PROFESSEUR JEAN-CHRISTOPHE RODA – PROFESSEUR AGREGE DE DROIT PRIVE A L’UNIVERSITE JEAN MOULIN – LYON III – FRANCE

LE MASTER 2…VU PAR UN PROFESSEUR AGREGE DE DROIT

 

Laurine Tavitian : Etes-vous favorable à la sélection en Master 2 et pourquoi ?

Jean-Christophe Roda : Je suis favorable à la sélection en Master 2, mais pas à la sélection à l’entrée de l’Université car il ne faut pas oublier que son objectif principal est d’accueillir tout le monde en son sein. La sélection dès l’entrée en licence me paraît être un non-sens. A mon avis, c’est en Master 2 que la sélection doit s’opérer car au niveau du Master 1, c’est matériellement très difficile à réaliser dans les grosses facs.

La première raison est que les étudiants y sont favorables : j’ai posé la question à plusieurs reprises en cours ; les plus fervents défenseurs de la sélection sont les étudiants de Master 1 et Master 2. Ils veulent sortir de Masters 2 qui ont une bonne réputation et qui sont sélectifs. Je suis d’accord avec eux, l’absence de sélection aurait pour effet de dévaluer le diplôme en tant que tel.

La deuxième raison, liée à la première, est qu’il est fondamental d’envoyer sur le marché du travail des étudiants qui sont d’excellents juristes, si l’on veut que les Universités existent dans les classements internationaux, continuent à avoir bonne réputation et soient une voie prisée par les étudiants. Si l’on veut avoir les meilleurs, à un moment ou à un autre, il faut sélectionner.

La troisième raison est qu’aujourd’hui la sélection est une nécessité car on est dans un phénomène de massification à l’Université. A Aix, j’avais des amphithéâtres de 300-400 étudiants en Master 1.

En Master 2, ne serait-ce que pour avoir des bonnes conditions de travail, si on veut que les étudiants puissent se retrouver en situation où ils peuvent poser des questions facilement, travailler en petit groupe, faire des simulations de procès, il faut se retrouver à 30-40, grand maximum. On ne peut pas travailler raisonnablement, efficacement quand on a trop d’étudiants en Master 2. C’est insensé, c’est irréalisable.

Ces trois raisons me laissent penser que la sélection est indispensable. Sinon, on transforme l’Université en un immense bassin de rétention et on laisse les étudiants aller se former dans les écoles de commerce ou dans des filières élitistes qui sont payantes et très chères. La sélection en M2 est la contrepartie de la semi gratuité de l’Université. Mieux vaut une sélection sur des critères académiques, au mérite, que in fine sur des critères financiers.

Quels conseils pour faire le choix d’un Master 2 ?

Le premier conseil que je donne à mes étudiants est de choisir un Master 2 spécialisé dans une matière qu’ils aiment. Il ne faut pas faire un Master 2 de droit des affaires uniquement parce qu’on pense que cela va offrir des débouchés sur le marché du travail alors qu’on déteste cette matière.

Si on aime le droit comparé ou le droit humanitaire, il faut se diriger vers ces masters : il faut se faire plaisir durant son cursus !

Le deuxième conseil est de bien se renseigner sur les Master 2 pressentis. Il faut essayer de trouver des informations sur les enseignants et les matières enseignées auprès des anciens élèves, sur le site du Master 2 et dans les salons organisés par les facultés pour rencontrer les directeurs de Master, des professeurs …

Troisième conseil : essayer de voir les débouchés et cibler en fonction de son plan de carrière. Je prêche pour ma paroisse mais le droit des affaires est une des voies qui offre le plus de débouchés. Il faut être cohérent.

Si l’on veut devenir avocat ou juriste d’entreprise, il faut plutôt opter pour un Master Pro. Mais les étudiants ne doivent pas nécessairement se dire qu’un Master recherche leur fermera la voie d’une carrière de praticien, loin de là.

Aujourd’hui, tous les directeurs de Master Recherche savent pertinemment qu’il n’y aura que 5 ou 6 étudiants dans la promotion qui feront une thèse, donc les enseignements sont adaptés. Il ne faut donc pas se focaliser sur le caractère pro ou recherche, sauf si on veut faire une thèse bien sûr !

Qu’est ce qui a changé aujourd’hui chez les étudiants ? Leurs attentes sont-elles les mêmes ?

S’agissant de l’évolution du comportement des étudiants, il y a du positif et du négatif. En positif, je trouve qu’ils sont plus à l’aise avec les nouvelles technologies. C’est un truisme. Ils sont capables de trouver une information juridique en un clic, en temps réel, quand ils s’en donnent la peine.

C’est intéressant car cela offre des nouvelles formes d’interactions, dès la fin du cours ou même pendant.

Par ailleurs, il me semble que les étudiants sont aujourd’hui plus mobiles et partent plus facilement étudier à l’étranger. Ils savent très bien se débrouiller pour trouver des stages et obtenir des contacts avec les professionnels. D’une manière assez générale, ils sont souvent assez culottés et c’est plutôt une bonne chose !

En négatif, je les trouve souvent un peu passifs en cours. Or en master 2, ce qui fera la qualité d’un enseignement, c’est la relation qui se noue entre les étudiants et l’intervenant. Plus les étudiants auront préparé leur cours en amont, plus ils seront actifs, poseront des questions et plus l’intervenant donnera le meilleur de lui-même.

Je trouve que mes étudiants ne faisaient pas assez de recherches personnelles dans les revues et les ouvrages. Ils pensent que tout est accessible via Internet, sans trop approfondir. C’est la contrepartie de la révolution Google et Wikipédia !

A quelles difficultés avez-vous été confronté en tant que directeur de M2 ?

La première difficulté est souvent d’ordre administratif. Je ne parle pas du personnel administratif mais de la lourdeur de la machine administrative elle-même qui peut être parfois pesante, tant pour les étudiants que pour les intervenants.

Par exemple, quand on a un intervenant extérieur qui donne des cours depuis deux ans et qu’il n’est pas payé parce que son numéro de sécurité sociale n’est pas complet ou qu’il n’a pas joint de CV à son dossier, alors qu’il occupe des fonctions assez importantes, c’est très gênant et on n’est pas sûr qu’il accepte d’intervenir de nouveau.

La seconde difficulté est celle des ressources. A l’Université d’Aix-Marseille, nous disposions de celles de différents fonds universitaires et mes étudiants avaient créé une association pour se financer en organisant des soirées et des petits déjeuners. Mais quand on veut organiser un colloque, participer à un concours d’arbitrage à l’étranger, par exemple, on n’a pas la possibilité de débloquer des fonds propres au Master.

Au-delà du financement des manifestations, nous nous heurtons parfois aussi à des difficultés matérielles d’un autre ordre. Dans certaines facs, vous n’avez pas de vidéo-projecteurs, ou bien les salles sont trop petites pour accueillir 35 ou 40 étudiants…

Comment voyez-vous l’avenir de la formation ?

Tout dépend de la volonté des hommes et femmes politiques, de la vision du ministère. S’ils veulent faire de l’Université ce qu’elle doit être, c’est-à-dire une maison qui accueille tout le monde mais avec un niveau d’exigence académique élevé, on continuera à avoir des bons enseignants et un système qui marche bien par rapport aux autres.

En France, les frais d’inscription sont limités mais on forme d’excellents juristes. C’est internationalement reconnu, même si le french bashing est à la mode.

S’ils veulent faire de l’Université un bassin de rétention, un organe pour gérer des masses et faire disparaître artificiellement les chiffres du chômage, l’avenir de la formation universitaire sera alors très sombre.

Enfin, s’ils souhaitent faire de l’université une institution très concurrentielle où les droits d’inscription augmenteraient pour s’aligner sur le modèle des écoles de commerce ou des facs américaines, ils tueront ce qu’est l’université, et donc l’idéal républicain.

Source : www.village-justice.com