TENOR DE BARREAU

«Ténors». En musique. En politique. Au barreau.

Pour les avocats, pourquoi ne pas prendre d’abord le terme à la lettre, c’est-à-dire par la tessiture des voix ?

Et les présenter dans une galerie de portraits, ou de curiosités. Cependant, il n’y a pas que la plaidoirie avec le principe de l’oralité à l’audience qui distingue les meilleurs avocats.

Il y aussi les activités dites de conseil, qui constituent les deux tiers du volume d’activité de la profession d’avocat.

Ainsi y a-t-il les « ténors » du fiscal, de la fusion-acquisition, de la restructuration de dettes etc.

Les domaines d’activité des « ténors » du barreau sont tellement variés qu’on s’y perd un peu. Devra-t-on un jour établir une présentation qui, comme pour les restaurants et les hôtels, serait un guide Michelin des avocats et de leurs cabinets aux fins de faciliter l’accès au droit dans tous les domaines ?

Laissera-t-on s’installer des agences de notation privées ? Faudrait-il en confier la mission aux Ordres ?

Les ténors 1. Au commencement était la voix. Un « ténor » c’est une grande voix. D’opéra ou d’avocat. Le mot « ténor » vient du latin tenere : celui qui tient le chœur, ou celui qui tient l’audience.

Le Chef d’orchestre Laurent Petitgirard définit le « ténor » en évoquant le bel canto, l’opéra allemand ou français, le lied, par des termes techniques : tessiture, nuances, intonation, rigueur rythmique, puissance, contre-ut facile, fonctions dans le chœur. Mais tandis qu’à l’opéra le « ténor » est un technicien qui, lorsqu’il est magnifique devient un « grand ténor », l’avocat n’est jamais un « grand ténor » – ce serait un pléonasme – il est simplement « ténor » s’il est grand, c’est-à-dire virtuose, qui sait utiliser les mots pour leur valeur performative et qui maitrise l’art des montages juridiques sophistiqués.
Car il y a des « ténors » plaideurs et des « ténors » conseils.

Cependant, si à l’opéra et au barreau, les « ténors » sont souvent les mieux payés, le répertoire ne leur attribue pas toujours les rôles les plus subtils. Ainsi, en musique, le « ténor » ne serait-il parfois qu’une fausse valeur ?

Au barreau aussi, de l’avis général de la profession, car la confraternité est une haine vigilante… qu’on en juge par le tôlé systématique qui suit les publications informelles des 10, 20 ou 30 « ténors » dans la presse ! Chaque profession est moqueuse.

C’est un exutoire nécessaire aux fins de ravaler les égos pour des métiers qui allient l’art, le spectacle et le pouvoir.

Les avocats ont une représentation de fin d’année organisée par le jeune barreau (la revue de l’UJA) qui est une caricature des petits et grands travers des meilleurs confrères. De même, les musiciens d’orchestre ont leurs qualificatifs acides pour chaque instrument, afin de les maintenir à leur place : le flutiste dandy, l’alto frustré, le violoniste jaloux, le corniste angoissé, le trompettiste simplet, le clarinettiste radin, le percussionniste maniaque et, ils disent de quelqu’un qui n’est pas très intelligent, qu’il a le « QI d’un ténor » ! En tout état de cause, un « ténor » c’est une voix qui chante ou qui parle et qui porte.

C’est aussi un silence, s’il est éloquent. Un geste, ou une posture.

Un corps qui se lève. Pour la profession d’avocat, « ténor » est donc une métonymie. Mais pourquoi « ténor » plutôt que « baryton » ou « basse » ? Car le barreau connait de grandes voix de basse. Tixier et Varaut auxquels ont succédé Thierry Lévy, Bernard de Sariac, Jean-Yves Le Borgne, Léon Lef Forster, Grégoire Lafarge.
Ce sont des voix de bronze. A l’inverse, il y a des voix aiguës, souvent voilées, belles dans le décalage.

Des voix lentes ou des voix qui parlent vite, des disques 33 tours branchés en 78 tours avec William Bourdon. Mais ce qui frappe toujours, après la plaidoirie d’un « ténor », c’est le silence qui poursuit la péroraison. Un silence que l’acteur retient du regard ou du geste, pour libérer, à l’instant qu’il veut, la vérité d’une intime conviction ou un tonnerre d’applaudissement.

Le « ténor » hypnotise son juge. Sur la palette des grandes voix d’avocat, j’ai entendu des voix nasales et solennelles, avec Philippe Lemaire ; des voix dentales, débridées qui crachent des cailloux comme Démosthènes, avec Jean-René Farthouat, ou Benoît Chabert ; des voix sonores dont le vibrato est un trait tendu entre l’accusé et son juge, avec Olivier Schnerb, Francis Szpiner, Bertrand Périer ; des voix révoltées, en sueur, qui sont du muscle pour Pierre Haïk ou des larmes pour Henri Leclerc qui peut aussi rire et chanter en plaidant.

Mario Stasi, lui, fait danser les mots, en caressant les souvenirs pour allumer des étoiles. Pourtant son corps qui plaide est immobile. Il y a les voix du Sud. Le soleil qui brûle chez Jean-Louis Pelletier pour le grand banditisme, le soleil qui caresse chez François Roux pour un criminel contre l’humanité, le soleil qui adoucit le pénal financier avec Eric Dezeuze. Il y a le soleil corse pour Gilles Simeoni.

Et le soleil tout simplement pour Christian Saint-Palais. Il y a la voix du Nord. Eric Dupond-Moretti. Chez lui c’est un accent qui n’est pas ch’ti mais qui est un accent quand même, dans un corps de lutteur antique, avec parfois le clin d’œil plutôt que le coup de poing, expédié droit au cœur.

Une voix du Nord, d’humanité et de chaleur. Mais le Nord porte aussi des vents glacés : celui de l’avocat général DorwlingCarter1 , requérant la peine de mort contre Philippe Maurice aux Assises de Paris en 1981.

Il y a des voix d’Afrique noire avec Jean-Gabriel Senghor, qui ajoute des tambours, du rythme, des basses. de grands moments d’audience avec Kassoum Tapo au Mali, Christian Sow en Guinée, le doyen Titinga Frédéric Pacéré au Burkina Faso, Robert Dossou au Bénin, Boucounta Diallo au Sénégal. 1 L’avocat général Dorwling-Carter a quitté la magistrature après le 10 mai 1981 pour s’inscrire au Barreau de Lille.

Plus loin encore, au procès des Khmers rouges à Phnom Penh, un élève-avocat parisien assiste aux débats comme Fabrice à Waterloo (dans Stendhal). Il est assis au bout du banc de la défense, pas loin de Vergès et de son co-défenseur Cambodgien Sa Sovan. Il a les yeux grands ouverts du futur « ténor » qui apprend. « La parole est à l’avocat cambodgien de Khieu Samphan, Sa Sovan, 71 ans. Surnommé le « Vergès cambodgien ».

Ce grand comédien partage avec son illustre confrère le sens de la formule qui claque comme un fouet, et une fâcheuse tendance à recevoir des avertissements. Regardez-le bondir de son siège ! Dans la salle, des sourires amusés fleurissent déjà sur le visage des initiés. Il se met alors à tortiller son long micro et le fait onduler comme s’il charmait un serpent.

Les meilleures farces de sa plaidoirie sont évidemment réservées aux juges, à qui il paie volontiers sa gueule d’acteur. Mais lorsqu’il pivote vers l’accusation, comme un robot, l’homme-canon se transforme alors, en une fraction de seconde, en cracheur de feu, en lanceur de couteaux.

Soudain il se tait, regagne son siège. Le panache de cet avocat lunaire enveloppe encore la salle, flotte au dessus des têtes et parvient, avant de se dissiper totalement, à arracher quelques précieuses secondes à la solennité des débats. Puis la parole change de camp, et la machine froide de la justice internationale se remet en route, assourdissante comme les moteurs d’un cargo. » 2 Les voix d’avocats sont souvent comme les balles d’un pistolet chargé.

C’est Jacques Vergès en rafale. C’était Peyrefitte métallique, pour soutenir sa loi sécurité-liberté, contre les avocats. C’est Georges Kiejman qui allie, au fil d’une mécanique parfaitement huilée – laissant parfois échapper un léger sifflement – le syllogisme, la sensualité, la chair de poule. Olivier Metzner est en face. Sa voix à lui est solennelle, directe, insidieuse, toujours inquiétante. Entre eux, c’est un duel.

Reste des voix, qui sont souvent les meilleures, parce qu’elles se projettent sur l’autre. Hervé Témime qui imite, ironise, moque, se révolte, et qui se met à la place de celui qui juge ou de celui qu’on juge. Françoise Cotta, dont le corps qui plaide fait trembler un timbre grave et rond, tout juste un peu voilé, car l’avocat doit conserver de la distance, pour l’homme qu’elle défend. Regardez-la se lever, 30 ans de barreau, grande brune aux yeux noirs, et commencer sa plaidoirie : « Je m’appelle Mouloud, j’ai 19 ans, je suis dealer de drogue… ».

Elle plaide à la première personne du singulier, dans une tonalité de velours. Enfin il y a, après la plaidoirie des « ténors », l’écho qui porte la voix de la France. Pour l’avortement et contre la peine de mort : Gisèle Halimi et Robert Badinter. Pour la présence de l’avocat en garde à vue devant le Conseil constitutionnel : Emmanuel Ravanas.

Il y a la voix de la République : François Mitterrand et Nicolas Sarkozy, avocats. Beaucoup d’hommes politiques ont intégré le barreau tels Jean-Francois Copé, Noël Mamère, Rachida Dati, Dominique de Villepin, Frédéric Lefebvre, Francois Baroin.

Le mouvement inverse est plus fréquent pour des avocats devenus hommes politiques3 . Mais, rare sont les « ténors » dans les deux fonctions. Sauf peut être sous la IIIème République dite « la République des avocats »

Raymond Poincaré et Edgar Faure aimaient raconter au soir de leurs vies que leur plus grande émotion professionnelle fût d’avoir été élus…. secrétaires de la Conférence.

La Conférence du stage a longtemps été l’école des futurs « ténors », mais plus l’école d’avocats. Il y a actuellement 57 avocats au Parlement soit 6%.

Tandis que sous la 3ème République un quart des parlementaires étaient avocats. 4 Bernard Sur, Histoire des avocats en France, 1998, Dalloz. (EFB) compte d’élèves, moins le concours de la Conférence compte de candidats, comme si les « ténors » se formaient désormais ailleurs. Un mot de l’écho qui ne finit pas, parce qu’il est immortel. Jean-Denis Bredin, académicien. François Gibault, François Sureau, bientôt académiciens. Jean-Luc A. Chartier, prix du palais littéraire 2010. Car les « ténors » aiment écrire pour déjouer la frustration de la plaidoirie, qui est un art marqué par une malédiction de l’éphémère : verba volant.

Que reste t-il de l’intervention de l’avocat à l’audience ?

Seulement la trace « d’une fusée dans la nuit » (Charpentier), seulement « le sillon de l’étrave d’un bateau dans la mer » (Varaut). C’est peut être la raison pour laquelle il y a tant d’avocats qui écrivent. Notre métier est un travail de projection à travers la part d’ombre des autres. Comme le disait Casanova, avocat à Venise au 18ème siècle : « Si nous ne vivons pas de choses suffisamment belles pour être écrites, écrivons des choses suffisamment belles pour être lues. » Retenons les trois modèles d’éloquence.

Le talent d’un « ténor » classique hypertrophié (Marc Bonnant), celui de « ténors » modernes qui recherchent l’effet inverse parce qu’il faut aller droit au but, tout en retenue, sans produire aucune enflure « prends l’éloquence et tords-lui le cou » 5 (Jean-Denis Bredin, François Gibault, Georges Kiejman) et celui pour lequel on inventera un féminin à « ténor ». Catherine Paley-Vincent précurseur jusqu’à Solange Doumic, Sophie Obadia, Claire Doubliez, Laure Heinich…

Il y a la voix rauque, grave et belle d’Emmanuelle Kneusé. Il y a la prise de parole de Frédérique Pons, Nathalie Carrère, Marie Burguburu. On les reconnait. On les attend. Comme lorsque le parole est donnée à Loraine Donnedieu de Vabre. Evidemment il faut compter sur les plus jeunes. Antoine Vey, sorti d’un tableau de Delacroix, faisant un discours aux soldats de l’an II… Antonin Lévy, sobre, brillant, dur…Cédric Labrousse, ciselant une éloquence qu’il auto-qualifie de « post-moderne »…Félix de Belloy, constituant sa clientèle à coup de succès d’audience.

Dans cette galerie de portraits des « ténors », il n’y a pas d’archétype mais souvent des contraires. « L’orateur qui parle est construit d’une certaine manière. Il a une charpente osseuse, des muscles, de la peau, un visage, des poumons, une voix, qui ne sont tout à fait semblables à nulles autres. Il est souffreteux ou bien portant, exubérant ou saturnien, méditerranéen ou nordique, il a des préjugés, des habitudes, des entêtements, des rancunes. Il a un passé, une famille, une hérédité, un métier, une réputation, une expérience reconnue, ou le charme de la jeunesse.

C’est tout cela que, sous les espèces de la parole, il jette dans la mêlée. (…) Ni les phrases ni les mots ni l’ordre des pensées, ni leur cadence ne sont le mêmes suivant que l’homme qui parle a le souffle court ou de vastes poumons, la voix grave ou aigüe, le regard brillant ou éteint, la physionomie mobile ou glacée, les membres déliés ou massifs, les nerfs à fleur de peau ou une sérénité que rien n’ébranle, la majesté d’un patriarche ou le faciès d’un criminel.(…).

On ne parle pas seulement avec le larynx et avec les lèvres. On parle avec les mains, avec les reins, avec les épaules. On parle surtout avec les yeux. Les yeux de serpent du dompteur. Que de fois je les ais suivis, pesant sur l’auditoire et fixés tour à tour sur chacun des regards qui les fixent. Double miroir, et, dans l’échange de leur reflet, on ne sait plus quelle est leur image originale. »

Au commencement était le Verbe. Non … au commencement était l’action.

Bien évidemment, comme l’écrit Eve Boccara dans la Gazette du Palais « les effets de voix ne sont plus en vogue… le procès Clearstream en a donné un exemple assez parlant de déshérence… »

Réduire l’élite du barreau au « ténor » qui plaide est absurde !

La question est de savoir ce qui détermine les virtuoses, donc les meilleurs, dans toutes les facettes de l’exercice professionnel. Et ce qui distingue le grand avocat du bon avocat. On dit souvent que le grand avocat perdrait ses procès tandis que le bon avocat les gagnerait. Au milieu de cet effet de ciseaux, la notoriété est un miroir déformant. Le bon avocat est le professionnel qui connait son métier et qui, tel un médecin recevant un patient pour la première fois, a l’intuition du diagnostique et de la thérapie. Le bon avocat sait comment il va jouer la partie d’échecs et comment il va la gagner. Le bon avocat est celui qui sauve une vie, une entreprise, ou qui force à la juste réparation.

Le bon avocat est celui qui gagne, même contre la volonté du chef de l’Etat. Le modèle, c’est Tixier dans l’affaire Salan : le n°1 du putsch d’Alger sauvé du peloton d’exécution, tandis que le n°2 venait d’être condamné à mort par le même Haut Tribunal Militaire sous l’influence du Général De Gaulle. La relaxe de Dominique de Villepin a été arrachée devant le tribunal, par Olivier Metzner, Luc Brossolet et Olivier d’Antin, contre la volonté du Président de la République. Mario-Pierre Stasi s’est battu contre les écoutes téléphoniques illégales de l’Elysée.

Le bon avocat est celui qui gagne, même contre la vox populi. Daniel Soulez-Larivière a fait relaxer la société propriétaire de l’usine AZF et les cadres de l’aviation civile dans l’affaire du Mont Sainte-Odile. Jean-Pierre Versini a fait récuser la présidente de la 11e Chambre du Tribunal Correctionnel de Paris et a fait relaxer Robert Hue dans l’affaire du financement du parti communiste.

Henri Leclerc, Benoit Chabert, et de nombreux confrères ont obtenu la relaxe dans l’affaire de l’hormone de croissance. Georges Holleaux a eu l’idée géniale de choisir la loi du 1er aout 1905 sur les fraudes pour forcer aux condamnations dans la première affaire du sang contaminé, tandis que tous les autres confrères et l’opinion publique avaient préféré le terrain criminel de l’empoisonnement, qui s’est terminé en fiasco judiciaire.

La relation de l’avocat et du client se définit comme la rencontre d’une conscience et d’une confiance.

La conscience de l’avocat et la confiance du client. Se forment alors des couples étranges, indivisibles, émouvants, qui par la personnalité du client donnent automatiquement à l’avocat la qualité de « ténor ».

Pétain-Isorni ; Papon- Varaut ; Bouygues-Bousquet ; Roland Dumas-Jean-René Farthouat ; Nicolas Sarkozy-Thierry Herzog ; Yvan Colonna-Pascal Garbarini; Bolloré-Baratelli ; Falcone-Emmanuel Marsigny et Pierre-François Veil ; le PSGPatrick Maisonneuve; Philippe de Villiers-Alexand re Varaut ; Didier Schuller-Jean-Marc Fedida ; Alain Minc ou Laurent Fabius mécaniquement associés à Jean-Michel Darrois dont la clientèle des plus puissants est souvent partagée avec les avocats Jean Reinhart et Jean Veil, actuel conseil de Jacques Chirac. Il y a aussi des couples client-avocat éclairés par une lumière plus récente dont on souhaiterait qu’elle ne devienne pas étoile filante : John Galliano-Aurélien Hamelle ; Nafissatou Diallo-Thibault de Montbrial ; Isabelle AdjaniJérémie Assous ; Tristane Banon-David Koubbi. 7 Général De Gaulle, Le fil de l’épée, 1932. 8 E. Boccara, la Gazette du Palais, n°s 198 à 200.

Et puis il y a les bons avocats parce qu’ils sont les spécialistes, les experts, les arbitres.

Des savants dans leur domaine. Evidemment des « ténors ».

En droit du travail, en droit de la famille, en propriété littéraire et artistique, en droit immobilier…

Enfin, certains sont par fonction des « ténors », puisqu’ils ont été élus pour représenter leurs confrères. Ils sont les avocats des avocats. Les bâtonniers.

Par leur fonction aussi, les managing partners des grands cabinets internationaux sont des « ténors ». Souvenons-nous de Christine Lagarde chez Baker & McKenzie. Observons Yves Wehrli Chez Clifford Chance ou Alexandre Ippolito chez White & Case. Dans ces firmes, l’expertise porte plus la marque de la société d’avocat que de l’avocat lui même.

Ainsi en estil des cabinets anglais dits du magic circle, dont le qualificatif se substitue à celui de « ténor » : Allen & Overy, Clifford Chance, Freshfields Bruckhaus Deringer, Linklaters, Slaughter & May ; mais également des grands cabinets américains tels White & Case, Cleary Gottlieb Steen & Hamilton, Latham & Watkins, Orrick Herrigton & Sutcliffe, Sullivan & Cromwell, Weil Gotshal & Manges ; et des français, Darrois Villey Maillot Brochier, Bredin Prat, Gide Loyrette Nouel, August et Debouzy, De Pardieu Brocas Maffei, Scotto et associés… Chacune des marques est à la hauteur des très grands dossiers qu’ils se partagent. Et c’est parce que la « marque » justement, de ces cabinets a dépassé la notoriété des ténors qui y exercent, qu’ils ont acquis leur puissance et leur pérennité.

Entre ces cabinets, il y a la solidarité des grandes structures qui œuvrent ensemble pour conserver à la place de Paris un statut de premier ordre en matière juridique, judiciaire et d’arbitrage international.

Mais il y aussi une concurrence qui ressemble aux marchés des transferts pour les joueurs de première ligue au football. Ainsi, derrière les « marques » y a-til des « stars ». « Stars » ou « ténors », les Pierre-Yves Chabert, Olivier Diaz, Pierre ServanSchreiber, Dominique Bompoint, Laurent Faugérolas, Gilles de Poix en fusion-acquisition ; Jean-Yves Garaud, Pierre Duprey, Louis Degos, Arnaud de la Cotardière en arbitrage ; Jérome Turot, Philippe Derouin en droit fiscal ; Pierre Clermontel, Christian Orengo, JeanPierre Grandjean, Didier Martin, Denis Chemla, Marie-noël Dompé, Kiril Bourgatchev, Pierre Clermontel, Kami Haeri en contentieux des affaires ; Paul Lignière, Noël Chahid-Nouraï, Alain Frèche, Jérôme Michel, Emmanuel Guillaume en droit public…

N’oublions pas les « ténors » dont on ne parle jamais.

L’avocat généraliste (on dit aujourd’hui full-service) qui est agile, qui est respecté pour sa déontologie, qui force l’admiration. Jamais à la recherche de la notoriété, toujours au fil du combat. Tous ceux qui exercent leur métier de façon anonyme, mais dans la grande tradition de liberté et d’indépendance du barreau. Pour leur client, ils sont « l’avocat ». Donc « le ténor ».

Contrairement aux stars des grands cabinets, qui se font appeler par leur prénom, eux se font appeler « Maître ».

Un dernier mot sur l’argent.

Peut-on dire que le « ténor » gagne beaucoup d’argent ?

On connaît, selon les chiffres donnés par l’association de gestion des cabinets d’avocats (ANAAFA), la moyenne des revenus annuels des avocats à Paris : 100.000 € (et 200.000 € à l’âge de 50 ans).

On sait qu’une affaire Liliane B. peut rapporter plus de 10.000.000 € et que le chiffre d’affaire annuel des « ténors » de la fusion-acquisition est deux à quatre fois supérieur. Mais on sait aussi que les avocats ne sont quasiment jamais payés par les stars du show business ou par les hommes politiques, fussent-ils les plus célèbres, et qu’en France les plus belles affaires pénales sont souvent les moins rentables.

La conclusion est à Louis Ferdinand Céline dans Voyage au bout de la nuit : « Quand on se fait honorer par les riches, on a l’air d’un larbin, par les pauvres on a tout du voleur. »

Les league tables… les premiers sont parfois les derniers. Décideurs juridique, est une publication française. C’est une revue principalement destinée aux directeurs juridiques, qui alterne articles de fond et classements d’avocats. A la fin de l’année, au cours d’une soirée empruntée aux Césars du cinéma, il y a une remise des trophées.

La critique faite à cette entreprise est que les articles de fond sont exclusivement écrits par des avocats qui payent pour avoir la possibilité d’être ainsi publiés, tandis que leurs cabinets sont démarchés pour réserver des pages de publicité. Ce mélange des genres -qui garantit le succès financier du journal- décrédibilise le classement proposé… de là à dire que les premiers sont les derniers…

Le terme « league tables » vient de la terminologie sportive. La politique de communication des firmes d’avocats doit aujourd’hui composer avec ce qui s’assimile à un top ten, une première ligue, un classement ATP. Mais contrairement au monde sportif, les Ordres n’ont pas prévu de tels classements. Ainsi que le prévoit le Règlement intérieur du barreau, la profession est « maitre de son tableau ».

Elle a obtenu du pouvoir réglementaire de décerner une mention de spécialisation, pour qui souhaite se soumettre à un examen professionnel spécifique (décret du 27 novembre 1991). Mais les Ordres ne donnent à l’attention du grand public aucun autre signe de distinction.

Alors d’autres ont voulu s’en charger. Ce sont certains organismes internationaux qui se voudraient agence de notation (Chambers et Legal 500), une certaine presse spécialisée (Juristes associés), la presse économique (Challenges et les Echos), la presse généraliste (Le Figaro) et même la presse people (Paris Match et GQ). Au bout de l’exercice, un classement informel a transformé le virtuose en star, jusqu’à un reportage très controversé de ParisMatch. Depuis 1990, Chambers and Partners, une société d’édition anglaise, publie un guide annuel qui distingue les cabinets d’avocats, dans des domaines variés et de façon globale (RoyaumeUnis, Asie pacifique, Etats-Unis, Amérique Latine, Europe).

Le classement s’effectue à partir de recherches et d’entretiens avec les avocats et leurs clients. De l’avis des managing partners des grands cabinets, le Chambers dispose d’une grande avance sur ses concurrents car il prend en compte les listes de transactions faites par un cabinet et l’avocat qui en est chargé, mais surtout il répertorie commentaires et jugements avisés des clients et des pairs. Le guide Legal 500 est publié par la société anglaise Legal lease depuis une vingtaine d’années.

C’est une parution internationale, qui établit un classement des principaux cabinets d’avocats, dans plus de 100 pays. La partie éditoriale qui distingue les cabinets d’avocats en fonction de leur compétence au sein de leur domaine d’activité, fait également l’objet de recherches approfondies de la part des éditeurs : entretiens avec les clients, prise de connaissance des affaires traitées etc. Chambers et Legal 500 sont généralement reconnus par les professionnels du droit, pour leur indépendance et l’objectivité de leurs analyses.

Pour les opérations de fusion-acquisition dites M&A des listes sophistiquées sont établies par deux grandes sources Mergermarkets et Thomson Reuters sur le modèle des classements des banques d’affaire. (Nombre de deals, valeurs des deals, deals annoncés, deals complétés, classement par pays, régions…). L’éditeur français Juristes associés propose une radiographie annuelle des cabinets d’affaires français, fondée sur des chiffres (effectifs, chiffre d’affaires, productivité…), ce qui garantit une certaine objectivité.

Le magazine Challenges a publié, dans son numéro 3-9 juin 2010, un long reportage (16 pages) consacré aux avocats pénalistes parisiens en droit des affaires sous le titre « les stars du barreau ». 30 avocats ont ainsi été distingués.

Le quotidien les Echos, a publié dans son numéro du 21 juillet 2011, un article consacré aux avocats spécialiste en droit des affaires parisien sous le titre «les avocats d’affaires profitent de la reprise» De nombreux cabinets ont ainsi été distingués.

Dans un article daté du 14 avril 2011, les Echos reprend le classement des « 20 meilleurs avocats d’affaires de Paris », de la revue juridique américaine Best lawyers. Ce classement concerne 22 avocats d’affaires, issus de 19 cabinets. Le Figaro Magazine du 14 mai 2011 a consacré 9 pages au « Nouveau pouvoir des avocats ». Il distingue une quarantaine d’avocats, en droit pénal et en droit des affaires. Le magazine Paris-Match du 8 au 14 juillet 2010, intitulé « L’orchestre du Barreau de Paris », a mis en lumière 30 avocats pénalistes considérés comme « les stars du barreau». Beaucoup ont sévèrement critiqué ce reportage de Paris-Match. D’abord pour le choc de la photo, en double page, donnant une image à la Daumier de la profession… et surtout parce que les femmes en étaient exclues (sauf Dominique de la Garanderie). Sur le même modèle, le magazine GQ de septembre 2010 a présenté 30 avocats français spécialisés en droit pénal des affaires. L’usager du droit, lorsqu’il est directeur juridique, sait choisir son avocat. Peut-être que les League tables l’y aident…

Mais quid d’un particulier ? Les journaux spécialisés concernent principalement le droit des affaires, et la grande presse donne la vision caricaturale de certains « ténors » dont l’impression est qu’ils fonctionnent à coup d’ego démesuré et d’honoraires exorbitants. La situation, pour le choix de l’avocat, demeure aujourd’hui franchement balzacienne. Elle est réductrice d’un accès au droit qui devrait au contraire se situer dans un marché de l’offre et de la demande transparent. Les Ordres ne pourraient ils pas instaurer, sinon un classement, du moins présenter un tableau des avocats plus complet que ce qui y figure aujourd’hui ?

A savoir seulement la date de prestation de serment et la mention de spécialisation. Ou bien faudrait-il que les Ordres délèguent cette mission, avec un droit de contrôle, à un organisme indépendant ?

Avertissement S’il y avait du parti pris, dans cette galerie de portrait, je répondrais simplement qu’elle n’a aucune autre valeur que celle de l’amitié ou du respect professionnel, et surtout, que chacun des confrères ou des cabinets que j’ai nommés sont les premiers auxquels j’ai pensé pour la seule raison que je les ai rencontrés récemment, de telle sorte que le choix s’est opéré de façon aléatoire, au gré du hasard et de mes dernières rencontres professionnelles. Pour tous les autres, qui très légitimement auraient dû figurer aux premières lignes de cette énumération, ils sauront qu’ils ont été traités de même que mes associés et collaborateurs, c’est-à-dire comme ceux qui, dans mon cœur d’avocat, sont à la plus haute marche.

Source : www.ftms-a.com