MAÎTRE ZEHOURI PAUL-ARNAUD BERTIN – NOTAIRE DE LA CHAMBRE DES NOTAIRES DE CÔTE D’IVOIRE

LE FONCIER IVOIRIEN

 

Notaire titulaire de la 48è Charge près la Cour d’appel d’Abidjan, Maître Zéhouri Paul-Arnaud Bertin est l’un des notaires, sinon le notaire le plus diplômé de l’Afrique francophone subsaharienne. Titulaire du Diplôme Supérieur de Notariat (DSN) obtenu à Paris (France), Maître Zéhouri Bertin s’est à nouveau ouvert à Linfodrome.

Inscrite dans la nouvelle Constitution votée par référendum en octobre 2016, la nouvelle loi sur le foncier en Côte d’Ivoire dénie le droit à la propriété à tout étranger. Dans l’interview qu’il a accordée à Linfodrome, Maître Zéhouri Paul-Arnaud Bertin, Notaire international et Expert à la Banque mondiale en charge du foncier dévoile les failles d’une loi qu’il estime conflictuelle.

Qui est Maître Zéhouri Paul-Arnaud Bertin ?

Maître Zéhouri est un ivoirien qui a choisi un métier qui est dédié à la personne humaine. Je suis notaire. Notaire veut dire conseiller. Je suis compétent particulièrement dans le domaine juridique. J’ai étudié de longues années pour avoir cette expertise. Je suis longtemps parti en Europe pour étudier, notamment en France.

Je suis titulaire d’un niveau doctoral de Bac + 8 en notariat. J’enseigne le droit des affaires dans les universités. Je suis enseignant-chercheur. Je suis expert à la Banque mondiale dans le domaine foncier.

Depuis quand et pourquoi avez-vous décidé de revenir au pays ?

Choisir de revenir au pays s’est imposé à moi du fait de ma profession. Je suis notaire. J’ai commencé à exercer en France et j’y suis toujours. Le métier de notaire est un métier fondamentalement attaché au sol. Le notaire, c’est d’abord la famille et bien évidemment l’entreprise. La grande partie de notre champ d’action, c’est surtout la famille. Etant à l’étranger, loin des miens, il serait un peu difficile de déployer mes compétences auprès de mes parents.

L’Afrique est en pleine émergence. Elle a donc plus besoin aujourd’hui de notaires que n’importe quel pays dans le monde. Voici ce qui a motivé ma volonté de revenir en Côte d’Ivoire. Mais mon retour n’est pas encore définitif car je vis toujours en France avec femme et enfants. J’ai décidé de venir faire connaitre un secteur délaissé parce que nombre de personnes n’avaient plus confiance dans les opérations immobilières, bancaires en Afrique de l’Ouest. Ces personnes avaient besoin d’un personnage à la fois outillé dans la pratique du droit français et dans le droit communautaire OHADA que nous pratiquons ici chez nous. Pour le moment, j’ai décidé de m’installer sur l’axe Paris-Abidjan.

Quel sens donnez-vous à toutes ces actions que vous menez actuellement à Divo ?

Je suis natif de Divo. Mon village s’appelle Akabia. Divo m’a tout donné. Aujourd’hui, j’ai l’exaltante tâche de rendre à Divo ce qu’elle m’a donné. Les populations ont plusieurs besoins.

Des besoins d’ordre public et privé, selon moi. Les besoins d’ordre public sont ceux que j’attribue à l’Etat, notamment l’école, la santé, la sécurité qui sont des secteurs régaliens que l’Etat couvre selon ses possibilités et ses moyens. Ensuite, il y a la vie privée des gens qui concernent la solidarité, l’entraide. Du côté de l’Etat, nous sommes des Etats jeunes. J’entends donc que l’Etat ne peut pas tout faire.

Nous devons donc apporter notre pierre à l’édifice de la nation quand il le faut. C’est pour cela qu’avec des amis, nous n’avons pas hésité à offrir des équipements médicaux au CHR de Divo.

Nous avons offert une ambulance médicalisée qui a été qualifiée par le ministère de la Santé comme étant l’ambulance la plus médicalisée de la Côte d’Ivoire, à la sous-préfecture de Nébo. Nous donnons également des kits scolaires aux enfants pendant la rentrée scolaire. Toutes ces actions parce que nous sentons qu’il y a un besoin au niveau des populations. C’est une façon d’aider nos parents et aussi de soulager l’Etat dans ses fonctions régaliennes.

Que répondez-vous à ceux qui qualifient toutes vos actions de politiques ?

L’action politique n’a de sens que parce qu’elle sert à la base. Si certaines personnes qualifient nos actes de politiques, elles se trompent lourdement dans ce sens que la définition qu’elles donnent à la politique n’est pas la même que la notre. Si faire de la politique, c’est jeter des peaux de bananes aux autres, dire faux là où c’est vrai ; dénigrer les autres ; dans ce cas, nous ne faisons pas de politique. Cependant si faire de la politique, c’est participer au développement ; c’est créer les conditions du rêve, lui donner un sens en posant un acte pour le bien des populations. Si faire de la politique, c’est agir, alors nous faisons de la politique.

En tout cas, tout dépend de la définition qu’on donne au mot politique et du résultat qu’on attend. Le résultat que nous attendons de toutes nos actions, c’est un minimum de bien-être, un minimum de sourire, de rêve et d’espérance. Si cela s’appelle de la politique, alors on assume.

Qu’est-ce que cela vous fait de voir certaines personnes vous désigner comme le nouveau fer de lance du développement du Lôh-Djiboua ?

C’est peut-être la lecture que certains parents font des actions que nous posons. Il y a des cadres qui méritent aussi l’attention des populations. Maintenant si c’est moi qui aie été choisi pour porter ce titre, je ne peux qu’en tirer une légitime fierté. Je n’ai pas spécialement demandé qu’il en soit ainsi. Mais si c’est ce que pensent les populations, je ne peux qu’être fier.

On le sait, le foncier est un problème crucial partout dans nos régions, surtout dans le Lôh-Djiboua. Avez-vous des solutions à proposer pour juguler cette situation ?

J’ai une solution radicalement opposée à celle qui est affichée ici et là. Ma solution n’est pas de dire aux populations de ne pas vendre les terres. Ma solution est de dire aux populations d’être libre d’agir, de faire ce qu’elles ont à faire. En tout état de cause, qu’elles prennent conseil et qu’elles le fassent dans les règles de l’art.

Lorsqu’on veut résoudre la question du foncier dans ce pays, il faut laisser la liberté et la responsabilité aux populations de faire des transactions sur le foncier. Lorsque la loi énonce que des étrangers non ivoiriens ne peuvent devenir propriétaires de terre en Côte d’Ivoire, bien sûr cela peut se faire, mais cela, pour moi, est source de conflits.

Dans la mesure où la Côte d’Ivoire indépendante à choisi le libéralisme économique comme étant la voie par laquelle le pays pouvait s’enrichir. Cette ouverture à l’économie mondiale a payé. On a connu le premier miracle économique dans les années 70 et d’aucuns disent même qu’on a failli connaitre un deuxième miracle dans les années 2012-2013. Simplement parce que nous avons opéré une ouverture économique assez large qui a permis à des opérateurs du monde entier de nous faire confiance, qui sont venus s’installer chez nous.

Même si on peut émettre des signaux correcteurs à ce modèle économique, ce libéralisme, il faut le dire, a quand même permis à la Côte d’Ivoire de prendre le leadership de l’UEMOA, en dominant les 40% de l’économie sous régionale. Ce sont les résultats du libéralisme économique que nous avons adopté.

C’est ce même libéralisme qui a permis aux populations de la sous région de venir travailler chez nous et d’y avoir gîte et couverts. Depuis plusieurs décennies, ces populations ont eu des propriétés qu’elles ont exploitées. Aujourd’hui, on ne peut pas tout ego dire à ces populations qu’elles ne peuvent pas devenir propriétaires.

En le faisant, on créé de la méfiance entre les populations allogènes et les populations autochtones. Pour nous qui sommes originaires de régions forestières, cela peut être source de conflits. Il faut plutôt demander aux populations de s’adresser aux hommes de loi comme les notaires. C’est notre travail de réfléchir à des structurations qui puissent permettre aux propriétaires de céder leurs terres mais dans de bonnes conditions. Aux acquéreurs, de prendre mais de prendre dans de bonnes conditions de telle sorte que celui qui a sa propriété ne soit pas perturbé dans l’exercice de ses prérogatives.

Autrement dit, si on permet aux populations d’exercer librement leur doit, de céder ou de ne pas céder. Si on leur permet de savoir que si elles cèdent une parcelle de terre qui appartient à toute une tribu, une lignée ; qui n’est pas à elles seules, dans quelques années, il peut y avoir des contestations. Ils ne vont pas céder. Si le notaire qui suit le dossier arrive à vérifier que l’opération n’est pas possible, alors ils ne vont pas céder. Il faut leur donner le maximum de conseil et arrêter d’afficher les antagonismes publiquement. Il y a des pays où la loi a affiché des obstacles dès le départ qui font que des étrangers ne peuvent pas devenir propriétaires.

Chez nous, ce n’est pas le cas.

Ça ne peut pas venir du jour au lendemain. Le problème du foncier vient du fait qu’on donne des informations incomplètes et abusives aux populations au lieu plutôt de les adresser aux professionnels que sont les avocats d’affaires, les notaires, les huissiers, les experts comptables, etc. Je ne suis pas en train de faire la promotion des métiers. Mais si les gens font des actes authentiques de leurs parcelles et que chacun sait où se limite sa parcelle, il agira forcement sans se mêler de la part de l’autre. Au lieu de cela, on préfère ne pas dire la vérité. Et le jour où on veut user de son droit, on se retrouve face à un étranger qui lui a déjà payé le terrain, qui s’est installé avec femme et enfants, et cela entraine des difficultés.

Est-ce que vous êtes en train de critiquer la nouvelle loi sur le foncier en Côte d’Ivoire ?

Très clairement !

Donc pour vous, cette loi est source de conflit ?

Très clairement !

Quel commentaire faites-vous du projet de bitumage de l’axe Divo-Guitry et de réhabilitation de la voie N’Douci-Gagnoa lancé récemment par le Premier ministre Amadou Gon à Divo ?

Pour le leader dédié au développement que je suis, c’est un projet que je salue avec enthousiasme. Dans tous les cas, j’espère qu’il va se réaliser. Comme l’a dit le ministre des Infrastructures, ce projet va se réaliser avec de très bons matériels pour qu’on n’ait plus à souffrir 10 ans après de nids de poule ou à revenir en arrière.

Parce qu’on a beau expliqué que le bitume s’est dégradé du fait du temps mais moi je ne crois pas. Je voyage dans le monde, en Chine, partout, il y a des bitumes qui ont plus de 100 ans et les véhicules qui circulent sur ces routes sont beaucoup plus volumineux que les nôtres. Ce n’est donc pas normal que le bitume qui a été fait à la faveur des indépendances soit aussitôt exsangue.

Je souhaite que ces travaux se fassent parce que j’ai confiance aux décideurs mais qu’ils se fassent avec de bons matériaux.

Maître Zéhouri est-il membre d’un parti politique ?

Mon parti politique s’appelle le parti apolitique pour le développement, l’amitié et la prospérité.

Quelle image voudriez-vous que la jeunesse retienne de vous ?

L’image d’un frère qui a décidé de se donner les moyens pour écrire une nouvelle page de développement dans sa région et partout en Côte d’Ivoire.

La carrure d’un leader est tissée par les populations, par celles qui se reconnaissent en lui. Il ne m’appartient pas de me définir comme un leader. Je souhaite que la Côte d’Ivoire se souvienne de tous ses enfants en des termes élogieux et non tristes. J’espère faire partie de ceux qu’on va citer en exemple.

Quelle est votre adresse à l’endroit des populations de Divo pour conclure ?

Divo me tient à cœur. Divo a été balafrée et a beaucoup souffert ces dernières années. Divo souffre d’un manque d’amour des siens, et cela depuis bien longtemps.

Tous, nous sommes responsables de cette situation. Personne ne peut s’enorgueillir de cette situation. Personne ne peut jeter la pierre à l’autre. Lorsque la Côte d’Ivoire indépendante est intervenue, Divo était déjà une mégapole où toutes les ethnies de Côte d’Ivoire se rencontraient. Même le premier maire de Divo fût un fils de la dynastie de Yamoussoukro, le maire Félicien Konian Kodjo, qui n’était pas fils de Divo. De mémoire, il est un des maires les plus aimés à Divo.

Vous voyez, très tôt déjà Divo était la Côte d’Ivoire en miniature, dédiée à l’ouverture. Mais cette ouverture a été mal expliquée ; elle a été mal gérée, mal conduite. Parce que lorsque vous introduisez les non-locaux dans des forêts dites classées que les locaux ne peuvent pas exploiter, alors vous créez une division qui de fil en aiguille devient un problème de cohésion. Ce n’est donc pas un sujet d’actualité que ce manque d’amour à Divo. Mais nous sommes suffisamment intelligents pour le résoudre. Mon appel est donc un appel à l’union sans distinction religieuse et ethnique.

Nous devons revenir au chevet de notre région malade. Il vous suffit de parcourir Divo pour découvrir qu’il n’y a pas de cohésion à telle enseigne qu’il est parfois difficile de poser des actes de développement. On a besoin d’être uni pour cultiver ce que nous avons de plus fort c’est-à-dire la forêt pour construire notre capitale qui est Divo.

Sans cela, personne ne viendra investir chez nous. J’appelle donc tout le monde, la société civile, les religieux, les femmes, les cadres, les jeunes, la diaspora, les chefs traditionnels à se donner la main pour qu’ensemble nous puissions propulser notre région vers des lendemains meilleurs.

Source : www.linfodrome.com 

Publié le 27/02/2017