDC au Sud. Rudolf Duala Manga Bell, petit-fils de N’doumbé Lobé, Chef supérieur des Bell de 1858 à 1897 fait partie d’une dynastie, celle des Bell comprenait les Bonamandone, les Bonapriso et les Bonadoumbé, tous propriétaires du Plateau Joss de Douala. En 1845, des missionnaires baptistes britanniques s’installent au Cameroun pour exercer leur commerce et mettre à la longue un terme à l’esclavage qu’ils désapprouvent. Un autre européen, un allemand de Hambourg du nom d’Adolph Woermann ouvre un comptoir aux environs de Douala en 1868. La présence des européens, français et allemands considérés comme des envahisseurs, qui occupent les commerces, fragilisant ceux des nationaux déplait aux Chefs de tribus du Cameroun. De ce fait, le 7 août 1879 le Chef des Akwa du nom de Dika Mpondo Akwa, adresse un courrier à la Reine d’Angleterre pour lui demander de les protéger et faire appliquer les lois anglaises à sa tribu. Le Chef des Bell transmet un courrier pareil à la Reine d’Angleterre le 8 mars 1881 afin qu’elle mette sa tribu sous sa protection. PUBLIÉ PAR LOIDICI.COM Le 6 novembre 1881, les deux Chefs écrivent une lettre commune à la Reine d’Angleterre pour un transfert de souveraineté à la Grande-Bretagne tout en précisant dans leur correspondance que leurs pouvoirs personnels doivent être préservés. Ils y mentionnent qu’ils ne veulent ni d’une annexion, ni d’une colonisation. Londres ne répond pas immédiatement à la requête des Chefs de tribus et lorsqu’il décide d’envoyer le Consul Edbert Ansgar Hewett pour négocier avec les Chefs de tribus, des allemands propriétaires d’entreprises commerciales, Adolph Woermann, Wilhelm Jantzen et Johann Thormählen ont déjà convaincu le Chancelier Bismarck, opposé à l’expansion coloniale, à signer quant même le Traité de Protectorat. Le Chancelier allemand Bismarck charge le Dr Gustav Nachtigal qui connaît bien l’Afrique à négocier le transfert de souveraineté au nom du Reich allemand. Le 12 juillet 1884, les allemands et les Chefs de tribus signent ce Traité. Le Consul britannique Edbert Ansgar Hewett, en provenance du Nigéria où il est établi, arrive le Pour ce retard, il est surnommé Too late Consul ou Consul trop tard. En fait, des analystes avancent que les allemands se sont dépêchés de signer le Traité de Protectorat dans le but de le brandir à la Conférence internationale de Berlin sur le partage de l’Afrique planifié par les puissances européennes et programmé de novembre 1884 à février 1885. Méfiants, en dépit des assurances des allemands, les Chefs de tribu exigent du Consul impérial allemand Emil Schulze, la signature d’un engagement écrit baptisé Wünsche der Kamerunleute ou Souhaits des camerounais . A la suite de la signature des Souhaits des camerounais le 12 juillet 1884, les Chefs supérieurs des Akwa, des Bell et des Deido, sur un bateau de guerre allemand, le Möwe, concluent un autre Traité ; Celui-là commercial, le Traité Germano-Douala avec Edouard Schmidt et Johannes Voss. D’autres sources indiquent que le Traité Germano-Douala a été signé par le Chef supérieur de la tribu des Akwa uniquement. Le 14 juillet 1884, le drapeau allemand est hissé au Cameroun qui devient Kamerun ou Cameroun allemand. Lock Priso, Chef de Tribu de Bonabéri qui considère ce Traité comme une escroquerie monnayée refuse de le signer et lorsque les allemands font monter leur drapeau sur Bonabéri, il le fait descendre et fait parvenir une note au Consul allemand Emil Schulze où il écrit : « Je vous prie de descendre ce drapeau, personne ne nous a achetés, vous vouliez nous corrompre par beaucoup d’argent, nous avons refusé, je vous prie de nous laisser notre liberté et de ne pas apporter du désordre chez nous.» Le 20 décembre 1884, pour sanctionner ce Chef de Tribu, le Contre-amiral allemand Knorr se déplace jusqu’au Kamerun avec des bateaux de guerre ; Les bateaux Bismarck et Olga. Il y fait débarquer 331 soldats super-armés et pendant deux (02) jours, il fait bombarder Bonabéri et Bonapriso. Les marins allemands brûlent la ville côtière de Hickory Town de la région de Bonabéri. Les assaillants allemands volent la proue princière qu’ils conservent à ce jour au musée ethnographique de Munich, en Allemagne. (Voir page 19 du présent ouvrage) En mars 1885, le premier empereur allemand, l’empereur Guillaume 1er, désigne le premier Gouverneur du Kamerun en la personne de Julius von Soden. Rudolf Duala Manga Bell, après avoir fait une partie de ses études secondaires à Douala, part en Allemagne en 1891 et s’inscrit au Lycée d’Aalen puis à la Faculté de Droit de l’université de Bonn où il obtient une Licence. En 1896, il retourne au Kamerun en possession de son diplôme et intègre l’administration judiciaire allemande. Le 15 juillet 1896, en violation du Traité de Protectorat, les autorités allemandes signent une Ordonnance qui fait du Kamerun, une terre de la couronne. Dans la même période, Auguste Manga N’doumbé, le père de Rudolf Duala Manga Bell, succède à son défunt père et devient Chef supérieur des Bell. En décembre 1896, Rudolf Duala Manga Bell épouse une métisse nommée Engome, fille de l’anglais Dayas. Alexander Ndoumbe Douala Manga Bell, de sexe féminin, naît de cette union en 1897. En 1901, la ville de Buéa devient la capitale du Kamerun à la place de Douala et abrite la résidence du Gouverneur allemand la même année. En juillet 1902, les Chefs de tribu organisent une collecte populaire de fonds d’un demi-mark auprès de tous les adultes kamerounais valides afin d’assurer les frais de voyage en Allemagne d’une délégation pour remettre une pétition à l’Empereur allemand, Guillaume II ; Pétition qui dénonce le traitement infligé aux noirs des colonies kamerounaises. La délégation composée du Chef supérieur des Bell, Auguste Manga N’doumbé et son notable Eyuma’a Njembélé ; Le Chef supérieur des Akwa, Dika Mpondo Akwa ; Le notable Mukudi Muangué de Bonakuamuang et le Chef supérieur des Deido, Epée Ekwalla et son notable Dikongué Môni de Bonamuduru, retourne au Kamerun à la fin de leur mission. Seul reste en Europe, Mpondo Akwa, fils et Conseiller du Chef supérieur des Akwa, Dika Mpondo Akwa. Mpondo Akwa prolonge son voyage pour appuyer les doléances faites par la délégation. Il remet une autre pétition aux autorités allemandes pour requérir le respect des dispositions du Traité de 1884. Cette dernière pétition dénonce le comportement raciste du Sieur Jesko Albert Eugen Von Puttkamer, nommé en mai 1885, suppléant du premier Gouverneur du Kamerun, Julius Von Soden. Les dénonciations portent leurs fruits et le gouverneur-Général Jesko Albert Eugen Von Puttkamer bien que fils du ministre d’Etat du Chancelier Bismarck et neveu du ministre de la guerre Von Papen est immédiatement rappelé en Allemagne. Eduard von Brauchitsch administrateur allemand et architecte urbain de la ville de Douala est condamné à payer une amende de 1.000 marks. Ces sanctions considérées comme une humiliation par la communauté allemande fait naître une grande animosité entre les colons et la population de Douala. Les amis de nationalité allemande de Mpondo Akwa l’exhortent à rester en Allemagne pour éviter de se faire arrêter une fois arrivé au Kamerun. Le 14 février 1903, une Ordonnance est signée par les allemands pour légaliser l’expropriation des terres du Kamerun pour cause d’utilité publique en dépit des protestations des kamerounais qui jugent cette Ordonnance illégale et une violation du Traité signé en 1884. Le 9 mai 1907, Théodor Seitz est nommé Gouverneur impérial de Douala et un an après, en 1908, Rudolf Duala Manga Bell devient Chef supérieur des Bell, le 12ème de la dynastie des Bell à la suite du décès de son père. Théodor Seitz, élabore en 1910, un projet d’urbanisation appelé Gross Duala ; Projet par lequel les habitants de la zone d’intervention Plateau Joss seront chassés pour faire du Plateau Joss, un territoire réservé en grande partie aux allemands et un des plus grands ports d’Afrique pour le compte de l’Allemagne. Ainsi, cette urbanisation envisage créer trois (3) zones ; Une zone pour les services publics et les résidences des européens ; Une autre zone réservée à la population de Duala avec les quartiers New Deido, New Akwa et New Bell et entre ces deux (2) zones, une barrière d’un kilomètre de large, qui sépare la partie européenne, déjà interdite aux kamerounais, de la deuxième zone parce que le médecin du Gouverneur impérial, le Docteur Ziemann a confié au Gouverneur que 72 % des Duala ont la malaria et les éloigner serait la meilleure des solutions. Le Chef supérieur des Bell dénonce le caractère raciste de ce projet qui ressemble, selon lui, à de l’apartheid et il dit : « Nous commençons par nier le besoin de créer une ville européenne et une ville purement indigène. La conception selon laquelle ces deux aménagements sont nécessaires n’est soutenue ni par les colons commerçants, les missionnaires…le gouvernement mis à part, plus précisément une partie de ses fonctionnaires, ni par tous les indigènes. En outre, l’assainissement de Douala n’exige pas une séparation spatiale aussi vaste de ses quartiers.» Le Chef supérieur des Bell ne manque pas de rappeler les clauses du Traité du 12 juillet 1884 qui ne prévoient aucunement des expropriations. Le projet est néanmoins réalisé et, mécontent, le Chef Rudolf Duala Manga Bell contacte ses amis journalistes et avocats basés en Europe. Il dépêche en Allemagne, Adolf Ngosso Din, son Secrétaire qui est également son cousin pour soulever un sentiment d’indignation des européens. A peine âgée de trente (30) ans, Adolf Ngosso Din embarque clandestinement dans un bateau à partir de Tiko pour l’Allemagne. Une fois arrivé en Allemagne, Adolf Ngosso Din se met au travail avec les avocats allemands Halpert et Gerlach. Mis au parfum de ce qui se passe au Kamerun, les députés du Parlement allemand interpellent leur gouvernement sur la manière dont il gère ce Protectorat et évoque l’expropriation en cours au Kamerun. La presse allemande s’y mêle et expose au grand jour les injustices au Kamerun. D’autres émissaires kamerounais sont envoyés en France et dans différents Etats européens pour susciter plus de soutiens des européens. Le 28 août 1910, le Gouverneur Théodor Seitz est remplacé par le Gouverneur Otto Gleim. En 1911, lorsque Mpondo Akwa rejoint son pays, il est accusé d’avoir tenu des propos anti-allemands et est déporté à Banyo puis à Ngaoundéré pour être emprisonné. Mpondo Akwa, sous belle escorte est autorisé quant même, à nager dans la rivière voisine mais à sa dernière sortie, il est fusillé parce qu’il aurait tenté de s’évader. La vérité sur la mort de Mpondo Akwa reste cachée longtemps avant que les investigations de sa famille dévoilent les conditions de sa mort. PUBLIÉ PAR LOIDICI.COM Le projet d’urbanisation prend forme en 1913 et les habitants du Plateau de Joss, du clan Bell, actuel quartier Bonanjo se voient notifier l’Arrêté du Chef de District local. (Voir page 18 du présent ouvrage) Le 4 août 1913, informés des démarches de Rudolf Duala Manga Bell visant à saper le projet d’expropriation, les allemands le relèvent provisoirement de ses fonctions de Chef supérieur et le privent de sa pension annuelle de 3.000 Marks ou 1.533 Euros ou un million 6 mille 238 Francs CFA. Rudolf Duala Manga Bell poursuit malgré tout son combat et élabore son Plan B qui repose sur l’organisation d’une rébellion contre le projet des allemands. A pas de loup, Duala Manga transmet son plan aux autres Chefs de tribus, les Chefs de Baham, de Bali, de Bamoun (ou Foumban), de Banyo, de Kribi, de Dschang, de Ngaoundéré, de Yabassi, d’Ebolowa, de Yaoundé. Lorsque le Chef de Tribu de Bamoun, le Sultan Ibrahim Njoya reçoit le messager du Chef Bell par l’intermédiaire de son envoyé Ndane, il répond à Chef Duala Manga : « Les allemands sont mes pères, et lui est comme mon frère, comment dès lors pourrais-je entrer en guerre contre eux ? » Le Sultan Ibrahim Njoya procède à l’arrestation de l’émissaire de Rudolf Duala Manga Bell et le livre aux allemands. Il remet le courrier du Chef Rudolf Duala Manga Bell à un ecclésiaste allemand qui le communique à l’Administration allemande. Le 10 mai 1914, le Secrétaire d’Etat allemand Wilhelm Heinrich Solf donne l’ordre à ses gardes d’arrêter Rudolf Duala Manga Bell. Aussitôt arrêté, il est inculpé d’avoir formaté une rébellion et quatre (4) jours après, le 15 mai 1914, Adolf Ngosso Din est arrêté à son tour en Allemagne et ramené à Douala le 24 mai 1914. Le vendredi 7 août 1914, à 20 heures, la Cour dirigée par le juge allemand Niedermeryer, déclare Duala Manga Bell coupable de Haute trahison et le condamne à la peine de mort par pendaison. Maître Tilg, bien que de nationalité allemande et avocat de Duala Manga Bell et Adolf Ngosso Din, est expulsé du Kamerun et porté disparu par la suite.Avant sa pendaison, Duala Manga Bell est libéré pour faire ses adieux à sa famille et, en homme digne, il revient pour se reconstituer prisonnier. Le samedi 8 août 1914, avant sa pendaison, Duala Manga Bell dit : « Vous pendez un innocent, vous me tuez pour rien. Mais les conséquences de cet acte auront une suite mémorable. Maintenant, je quitte les miens; mais maudits soient les allemands. Dieu que j’implore, écoute ma dernière volonté : que ce sol ne soit plus jamais foulé par les allemands. » A 16 heures, Duala Manga Bell et son Secrétaire NAdolf Ngosso Din sont pendus et enterrés tous les deux (2) dans le cimetière indigène Njo Njo. Le Chef Martin Paul Samba est fusillé à Ebolowa et le chef Henri Madola de Grand Batanga est tué à Kribi. Les lamibé de Kalfu et de Mindif sont tués ainsi que cinq (5) dignitaires de Maroua. Arrêté, le Chef de tribu Dika Mpondo Akwa est déporté en Guinée espagnole et, détenu dans des conditions atroces, il meurt le 6 décembre 1916. Les restes de la dépouille de Rudolf Duala Manga Bell sont transportés en 1935 dans la maison royale de Bonanjo où il est célébré chaque 8 août au Cameroun. Le 29 décembre 2009, le Prince Kum’a Ndumbe III, professeur des universités, écrivain et petit fils de Lock Priso réclame la proue princière que les allemands ont volé. Il dit : « Moi, le Prince Bele Bele, Kum, fils de Ndumbe III, lui-même fils de Kum’a Mbape (Lock Priso), en ce jour du 22 décembre 2009, 125 ans après le dérèglement durable de nos sociétés par les politiques coloniales et néo¬coloniales, je déclare solennellement : j’exige du gouvernement allemand que le Tangué de mon grand père, Kum’a Mbape, pris comme butin de guerre, me soit restitué, à ma famille et à notre peuple avec dédommagements, comme le prévoient les conventions internationales en vigueur. La paix durable et la réconciliation entre les peuples passent par la réparation des injustices fondamentales. » PAROLE FORTE : PUBLIÉ PAR LOIDICI.COM |