CHAPITRE 1 : DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES

PREAMBULE

Les Etats africains membres de L’OUA, parties à la présente Charte qui porte le titre de « Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ».

Rappelant la décision 115 (XVI) de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, en sa Seizième (16ème) Session Ordinaire tenue à MONROVIA (Liberia) du 17 au 20 Juillet 1979, relative à l’élaboration d’un avant-projet de Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, prévoyant notamment l’institution d’organes de promotion et de protection des Droits de l’Homme et des Peuples ;

Considérant la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine, aux termes de laquelle, « la liberté, l’égalité, la justice et la dignité sont des objectifs essentiels à la réalisation des aspirations légitimes des peuples africains » ;

Réaffirmant l’engagement qu’ils ont solennellement pris à l’Article 2 de ladite Charte, d’éliminer sous toutes ses formes le colonialisme de l’Afrique, de coordonner et d’intensifier leur coopération et leurs efforts pour offrir de meilleures conditions d’existence aux peuples d’Afrique, de favoriser la coopération internationale en tenant dûment compte de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ;

Tenant compte des vertus de leurs traditions historiques et des valeurs de civilisation africaine qui doivent inspirer et caractériser leurs réflexions sur la conception des droits de l’homme et des peuples ;

Reconnaissant que d’une part, les droits fondamentaux de l’être humain sont fondés sur les attributs de la personne humaine, ce qui justifie leur protection internationale et que d’autre part, la réalité et le respect des droits du peuple doivent nécessairement garantir les droits de l’homme ;

Considérant que la jouissance des droits et libertés impliquent l’accomplissement des devoirs de chacun ;

Convaincus qu’il est essentiel d’accorder désormais une attention particulière au droit au développement; que les droits civils et politiques sont indissociables des droits économiques, sociaux et culturels, tant dans leur conception que dans leur universalité, et que la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels garantit la jouissance des droits civils et politiques ;

Conscients de leur devoir de libérer totalement l’Afrique dont les peuples continuent à lutter pour leur indépendance véritable et leur dignité et s’engageant à éliminer le colonialisme, le néocolonialisme, l’apartheid, le sionisme, les bases militaires étrangères d’agression et toutes formes de discrimination, notamment celles fondées sur la race, l’ethnie, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’opinion politique ;

Réaffirmant leur attachement aux libertés et aux droits de l’homme et des peuples contenus dans les déclarations, conventions et autres instruments adoptés dans le cadre de l’Organisation de l’Unité Africaine, du Mouvement des Pays Non-alignés et de l’Organisation des Nations Unies ;

Fermement convaincus de leur devoir d’assurer la promotion et la protection des droits et libertés de l’homme et des peuples, compte dûment tenu de l’importance primordiale traditionnellement attachée en Afrique à ces droits et libertés,

Sont convenus ce qui suit :

 

PREMIERE PARTIE :

DES DROITS ET DES DEVOIRS

 

CHAPITRE 1 :

DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES

 

ARTICLE 1

Les Etats membres de l’Organisation de l’Unité Africaine, parties à la présente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans cette Charte et s’engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer.

 

ARTICLE 2

Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune, notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

 

ARTICLE 3

1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi ;

2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi.

 

ARTICLE 4

La personne humaine est inviolable.

Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne.

Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit.

 

ARTICLE 5

Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique.

Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdits.

 

ARTICLE 6

Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne.

Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminées par la loi ; En particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement.

 

ARTICLE 7

1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :

a) le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur ;

b) le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;

c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ;

d) le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale.

2. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction légalement punissable.

Aucune peine ne peut être infligée si elle n’a pas été prévue au moment où l’infraction a été commise. La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant.

 

ARTICLE 8

La liberté de conscience, la profession et la pratique libre de la religion, sont garanties. Sous réserve de l’ordre public, nul ne peut être l’objet de mesures de contrainte visant à restreindre la manifestation de ces libertés.

 

ARTICLE 9

1. Toute personne a droit à l’information.

2. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements.

 

ARTICLE 10

1. Toute personne a le droit de constituer librement des associations avec d’autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi.

2. Nul ne peut être obligé de faire partie d’une association sous réserve de l’obligation de solidarité prévue à l’article 29.

 

ARTICLE 11

Toute personne a le droit de se réunir librement avec d’autres. Ce droit s’exerce sous la seule réserve des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d’autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes.

 

ARTICLE 12

1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi ;

2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. Ce droit ne peut faire l’objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques ;

3. Toute personne a le droit, en cas de persécution, de rechercher et de recevoir asile en territoire étranger, conformément à la loi de chaque pays et aux conventions internationales ;

4. L’étranger légalement admis sur le territoire d’un Etat partie à la présente Charte ne pourra en être expulsé qu’en vertu d’une décision conforme à la loi ;

5. L’expulsion collective d’étrangers est interdite. L’expulsion collective est celle qui vise globalement des groupes nationaux, raciaux, ethniques ou religieux.

 

ARTICLE 13

1. Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit part l’intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par la loi ;

2. Tous les citoyens ont également le droit d’accéder aux fonctions publiques de leurs pays ;

3. Toute personne a le droit d’user des biens et services publics dans la stricte égalité de tous devant la loi.

 

ARTICLE 14

Le droit de propriété est garanti. Il ne peut y être porté atteinte que par nécessité publique ou dans l’intérêt général de la collectivité, ce, conformément aux dispositions des lois appropriées.

 

ARTICLE 15

Toute personne a le droit de travailler dans des conditions équitables et satisfaisantes et de percevoir un salaire égal pour un travail égal.

 

ARTICLE 16

1. Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre ;

2. Les Etats parties à la présente Charte s’engagent à prendre les mesures nécessaires en vue de protéger la santé de leurs populations et de leur assurer l’assistance médicale en cas de maladie.

 

ARTICLE 17

1. Toute personne a droit à l’éducation ;

2. Toute personne peut prendre part librement à la vie culturelle de la Communauté ;

3. La promotion et la protection de la morale et des valeurs traditionnelles reconnues par la Communauté constituent un devoir de l’Etat dans le cadre de la sauvegarde des droits de l’homme.

 

ARTICLE 18

1. La famille est l’élément naturel et la base de la société. Elle doit être protégée par l’Etat qui doit veiller à sa santé physique et morale.

2. L’Etat a l’obligation d’assister la famille dans sa mission de gardienne de la morale et des valeurs traditionnelles reconnues par la Communauté.

3. L’Etat a le devoir de veiller à l’élimination de toute discrimination contre la femme et d’assurer la protection des droits de la femme et de l’enfant tels que stipulés dans les déclarations et conventions internationales.

4. Les personnes âgées ou handicapées ont également droit à des mesures spécifiques de protection en rapport avec leurs besoins physiques ou moraux.

 

ARTICLE 19

Tous les peuples sont égaux ; Ils jouissent de la même dignité et ont les mêmes droits. Rien ne peut justifier la domination d’un peuple par un autre.

 

ARTICLE 20

1. Tout peuple a droit à l’existence. Tout peuple a un droit imprescriptible et inaliénable à l’autodétermination. Il détermine librement son statut politique et assure son développement économique et social selon la voie qu’il a librement choisie.

2. Les peuples colonisés ou opprimés ont le droit de se libérer de leur état de domination en recourant à tous moyens reconnus par la Communauté internationale.

3. Tous les peuples ont droit à l’assistance des Etats parties à la présente Charte, dans leur lutte de libération contre la domination étrangère, qu’elle soit d’ordre politique, économique ou culturel.

 

ARTICLE 21

1. Les peuples ont la libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. Ce droit s’exerce dans l’intérêt exclusif des populations. En aucun cas, un peuple ne peut en être privé ;

2. En cas de spoliation, le peuple spolié a droit à la légitime récupération de ses biens ainsi qu’à une indemnisation adéquate ;

3. La libre disposition des richesses et des ressources naturelles s’exerce sans préjudice de l’obligation de promouvoir une coopération économique internationale fondée sur le respect mutuel, l’échange équitable, et les principes du droit international ;

4. Les Etats parties à la présente Charte s’engagent, tant individuellement que collectivement, à exercer le droit de libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, en vue de renforcer l’unité et la solidarité africaines ;

5. Les Etats, parties à la présente Charte, s’engagent à éliminer toutes les formes d’exploitation économique étrangère, notamment celle qui est pratiquée par des monopoles internationaux, afin de permettre à la population de chaque pays de bénéficier pleinement des avantages provenant de ses ressources nationales.

 

ARTICLE 22

1. Tous les peuples ont droit à leur développement économique, social et culturel, dans le respect strict de leur liberté et de leur identité, et à la jouissance égale du patrimoine commun de l’humanité ;

2. Les Etats ont le devoir, séparément ou en coopération, d’assurer l’exercice du droit au développement.

 

ARTICLE 23

1. Les peuples ont droit à la paix et à la sécurité tant sur le plan national que sur le plan international. Le principe de solidarité et de relations amicales affirmé implicitement par la Charte de l’Organisation des Nations Unies et réaffirmé par celle de l’Organisation de l’Unité Africaine est applicable aux rapports entre les Etats.

2. Dans le but de renforcer la paix, la solidarité et les relations amicales, les Etats, parties à la présente Charte, s’engagent à interdire :

a) qu’une personne jouissant du droit d’asile aux termes de l’article 12 de la présente Charte entreprenne une activité subversive dirigée contre son pays d’origine ou contre tout autre pays, parties à la présente Charte ;

b) que leurs territoires soient utilisés comme base de départ d’activités subversives ou terroristes dirigées contre le peuple de tout autre Etat, partie à la présente Charte.

 

ARTICLE 24

Tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement.

 

ARTICLE 25

Les Etats parties à la présente Charte ont le devoir de promouvoir et d’assurer, par l’enseignement, l’éducation et la diffusion, le respect des droits et des libertés contenus dans la présente Charte, et de prendre des mesures en vue de veiller à ce que ces libertés et droits soient compris de même que les obligations et devoirs correspondants.

 

ARTICLE 26

Les Etats parties à la présente Charte ont le devoir de garantir l’indépendance des Tribunaux et de permettre l’établissement et le perfectionnement d’institutions nationales appropriées chargées de la promotion et de la protection des droits et libertés garantis par la présente Charte.