MAÎTRE PAUL LOMBARD

(Auteur de la célèbre phrase : « N’écoutez pas l’opinion publique qui frappe à la porte de cette salle »).

Elle est une prostituée qui tire le juge par la manche, il faut la chasser de nos prétoires, car, lorsqu’elle
entre par une porte, la justice sort par l’autre »)

Paul Lombard est un célèbre pénaliste français né le 17 février 1927 à Marseille.

Au terme d’études au lycée Thiers et chez les jésuites, il fait le choix du droit en dépit de sa fibre littéraire, tournant le dos à la médecine pratiquée par son père.

A la faculté de droit d’Aix-en-Provence, il se passionnera pour la La RUE (La Revue universitaire d’études), qu’il fonde avec quelques camarades. On y parle musique, littérature, cinéma.

Le numéro que cette jeune équipe d’étudiants consacre à Antonin Artaud a toujours figuré à la meilleure place dans la bibliothèque de l’avocat.

Diplômé d’études supérieures (DES) de droit, il a exercé de 1952 à 1995 dans sa ville natale. Il eut pour mentor l’avocat marseillais Émile Pollak (1914-1977). « J’ai découvert l’éloquence en l’entendant plaider au procès Dominici.

Comme il n’est pas du sérail des avocats, ses enseignants lui conseillent la magistrature coloniale, mais Paul Lombard ouvre son premier cabinet au 20, rue Paradis, à Marseille, une ville dont il adore la lumière, les odeurs, la bouillabaisse.

Le procès Fourniret

Il s’installe à Paris à un âge où il aurait pu prétendre à la retraite, dirigeant en collaboration avec d’autres avocats le cabinet Lombard Baratelli et associés.

En 2008, crinière blanchie par les années, main un peu tremblante mais timbre toujours clair, il est encore intervenu dans un grand procès d’assises, celui de Michel Fourniret et de sa femme Monique Olivier, en tant qu’avocat de la famille d’une victime.

« Je vais vous parler non d’un assassin, non de la complice d’un assassin, mais d’un couple assassin, ce qui est rarissime dans l’histoire de la criminologie française. » Il dira plus tard avoir tout tenté pour extirper « une brindille d’humain » du cœur de Fourniret, sans y parvenir. Le monstre des Ardennes, plus de 10 meurtres à leur actif, a été condamné en mai 2008 à la prison à perpétuité

En 2009, il a été durant quelques mois parmi les avocats de l’héritière de L’Oréal, Liliane Bettencourt, en conflit avec sa fille. Il s’est aussi occupé des successions de peintres de renom, dont Picasso, Bonnard, Chagall…« J’ai toujours désiré être avocat, j’ai beau réfléchir, à aucun moment je n’ai eu envie de faire un autre métier », confiait-il dans les années 70. Il disait aussi que si on perdait la foi, il valait mieux arrêter.

Une trentaine d’années plus tard, il ne l’avait toujours pas perdue et n’envisageait pas de prendre sa retraite avant le jour de son enterrement.

A son actif, quelques-unes des plaidoiries les plus marquantes des cinquante dernières années.

Ranucci, le petit Grégory, Albertine Sarrazin… Paul Lombard laisse derrière lui de nombreuses plaidoiries mémorables.

Le pénaliste revendiquait « des centaines, voire des milliers » d’affaires à son actif, dont certains des plus grands dossiers de l’histoire criminelle française, de l’affaire de Bruay-en-Artois (1972) à celle du petit Grégory Villemin (1984), en passant par le procès de Christian Ranucci, condamné pour le meurtre d’une petite fille et l’un des derniers guillotinés de France, en 1976.

La plaidoirie prononcée par Paul Lombard, avocat de Christian Ranucci, devant la Cour d’assises des Bouches-du-Rhône :

Mesdames et Messieurs les jurés,

En cet instant où je prends la parole pour Christian Ranucci, j’ai dans cette enceinte de justice face à moi trois adversaires.

Vous, Maître Collard, qui avez su avec une belle humanité prêter votre voix aux parents de la petite Maria-Dolorès, vous Monsieur l’avocat général qui avez prononcé l’un des meilleurs réquisitoires que j’aie eu à entendre de toute ma carrière, mais mon plus redoutable adversaire, c’est vous-même, Ranucci !

Vous qui êtes incapable d’inspirer la sympathie aux autres avec vos yeux de poisson mort !

Vous qu’on avait envie de comprendre quand vous êtes entré pour la première fois dans cette salle, mais dont l’attitude a fait qu’ensuite on a eu envie de vous haïr.

Un innocent, il crie, il hurle, il se débat, il n’accepte pas le destin.

Vous, vous vous êtes montré froid comme un iceberg, impassible, comme étranger à nos débats. Imbécile !

Mais Mesdames et Messieurs les jurés, ne vous fiez pas aux apparences.

Juger sur les apparences, c’est se faire le bourreau !

Juger en fonction de l’attitude qu’il a manifestée, ce serait oublier de juger.

N’écoutez pas non plus la rumeur ignoble.

N’écoutez pas l’opinion publique qui frappe à la porte de cette salle.

Elle est une prostituée qui tire le juge par la manche, il faut la chasser de nos prétoires, car, lorsqu’elle entre par une porte, la justice sort par l’autre.

Je n’ai rien à faire de l’opinion publique.

Je ne suis pas un signataire de pétitions humanitaires. Je ne suis pas un militant.

Je suis un homme. Et en tant que tel, je hais la peine de mort.

Je ne serai jamais aux côtés de ceux qui la réclament, de ceux qui la donnent, jamais je ne serai aux côtés du guillotineur.

Et pourtant, par la voix de Monsieur l’avocat général, cette salle vient de renvoyer l’écho de la peine de mort.

Comme vous l’a dit mon confrère Jean-François Le Forsonney, nous avons frémi, nous sommes épouvantés par ce qu’on vient de demander. Il s’agit de décider si cet homme de 20 ans doit vivre ou mourir, et nous voici donc face à la vieille ennemie : la peine de mort.

Et cela alors que des événements récents nous ont fait perdre la raison. Oui, depuis un mois, depuis l’interpellation à Troyes du meurtrier présumé du petit Philippe Bertrand, notre pays a succombé à l’hystérie collective.

Je vous demande de résister à ce vent de folie.

Car, si vous accordiez la peine capitale, vous feriez reculer la civilisation de cinquante ans.

En donnant la mort à Ranucci, vous rouvririez les portes de la barbarie, vous grossiriez le tombereau sanglant des erreurs judiciaires, vous deviendriez bourreau, vous céderiez à la colère, à la peur, à la panique.

Mais je le sais : vous ne ferez pas cela !

Non, vous ne ferez pas cela, car Christian Ranucci est innocent du crime dont il est accusé. Je plaide non coupable.

Oui, je le sais – et Monsieur l’avocat général vous l’a longuement rappelé –

Christian Ranucci a d’abord avoué.

Et bien moi, je dis qu’au moment où il a avoué, cet homme n’était pas en possession de toutes ses facultés.

Qu’on me comprenne bien : je plaide l’irresponsabilité, non pas pour le crime que Ranucci n’a pas commis, mais pour expliquer les aveux qu’il a passés.

Que l’on me comprenne bien encore, je ne suis pas ici en train de dénoncer le travail des enquêteurs. Je suis contre ceux qui attaquent systématiquement la police : elle fait un métier difficile.

Aussi ne dirai-je rien des méthodes employées. Mais j’affirme que les aveux de Ranucci s’expliquent par son état psychique et qu’ils sont en contradiction avec les faits.

Peut-on simplement imaginer le traumatisme qu’a vécu ce garçon ?

Le choc absolu qu’il a subi à l’instant où il se voit accusé du pire des crimes ?

L’abîme dans lequel il est plongé ? Son désarroi profond ?

Sa totale solitude ?

Alors, oui ce garçon fragile a craqué. Oui, ses nerfs ont lâché.
Et oui, à cet instant devenu irresponsable, il a fini par reconnaître tout ce qu’on a voulu lui faire dire. Il n’est pas le seul à avoir avoué un crime qu’il n’a pas commis.

Sachez, Mesdames et Messieurs les jurés que les précédents sont nombreux, hélas.

C’est Jean-Marie Deveaux qui avoue à Lyon le meurtre d’une fillette et que l’on condamne avant de le réhabiliter.

C’est plus près de nous encore, le jeune Jean-Pierre qui s’accuse du crime de Bruay-en-Artois et dont on découvre ensuite qu’il a affabulé.

Dans les deux cas, il s’agit de jeunes gens, comme Ranucci, abandonnés, seuls, incapables de résister à la pression psychologique exercée par des policiers expérimentés et convaincus de leur culpabilité.

Mais l’aveu n’est pas une preuve en droit français.

L’aveu, c’est au contraire le fil d’Ariane de l’erreur judiciaire, c’est sa fusée porteuse !

Alors non, Monsieur l’avocat général, je ne peux pas vous laisser dire qu’il est impossible de plaider tout à la fois l’innocence et la folie.

Si, on le peut. Si, il est possible d’être innocent des faits que l’on vous reproche puis de devenir fou à l’instant où, dans un état de trouble profond, on avoue les avoir commis.

L’accusation s’appuie sur le rapport des experts psychiatres.

Nous, avocats, nous savons la valeur toute relative qu’il faut accorder à ces expertises. Et rarement je n’ai vu de rapport aussi partial. Je vous le dis ce rapport travestit la personnalité de Christian Ranucci.

Ces proches le décrivent, eux, comme un garçon calme, correct, doux et affectueux envers les enfants que gardait sa mère.

Que l’on nous explique alors comment il aurait pu soudain se transformer en gibier d’échafaud !
Pour Christian Ranucci, je réclame donc l’acquittement pur et simple parce que ses aveux ont été acquis de façon équivoque, parce que les expertises ont été faites de façon partisane, mais d’abord parce que le dossier est fragile et comporte d’immenses lacunes.

Que penser de la déposition du couple Aubert ? Ce sont les témoins clefs de l’accusation. Et pourtant ce couple d’automobilistes n’a cessé de varier au fil de ses déclarations.

Leur témoignage est tout simplement ahurissant et farci d’incohérences et d’impossibilités. Les Aubert évoquent en premier lieu un jeune homme avec un paquet entre les bras.

Puis, au fur et à mesure de leurs interrogatoires, ils fluctuent, pour finalement décrire une petite fille en short blanc qui pose des questions à celui qui l’entraîne.

Comment un tel témoignage peut-t-il être retenu ?

Je m’étonne également que la police ait recherché pendant deux heures le couteau sur les lieux du crime avec un détecteur magnétique.

Pourquoi le commissaire Alessandra n’a-t-il pas conduit Ranucci sur place alors qu’il venait de passer des aveux, comme l’aurait fait n’importe quel autre policier dans une situation identique ?
On aurait bien vu alors si Ranucci était capable de désigner l’endroit où se trouvait l’arme du crime.

Je m’étonne aussi de l’incohérence chronologique qui apparait dans les procès-verbaux de mise sous scellé. Je m’étonne encore que l’accusation puisse accorder le moindre crédit à la présence de sang sur le pantalon bleu que portait Ranucci puisque le sang dont il est souillé peut fort bien provenir d’une plaie à sa jambe comme l’atteste un certificat médical. Je m’étonne encore du comportement qu’a eu Christian Ranucci.

S’il avait été coupable, pensez-vous qu’il soit rentré paisiblement à Nice sans même faire disparaître de son coffre le pantalon et les lanières de cuir que l’on brandit aujourd’hui pour l’accabler ?

Enfin, il y a ce mystérieux homme au pull-over rouge. Trois témoins sont venus attester de son existence.

L’un d’entre eux explique qu’il l’a aperçu en train d’aborder des enfants. Cet homme est décrit comme conduisant une Simca 1100, c’est-à-dire la marque de la voiture mentionnée par les témoins de l’enlèvement. Un homme donc, vêtu d’un pull-over, en tout point semblable à celui que Mesdames et Messieurs les jurés ont sous les yeux.

Vous le voyez là, posé sur la table des pièces à conviction. Ce pullover rouge a été retrouvé près des lieux du crime.

Personne ne peut expliquer sa présence. Alors, oui je m’étonne et je m’indigne : allez-vous oser condamner à mort sur un dossier pareil ?

Allez-vous oser condamner sur la foi d’un dossier de plâtre ?

Je ne suis pas du côté des assassins, mais je ne suis pas non plus du côté de l’erreur judiciaire. Acquittez Christian Ranucci !

Le sang se lave avec les larmes, non avec le sang.

Tant que la peine de mort existera, la nuit régnera dans la Cour d’assises. »

Paul Lombard est mort ce dimanche 15 janvier 2017, à l’âge de 89 ans.

Source : www.lemonde.fr www.ouest-france.fr