MAÎTRE EMMANUEL DAOUD – AVOCAT INSCRIT AU BARREAU DE PARIS

PENALISATION DU DROIT FISCAL

 

1- De quoi parle-t-on réellement lorsque nous abordons la « Pénalisation du droit fiscal » ?

La lutte contre la fraude fiscale est l’une des priorités de l’État. Deux objectifs sont affichés : recouvrer l’impôt dû à l’État et punir les fraudeurs. Le renvoi de la banque UBS devant le tribunal correctionnel, la condamnation de Jérôme Cahuzac et de Thomas Thévenoud en sont des illustrations.

Les affaires Wildenstein, Wendel et Nina Ricci dessinent les contours d’un troisième objectif affiché : celui de la répression des conseils fiscaux des fraudeurs.

En outre, l’année 2017 a été marquée par une importante évolution de l’arsenal répressif en matière de blanchiment de fraude fiscale avec l’instauration de la convention judiciaire d’intérêt public, véritable transaction pénale à la française issue de la loi n°2016-1691 dite Sapin II.

L’utilisation de ce nouvel outil procédural dans l’affaire HSBC Private Bank, dans laquelle la banque a obtenu la fin des poursuites pénales en échange du versement de 300 millions d’euros, démontre l’efficacité de ce mécanisme.

De plus, afin de poursuivre et réprimer la fraude fiscale, la tendance observée depuis déjà plu­sieurs années est la recherche de la transparence, au risque d’aboutir à la sacralisation de la délation. Ainsi, et à titre expérimental pour une durée de 2 ans, depuis l’entrée en vigueur du décret n°2017-601 du 21 avril 2017, la direction générale des finances publiques peut indemniser toute personne étrangère aux administrations publiques qui lui a fourni des renseignements ayant conduit à la découverte d’une fraude fiscale. Par ailleurs, la loi n°2016-1691 offre désormais une protection aux lanceurs d’alertes qui dénonceraient « de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit », et notamment des faits de fraude fiscale, d’abord en interne au sein de l’entreprise qui les emploie, puis, à défaut de traitement, directement au ministère public.

Il en résulte que ce renforcement des outils de découverte et de répression des fraudeurs fiscaux a très largement étendu la place du droit pénal en matière fiscale. La démarcation entre risque fiscal et risque pénal paraît plus étroite que jamais, et les mots de Philippe Muray raisonnent: « Dans ce temps merveilleux où nous vivons, où les gardes à vue se multiplient, où les mises en examen poussent comme des champignons après l’averse, où les centres des impôts croulent sous les lettres de délation, et où l’autorité judiciaire et les médias copilotent une humanité de plus en plus euphoriquement accusatrice, c’est d’en bas aussi bien que d’en haut que jaillit sans arrêt cette griserie jalouse, répressive, contrôleuse, infantilisante et maternifiante à laquelle j’avais donné il y a déjà longtemps son vrai nom : l’envie de pénal. ».

2- Qui est aujourd’hui confronté à cette pénalisation ? Quelles conséquences pratiques cela implique pour les contribuables et leurs conseils ?

Avant tout, les contribuables sont les principales cibles de cette pénalisation du droit fiscal. Cependant, les affaires Wildenstein, Wendel et Ricci ont fait émerger une nouvelle responsabilité : celle des conseils fiscaux des fraudeurs, et notamment des avocats à l’origine des montages fiscaux qualifiés de fraudes par l’administration fiscale, relayée (parfois de façon complaisante) par le parquet. En effet, au titre de ces jurisprudences, aux yeux des juges répressifs, « il y a peut-être pire que de ne pas payer l’impôt, c’est d’être rémunéré pour conseiller de ne pas payer l’impôt », comme l’exprimait déjà la députée Karine Berger lors du vote de la loi de finances pour 2014.

Dans l’affaire Ricci, un confrère, conseil d’Arlette Ricci, a été condamné pour complicité d’organisation frauduleuse d’insolvabilité, à une peine d’un an de prison avec sursis assorti d’une peine de 10.000 euros d’amende, ainsi qu’au paiement solidaire des amendes de sa cliente en première instance, puis, fort heureusement, la condamnation a été ramenée à une « simple » peine de 20.000 euros d’amende en appel, bien que les circonstances de la cause aurait pu de justifier une relaxe.

Dans l’affaire Wildenstein, c’est le notaire de la famille qui est mis en cause devant le tribunal correctionnel, notamment en raison de documents qui révéleraient que celui-ci avait conscience du caractère frauduleux des trusts mis en place. La relaxe générale des prévenus, sur le fondement du principe de non rétroactivité de la loi pénale, a permis d’écarter la responsabilité du notaire, à tout le moins jusqu’à l’audience en appel qui se tiendra au cours de l’année 2018.

Enfin, dans l’affaire Wendel, un autre confrère a été renvoyé devant le tribunal correctionnel. La décision au fond est particulièrement attendue, en ce qu’elle permettra de déterminer si l’engagement de la responsabilité pénale des avocats fiscalistes n’est qu’un épiphénomène ou risque au contraire de se transformer en tendance lourde.

En tout état de cause, ces affaires démontrent que l’avocat fiscaliste est « en ligne de mire ». L’avocat dont le client est poursuivi pour fraude fiscale est le complice idéal, quasiment présumé coupable, ce qui présente d’importants risques d’atteintes au secret professionnel ainsi qu’aux droits fondamentaux de l’avocat, qui dispose des mêmes droits que tout justiciable, dont la présomption d’innocence.

Ainsi, la pénalisation du droit pénal concerne bien entendu le contribuable fraudeur, mais désormais également son conseil. Plus encore, la profession d’avocat est une circonstance aggravante au regard de notre droit, et porte les peines à un maximum de dix ans d’emprisonnement et 750.000 euros d’amende. En pratique, les avocats devront faire preuve d’une prudence renforcée en matière de conseil fiscal, au risque que la démarcation entre optimisation fiscale et fraude fiscale ne se fissure d’avantage.

3- En termes de procédure, comment la pénalisation du droit fiscal se matérialise-t-elle ?

Le droit pénal fiscal s’émancipe de la procédure pénale de droit commun et possède des caractéristiques qui lui sont propres.

D’abord, le principe non bis in idem reçoit une application particulièrement souple en matière pénale fiscale, alors même que ce dernier est protégé en droit international et européen par les articles 4 du protocole 7 de la CEDH, 14.7 du Pacte international de New-York relatif aux droits civils et politiques, 50 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE, ainsi qu’en droit interne, par les articles 113-9 du Code pénal, 6 et 368 du Code de procédure pénale.

Ainsi et contrairement à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme qui est beaucoup plus restrictive, le Conseil Constitutionnel, dans une décision du 24 juin 2016 n°2016-545 QPC, a admis le cumul des poursuites pénales et fiscales pour « les cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt [sachant que] cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention ».

Cette singularité française, à rebours de la jurisprudence européenne, consacre la volonté ferme du législateur et des juges français d’intensifier la lutte contre la fraude fiscale.

Ensuite, le « verrou de Bercy » est une autre spécificité du pénal fiscal. Cette règle, prévue aux articles 1741 du Code général des impôts et L. 228 du Livre des procédures fiscales, exige le dépôt d’une plainte par l’administration fiscale comme condition indispensable à l’engagement de poursuites pénales pour fraude fiscale. Ainsi, le ministère public et l’administration fiscale sont liés comme les amants du Verrou de Fragonard. Cette règle pose d’évidentes questions, notamment quant à sa compatibilité avec les principes d’indépendance de l’autorité judiciaire et de séparation des pouvoirs. Là encore, il s’agit d’une singularité de la procédure pénale en matière fiscale.

Autre particularité, en matière de blanchiment de fraude fiscale, un tel verrou n’existe pas et le ministère public peut se saisir seul d’un dossier, comme ce fut le cas dans l’affaire Paneurolife. En outre, l’infraction de blanchiment de fraude fiscale n’exige pas la démonstration précise de tous les éléments constitutifs de l’infraction d’origine. Il en résulte que des poursuites sur le fondement du blanchiment de fraude fiscale peuvent être engagées et, le cas échéant, aboutir à une condamnation pénale sans même que l’administration fiscale ne poursuive la fraude initiale.

Enfin, et comme je l’ai évoqué précédemment, l’instauration de la convention judiciaire d’intérêt public, dont le champ d’application comporte notamment le blanchiment de fraude fiscale, a ouvert la voie d’une justice pénale transactionnelle en matière fiscale.

La procédure pénale en matière fiscale possède donc d’importantes spécificités, qui en font une branche particulière du droit pénal, et dont la singularité ne fait que de s’intensifier au gré des évolutions législatives et d’une politique pénale « agressive » au diapason d’une intolérance à la fraude fiscale, désormais partagée par l’opinion politique.

Source : www.fiscalite.efe.fr