(Auteur de la phrase : « Quand un homme traqué frappe à ma porte, c’est toujours pour moi un roi dans son malheur »)
Lorsqu’on lui demandait poliment comment il allait, il répondait, depuis des années, « incurablement bien ». Mais la vie étant finalement chose curable, Jacques Vergès a changé d’idée et est mort jeudi 15 août, à l’âge de 88 ans. Avec un certain panache, dans la chambre même où Voltaire a poussé son dernier soupir, le 30 mai 1778, comme l’a découvert L’Express.
« Il était très aimaigri, il marchait lentement, a indiqué Christian Charrière-Bournazel, l’ancien bâtonnier de Paris, il avait des difficultés à parler mais intellectuellement, était intact. » Il se remettait mal d’une bronchite, et une amie lui avait proposé la veille de l’héberger chez elle, quai Voltaire, face au Louvre, où avait vécu le grand écrivain. Jacques Vergès s’est effondré jeudi avant le dîner, comme de juste avant de passer à table, et emporte avec lui une foule de petits secrets.
Avocat brillant, redouté et parfois haï, Me Vergès s’était construit avec un rare plaisir une statue toute de cynisme et de provocation, et feignait d’aimer qu’on ne l’aime pas. Il a confié un jour, entre deux bouffées de cigare, « j’ai le culte de moi-même », et, agitateur de génie, il avait réussi à brouiller à plaisir sa propre biographie.
AMI DE POL POT
Jacques Vergès surnommé « Avocat de la terreur » est né théoriquement le 5 mars 1925 à Oubone, en Thaïlande, où son père, Raymond, était consul de France. « Je suis né d’un père vagabond, ingénieur agronome en Chine, professeur à Shangaï, consul et médecin », a raconté l’avocat dans Le salaud lumineux (Michel Lafon). Raymond a épousé Khang, la mère vietnamienne de deux de ses garçons, Jacques et Paul, et aurait fait un faux, en déclarant la naissance des deux frères le même jour, alors qu’ils avaient un an d’écart, ainsi que l’a découvert l’un de ses biographes, Bernard Violet. Jacques Vergès serait-il plutôt né le 20 avril 1924 ? « Je m’en fous royalement », avait répondu l’avocat à Libération.
Le petit Vergès a grandi à La Réunion, dans le même lycée que le premier de la classe, Raymond Barre, et sent vite approcher le souffle de l’Histoire. Lorsque, le 28 novembre 1942, le contre-torpilleur Léopard, qui a rallié la France libre, pointe ses canons sur La Réunion, le jeune homme de 17 ans est déjà sur le toit du lycée en train de décrocher avec quelques copains le drapeau français frappé de la francisque. Jacques part avec son frère Paul à Madagascar, et gagne Londres.
Le jeune homme parcourt l’Europe en guerre, l’Algérie, le Maroc et finalement l’Allemagne occupée, et il garde de ces années de guerre « un souvenir merveilleux ». Il adhère au Parti communiste français en 1945 et devient, pendant cinq ans, selon sa propre formule, « un petit agitateur anticolonialiste au Quartier latin ». A la tête de l’association des étudiants réunionnais, il se lie avec Mohamed Masmoudi, futur ministre de Bourguiba, ou Pol Pot, futur bourreau du peuple cambodgien.
Le parti prend sa formation en main, et, de 1951 à 1954, il devient membre du comité exécutif, puis secrétaire de l’Union internationale communiste des étudiants. Il vit à Prague, voyage beaucoup, côtoie Erich Honecker, qui sera chef de l’Etat est-allemand, ou Alexandre Chelepine, devenu patron du KGB. Mais Vergès ne souhaite pas s’imposer dans le parti en France, et à 29 ans, démissionne, retourne à La Réunion et s’inscrit au barreau.
« JE SUIS PASSÉ DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR »
Le mois d’avril 1957 est un tournant. Me Vergès, qui n’a que dix-huit mois d’expérience lorsqu’il est appelé en Algérie pour défendre une jeune militante du FLN, Djamila Bouhired. « Entre les Algériens et moi, ce fut le coup de foudre », a indiqué l’avocat. Avec Djamila aussi, qu’il épousera quelque temps plus tard.
La jeune poseuse de bombe est condamnée à mort – puis graciée – mais Vergès invente sa fameuse « défense de rupture » : il n’y a rien à attendre de la connivence des avocats avec des magistrats qui ne représentent que l’ordre colonial. Le verdict étant certain, il faut faire du procès une tribune : Vergès crache son mépris pour une justice qu’il récuse, et finalement, accuse ses accusateurs. Son courage et son insolence lui valent un an de suspension du barreau, en 1961, mais pour le FLN, c’est un héros, il est rebaptisé « Mansour » – le victorieux.
Le FLN l’envoie au Maroc, où il devient conseiller du ministre chargé des affaires africaines, et quand l’Algérie accède à l’indépendance, le voilà converti à l’islam et citoyen d’honneur de la jeune République. Mais Jacques Vergès s’éloigne de Moscou et se rapproche de Pékin, il quitte Alger, est reçu par Mao, on le croise un temps à Beyrouth aux côtés de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Et il disparaît.
Pendant huit ans, la famille de Jacques Vergès est sans nouvelle de lui et son éditeur, M. Jérôme Lindo a fait savoir qu’il était en bonne santé à l’étranger ». Jacques Vergès a entretenu sa légende, laissé dire ou fait courir les bruits les plus divers – la thèse la plus communément retenue serait qu’il était au Cambodge avec son ancien copain Pol Pot.
Etait-il au côté de Palestiniens ? Dans le Congo post-Lumumba ? Au Cambodge de Pol Pot ? A-t-il alors rencontré Carlos, comme l’ont envisagé les services de renseignement français ?
Un jour, Vergès réapparaît. Egal à lui-même, avec ses lunettes rondes, son sourire ironique et son petit costume. Lorsqu’on l’interroge, il répond, « Je suis passé de l’autre côté du miroir. C’est ma part d’ombre ». Et d’ajouter : « Je suis revenu aguerri – notez le terme, il est juste – et optimiste »
« J’APPRENDS QUE VOUS DÉFENDEZ BARBIE… »
Avocat, Vergès défend Bruno Bréguet et Magdalena Kopp, les compagnons de Carlos, convaincus d’avoir transporté des explosifs. Il défend le terroriste vénézuélien lui-même ; la Stasi, la police secrète d’Allemagne de l’Est, assurait qu’il l’avait approché dès 1982. Carlos a même dit au juge d’instruction qu’il avait choisi Vergès parce qu’il était « plus dangereux » que lui. L’avocat avait apprécié. « C’est un homme extrêmement courtois. Je pense que c’est un hommage : le combat des idées est un combat aussi dangereux que celui des bombes. »
Me Vergès défend aussi Georges Ibrahim Abdallah, condamné à la perpétuité et toujours en prison ; antisioniste passionné, il navigue toujours sur la crête de l’antisémitisme. Il finit en 1987 par défendre Klaus Barbie, l’un des chefs de la Gestapo de Lyon de 1942 à 1944 – c’est pour l’ancien résistant l’occasion d’obtenir une tribune « pour dénoncer le colonialisme ». La nouvelle ne décourage pas ses proches. Jean Genet lui écrit : « J’apprends que vous défendez Barbie. Plus que jamais, vous êtes mon ami. »
Jacques Vergès, drapé dans son personnage, a défendu mille autres accusés de façon la plus classique qui soit : la défense de rupture, superbe dans le prétoire, a pour le client l’inconvénient de lui obtenir le maximum. Jacques Vergès a ainsi défendu (avec succès) Louise-Yvonne Casetta, la trésorière occulte du RPR, Omar Raddad, le jardinier marocain accusé du meurtre de sa patronne, ou Simone Weber, accusée d’avoir coupé en morceaux son amant. Me Vergès avait entrepris de découper un poulet à la tronçonneuse pour prouver que l’affaire risquait d’éclabousser…
« En lisant un dossier, a expliqué l’avocat, je me trouve dans la position d’un monteur de cinéma devant ses rushes. C’est un métier d’art. Le procureur est dans la même situation, mais lui fera de la littérature de gare à partir des lieux communs de la société. Moi, je suis contraint de faire un nouveau roman. »
Jacques Verges est décédé le 15 août 2013 à 89 ans.
LES GRANDS PROCÈS
1982 : Il assure la défense de Magdalena Kopp, terroriste allemande d’extrême gauche.
1983 : Il défend la famille de Robert Boulin, persuadé que le ministre de Giscard d’Estaing a été assassiné.
1987 : Il défend le nazi Klaus Barbie, jugé pour crime contre l’humanité à Lyon.
Voir notre dossier (abonnés) : 4 juillet 1987 : Condamnation de Klaus Barbie
1989 : Défend les membres de la branche lyonnaise du groupe d’extrême gauche Action directe.
1994-1995 : Il défend le jardinier marocain Omar Raddad, accusé de meurtre à Nice. Et le terroriste vénézuélien Carlos, jugé pour quatre attentats commis en France en 1982 et 1983.
1998 : Défend l’écrivain français Roger Garaudy, poursuivi pour contestation de crime contre l’humanité.
2010 : Il part soutenir l’ancien président de Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo, en conflit avec son successeur Alassane Ouattara.
2011 : Il défend le Khmer rouge Khieu Samphân, jugé au Cambodge pour crime contre l’humanité.
La plaidoirie de Me Vergès au procès Garaudy (1998) – La loi Fabius-Gayssot, loi raciste.
« Avant de discuter du texte de loi censé protéger sur le plan de la presse les victimes du crimecontre l’humanité, il convient de définir d’abord ce que veut dire le mot Humanité en français etdans la loi Gayssot.
En français le mot Humanité au singulier désigne à la fois le genre humain dans sa totalité et le sentiment de compassion que chacun doit éprouver pour tous ses semblables. S’il est un mot en français qui exclut l’exclusion c’est bien celui là. L’Humanité c’est tous ou personne.
Dans la loi Gayssot et la jurisprudence qui en est issue, c’est tout le contraire. L’humanité ne désigne que les juifs qui furent victimes du nazisme. Autant dire que l’humanité a perdu son sens. La remarque est d’autant plus étonnante que Monsieur Gayssot écrit parfois dans un journal qui s’appelle l’Humanité, dont aucun des lecteurs ne pense qu’il s’agit seulement d’Israël. Le fait est pourtant là.
Monsieur Gayssot exclut de la protection de sa loi, toutes les autres victimes des autres génocides et des autres crimes commis dans le monde hier et aujourd’hui.
Exclues les victimes de l’esclavage que le Code Noir définissait comme objets, plus précisément biens, meubles et non pas personnes. Le Président de la Cour de Cassation dans une déclaration récente pouvait mettre un signe d’égalité entre l’esclavage et le massacre des juifs par les nazis. Cela n’a aucune conséquence juridique et l’on peut défendre aujourd’hui l’esclavage sans tomber sous le coup de la loi Gayssot.
De même peut-on justifier que les Australiens Blancs aient pu considérer jusqu’en 1947 les premiers habitants du pays comme des bêtes et non des êtres humains. Ils sont exclus de la compassion de Monsieur Gayssot et de la loi. Qu’on les ait chassés à courre comme des renards laisse Monsieur Gayssot de marbre.
Les Tasmaniens ont été massacrés jusqu’aux derniers par les colons blancs. Il est loisible à un raciste de le justifier sans tomber sous le coup de la loi Gayssot. La dernière Tasmanienne est morte en 1877 et son cadavre empaillé a été exposé dans un musée de Hobarth jusqu’en 1947, entre un loup de Tasmanie et un kangourou. Monsieur Gayssot et sa loi raciste s’en moquent. Comme ils se moquent des Indiens d’Amérique dont il disparaît une tribu par an. Comme ils se moquent des Khmers ou des victimes de Sabra et Chatila.
Exclues de l’Humanité et de la loi les autres victimes de la 2ème guerre mondiale. Exclus les Ethiopiens contre qui, furent utilisés les gaz asphyxiants par les Italiens. Ils sont noirs. Ils n’intéressent pas Monsieur Gayssot, ni sa loi raciste. Pas plus que les femmes et les enfants d’Hiroshima et de Nagasaki réduits en cendres par les bombes nucléaires américaines en 1945. Il est vrai qu’ils avaient la peau jaune et les yeux bridés. Ils n’intéressent ni Monsieur Gayssot ni sa loi raciste.
Exclues de l’Humanité selon Monsieur Gayssot les victimes des répressions coloniales qui firent suite à la victoire des prétendues démocraties. Les quelques dizaines de milliers de civils Algériens assassinés par les milices coloniales à Sétif et à Guelma, en Algérie, le 8 mai 1945, le jour même de la capitulation allemande. Il est vrai qu’ils étaient musulmans, ils n’intéressent pas Monsieur Gayssot ni sa loi raciste.
Exclus les 100 000 civils Malgaches massacrés par les troupes coloniales et les colons en1947. Il est vrai qu’ils n’étaient pas juifs et qu’à ce titre ils n’intéressent pas Monsieur Gayssot et sa loi raciste.
Exclus les vietnamiens victimes de la sale guerre menée par la 4ème République puis par les américains. Les militants du PCF étaient à l’époque solidaire des Vietnamiens. C’est un passé que renie Monsieur Gayssot.
Exclus encore les quelques centaines de milliers de civils Algériens morts pendant la guerre d’Algérie, de faim et de froid dans les camps de regroupement dénoncés à l’époque par Monsieur Rocard. Ils n’étaient pas européens. Ils n’ont pas droit à la compassion de Monsieur Gayssot et de sa loi raciste.
Exclues encore les victimes des génocides qui continuent aujourd’hui en Afrique dans la région des grands lacs, et au Congo dit démocratique. Les Noirs ont-ils une âme ? Monsieur Gayssot sans doute ne le pense pas, autrement il se serait arrangé pour que sa loi s’applique à eux.
Un homme aujourd’hui illustre avec éclat ce mépris raciste des grands principes antiracistes :M. PAPON.
Il est poursuivi pour complicité de crimes contre l’humanité pour avoir, jeune secrétaire général de préfecture, prêté la main à l’arrestation et à la déportation de juifs à Bordeaux, en1943.Mais le même M. PAPON n’est pas poursuivi pour les ratonnades organisées à Paris en 1961, alors qu’il était Préfet de Police. Crime contre l’humanité dans un cas, simple bavure dans l’autre. Pourtant à l’époque, les plus grands noms de la culture française, Sartre, Aragon, Boulez affirmaient dans un manifeste : » Qu’entre les algériens enfermés au Palais des Sports en attendant d’être refoulés, et les juifs parqués à Drancy avant la déportation nous nous refusons à faire une différence « .Monsieur Gayssot lui, a eu l’audace de la faire et pour notre honte, l’institution judiciaire, prise à son piège s’est résignée à le suivre.
Déboutés la veuve de Monsieur LAKDAR TOUMI et les orphelins de Monsieur YACOUB assassinés pendant la guerre d’Algérie (décision de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, le 29 novembre 1988). Les parties civiles disent aujourd’hui qu’elles sont pour appliquer aux crimes du colonialisme la loi de 1964, qui punit les crimes contre l’Humanité. Mensonge ! Leurs dirigeants et amis parlementaires ont la possibilité de déposer une loi en ce sens et ne le font pas ! Le MRAP a beau porter un masque maghrébin les jours de carnaval, il ne trompe personne.
Déboutés aussi par votre tribunal en octobre 1994 les Arméniens qui avaient porté plainte contre Monsieur B. LEWIS qui niait la réalité du génocide Arménien de 1915. Comment à ce moment là, ne pas se poser la question que se pose Monsieur Jean-François Forges, professeur d’histoire dans un lycée lyonnais, quand il écrit dans son livre » Éduquer contre Auschwitz « , » les silences officiels sur certains aspects de la colonisation peuvent donner l’impression qu’on fait le tri parmi les victimes « . On ne saurait mieux dire. Monsieur Gayssot et sa loi font le tri parmi les cadavres d’enfants et de femmes. Et comment ne pas entendre sa terrible mise en garde : » Pourquoi ceux qui mentent par omission à propos des massacres d’Aes diraient-ils la vérité à propos des massacres de juifs ? « .
La loi Gayssot n’interdit pas non plus de trouver des excuses aux médecins américains émules et prédécesseurs de Mengele qui de 1932 à 1972, ont utilisé comme cobayes des centaines de Noirs atteints de la syphilis à qui ils refusaient tout traitement. (Libération 19.05.1997), ni aux médecins australiens qui de 1945, l’année de la capitulation allemande, à 1970, ont utilisé des orphelins pour tester de nouveaux vaccins contre l’herpès ou la diphtérie (Libération 12.06.1997), ni aux autorités suédoises qui, pendant 40 ans de 1935 à 1976, ont ordonné à des médecins indignes, de stériliser 62000 personnes réputées inférieures, infirmes, prostituées ou métis.
Il y a cinq ans, l’ONU décidait une ingérence humanitaire en Somalie. Elle portait le beau nom de » Restaurons l’espoir « . Un ministre, à l’époque s’était fait remarquer, portant » pour la photo « , un sac de riz sur l’épaule. Une autre photo aujourd’hui, soulève l’émotion. Elle représente une jeune somalienne attachée nue sur un véhicule blindé et violée avec une fusée éclairante enduite de confiture par des soldats italiens (Jeune Afrique 18.02.1997).
Leurs chefs qui leur avaient dit : » Nous ne devons pas traiter les somaliens comme des êtres humains, même s’il s’agit de femmes et d’enfants » (Le Monde 17.VI.97) ne tombent pas non plus sous le coup de la loi Gayssot puisqu’ils n’appartiennent pas à une organisation déclarée criminelle à Nuremberg, mais à un corps réputé d’élite qu’aucune juridiction internationale n’a compétence pour juger.
Mais cette loi scandaleuse n’est pas seulement raciste puisqu’elle ose trier parmi les victimes suivant leur religion ou la couleur de leur peau, refusant aux uns la protection accordée aux autres. Elle est fasciste dans la mesure où à propos d’événements historiques elle interdit de mettre en cause une vérité officielle, elle interdit de penser.
Si les crimes innommables commis contre l’Humanité depuis Nuremberg, en Indochine, en Indonésie, en Afghanistan, en Algérie, au Liban, en Somalie et ailleurs, n’intéressent pas Monsieur Gayssot, il entend voir interdire et sanctionner tout examen, toute recherche, toute interrogation concernant le procès de Nuremberg, dont les décisions devraient être acceptées comme parole d’Évangile et vérité révélée.
Il n’est pas étonnant dans ces conditions, que le Chef de l’État, Monsieur Chirac, alors député, ait voté contre, comme Monsieur Toubon, futur Ministre de la Justice, dont je me permets de rappeler le propos : » Lorsque nous en avons discuté en 1990, sur la base d’une proposition de loi du groupe communiste, dont le premier signataire était Monsieur Gayssot, j’avais contesté – je n’étais pas le seul – le principe de ce texte, qui consiste à fixer la vérité historique par la loi au lieu de la laisser dire par l’histoire.
Certains objectent que si c’est bien l’histoire qui fait la vérité et si ce n’est pas à la loi de l’imposer, certains propos vont trop loin et il ne faut pas permettre de les exprimer. Mais c’est glisser insensiblement vers le délit politique et vers le délit d’opinion. Donc, sur le fond, il y a dans ces dispositions un très grand danger de principe (…). Par conséquent, sur le principe, l’article 24bis représente, à mon avis, une très grave erreur politique et juridique. Il constitue en réalité une loi de circonstance, et je le regrette beaucoup « .
Un an après, à froid, nous pouvons, comme je viens de le faire, examiner la validité de cette loi, la validité de ce délit de révisionnisme prévu par l’article 24 bis, et conclure, avec Simone Veil, que ce délit est inopportun (…). C’est une faute sur le plan politique et sur le plan juridique. (JO22.VI.1991). Madame Veil, ancienne déportée et ancien magistrat qui persiste et signe dans une interview récente (EDJ 27.VI.1996): » l’histoire doit être libre. Elle ne peut être soumise à des versions officielles. »
Présidente d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme, et historienne, Madame Madeleine Rebeyrioux lui fait écho (Le Monde 21.V.1996). » Chercher, toujours chercher, – établir les faits, les confronter, comprendre leur enchaînement et leur sens -, c’est une tâche d’historien, et de citoyen.
Proclamer l’entière liberté de cette recherche, telle est entre autres la vocation de la Ligue des Droits de l’Homme. C’est pourquoi, elle prit position en 1990 contre la partie de la loi, dite loi Gayssot, qui, le 13 juillet de cette année là, constitua en délit relevant des tribunaux le fait de contester » un ou plusieurs crimes contre l’humanité, tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire annexé à l’accord de Londres du 8 mai 1945 « .C’est au nom de ce texte intégré (article 24 bis) à la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 que Monsieur Garaudy a été mis en examen.
Ainsi que s’interroge Monsieur Alain-Gérard Slama dans le Figaro (3.v.96) » L’histoire n’est pas un tribunal. Les tribunaux ne sont pas un jury d’historiens. Les falsifications de la mémoire ne se traitent pas, hélas, comme de la fausse monnaie. A trop croire qu’il existe une morale objective, notre société rend chaque jour le droit plus subjectif et, à ce titre, plus intolérant. Et de cette erreur là aussi, tôt ou tard, il faudra répondre « .
Il appartient au juriste de combattre ce texte totalitaire selon l’expression de Monsieur François Terré, professeur de droit et membre de l’Institut, nous rappelant vous et nous, MM les magistrats, à notre devoir (Le Figaro 15.V.96). » Il lui appartient en effet, de veiller à la sauvegarde de libertés fondamentales auxquelles la loi Gayssot porte atteinte : la liberté d’opinion et d’expression car, suivant la Déclaration de 1789, » nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » (art. 10) ; la liberté de » communication de pensées et des opinions, qui est un des droits les plus précieux de l’homme » (décl. 1789, art.11) ; la liberté de la presse affirmée par la loi de 1881, et celle de l’audiovisuel, par une loi de1986.
A quoi s’ajoute la libre recherche scientifique, consacrée par les lois de la République (loi du 26 janvier 1984 art. 3), et dont la liberté de l’historien est une illustration. Il y a plus d’un siècle nos juridictions le rappelaient : ce n’est pas devant les tribunaux que l’Histoire doit trouver ses juges.
Par une série d’arrêts retentissants, la cour de Strasbourg a affirmé qu’à la fonction de la presse, qui consiste à diffuser des informations, s’ajoute le droit du public d’en recevoir, » faute de quoi la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de » chien de garde « .Cela vaut, précise-t-elle, » non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme indifférentes « , mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture, sans lesquels il n’est pas desociété démocratique » (arrêts Handyside contre Royaume-Uni, 7 déc. 1976 ; Lingensc/Autriche, 8 juil. 1986 ; Jersild c/Danemark, 23 sept. 1994 ; etc.).
Notre souhait, Monsieur le Président, Mesdames, est que votre décision ne nous contraigne pas à ce recours, à une juridiction européenne. Il existe pour cela des moyens de droit sur lesquels je reviendrai.
Nous avons le droit en France, de demander la révision d’une décision rendue par les juges français, et nous n’aurions pas le droit de simplement nous interroger sur le jugement rendu à Nuremberg, par entre autres, le Major Général Nikitchenko et le Lieutenant Colonel Volchkov ?
Ce n’est pas concevable, vous en conviendrez.
L’affaire de la bibliothèque du Lycée Edmond-Rostand, à Saint-Ouen l’Aumône, est une illustration parfaite des dérapages auxquels peut entraîner cette loi. Nommée en septembre 1996 documentaliste dans ce lycée, Mme Cherkaoui n’a rien eu de plus pressé que de dresser la liste des livres à proscrire pour » révisionnisme «
Furent ainsi exclus de la bibliothèque du lycée :
- Joseph de Maistre (mort en 1821),
- Maurice Barrès (mort en 1923),
- MM Alain Peyrefitte, ancien ministre du Général de Gaulle,
- Jean-François Deniau, qui vient de présider la commission de réforme des cours d’assises,
- Marc Fumaroli et Jean-François Revel, de l’Académie Française,
- L’historien André Castelot et Jean Tulard, autorité reconnue dans les études napoléoniennes.
» C’est devenu un procédé courant, écrit J.F. Revel, de précipiter dans le nazisme ou le révisionnisme, tout individu dont on veut salir la réputation « . (Le Point – 28.11.97)..
Mme Cherkaoui, dans sa chasse aux sorcières, a eu le soutien du MRAP, aujourd’hui partie civile contre Monsieur Garaudy.
Monsieur Roger Garaudy a deux tares :
1 – Il est français
2 – Il est musulman.
S’interroge-t-il, sans nier le massacre, sur le nombre réel des victimes juives du nazisme. On vous demande de le condamner. Mais il n’est pas le premier chercheur à le faire. Monsieur Poliakov en son temps a contesté lechiffre sacré de 6 millions retenu à Nuremberg. Il estime que le nombre de victimes se situe autour de 2 millions. Ni la LICRA, ni le MRAP, ni les différentes organisations de déportés n’ont porté plainte contre lui. C’est qu’à la différence de Monsieur Garaudy, il était juif.
Monsieur Hillberg est plus radical encore, il estime que le chiffre de 2 millions doit être réduit à 1 million 250 000. Il n’est pas poursuivi par ces messieurs non plus. Il a la chance en effet de ne pas être français et d’être juif.
Roger Garaudy s’interroge de même sur les chambres à gaz, l’arme du crime selon les juges de Nuremberg. Il pense qu’après les expertises faites aux États-Unis et en Pologne une clarification s’impose. Il est traîné devant vous, mais pas l’expert américain, ni l’expert polonais. Où est la justice égale pour tous ?
Pourtant il n’a pas écrit comme Monsieur Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix, que : » les chambres à gaz, il vaut mieux qu’elles restent fermées au regard indiscret » (Tous les Fleuves vont à la mer – Le seuil 1994). Ni, comme Monsieur Goldhagen, que les chambres à gaz sont » un épiphénomène dans l’extermination des juifs » (les Bourreaux Volontaires de Hitler, les Allemands Ordinaires et l’holocauste) – Le Seuil 1997). Ni la LICRA, ni le MRAP n’ont porté plainte contre eux. Pourtant ces livres ont été publiés en France.
C’est qu’à la fois, MM. Wiesel et Goldhagen ont deux qualités que ne possède pas Monsieur Garaudy, ils ne sont pas français et ils sont juifs.
L’état hébreux est aujourd’hui accepté par les Palestiniens et, chez les Israéliens, nombreux sont ceux qui acceptent désormais l’existence à terme d’un État Palestinien. La souffrance des Palestiniens, dont l’identité même, a été si longtemps niée, nous touche ; elle ne nous interdit pas d’être lucides à leur égard et de critiquer, quand nous estimons devoir le faire, leur comportement.
De la même manière, personne n’est insensible à la souffrance des juifs d’Europe, au temps du nazisme triomphant. Cela n’interdit pas non plus la critique, quand nous estimons devoir la faire, du comportement de certains en Israël, surtout que les Israéliens eux-mêmes nous en donnent de plus en plus l’exemple.
Ainsi on reproche à Roger Garaudy d’utiliser le mot mythe dans son livre intitulé » Les mythes fondateurs de l’État d’Israël « , mais les universitaires israéliens eux-mêmes utilisent ce mot. C’est ainsi que dans Le Monde en date du 13.VII.97, à la question du journaliste Monsieur Nicolas Weill qui utilise lui-même le mot mythe :
» Certains sociologues et historiens israéliens remettent aujourd’hui en question les mythes fondateurs du sionisme en n’y voyant par exemple qu’une forme de colonialisme. Qu’en pensez-vous ? Monsieur Claude Klein, juriste et historien israélien répond : » Comme toute histoire, l’histoire du sionisme est une épopée ; elle vit sur des mythes dont la remise en cause est naturellement justifiée « .Quelle différence entre Monsieur Garaudy et Messieurs Weill et Klein? Garaudy est musulman. Eux ne le sont pas.
De même on lui reproche les jugements sévères qu’il porte sur ce qu’on appelle la démocratie israélienne. Mais les israéliens eux-mêmes mettent en cause le caractère démocratique de leur état. Ainsi le professeur Kimmerling, de l’Université hébraïque de Jérusalem, écrit-il que » ce régime n’est ni juif ni démocratique (Haaretz 27.XII.96).Je le cite : » … A défaut d’avoir une constitution, Israël repose sur trois lois fondamentales dont l’une le définit comme » État juif et démocratique « . Mais l’interprétation donnée de la notion de » judaïsme » rend ces deux qualificatifs très ambigus, et a pour effet qu’une grande partie des pratiques de l’État sont totalement incompatibles avec les principes d’une démocratie de type occidental, libérale et avancée …
» … C’est ainsi que la loi du Retour exclut de ce droit les Palestiniens qui ont dû fuir leur pays pendant et après les guerres, et même ceux qui y sont restés, à qui est refusé le droit à la réunification des familles. » … Ces mesures sont complétées par les discriminations qu’imposent la Fédération sioniste mondiale et l’Agence juive, au profit des seuls citoyens juifs « . » Ses autorités judiciaires ont couvert la pire violation du droit international…
« les expulsions individuelles ou collectives et l’autorisation de la torture dans les interrogatoires des » suspects … «
Les parties civiles critiquent en France le droit du sang et la préférence nationale, pas en Israël.
On reproche à Garaudy les jugements sévères qu’il porte sur la politique israélienne à l’égard des palestiniens et des chrétiens. On y voit la preuve de son antisémitisme. Alors, antisémite, Mme Shoulamit Aloni, ancien ministre de la Culture de l’État Hébreu, quand elle parle de » dérive fasciste » ? » Nous traitons, dit-elle, les palestiniens comme des êtres de seconde classe. Nous prenons leurs terres, leurs maisons et leurs droits par la force. S’il y a une nouvelle guerre, nous aurons à nous en prendre à nous-mêmes « .
Antisémite, Amnesty International qui a protesté contre » l’institutionnalisation de la torture en Israël ? » (Le Monde 15.IV.96). Antisémite, Monsieur Boltanski, correspondant du journal Libération en Israël qui décrit le 14octobre 1997, la politique de » développement séparé « , c’est-à-dire l’apartheid pratiquée par la
municipalité de Jérusalem entre les communautés juive et arabe ?
Antisémite Monsieur Patrice Claude, tenant à signaler dans Le Monde (28.VI.97) que » le Nouveau Testament est menacé d’interdiction en Israël « . Le Saint Siège a réagi » avec vigueur » et convoqué en mai l’ambassadeur d’Israël au Vatican pour lui dire, » discrètement mais avec fermeté « , confie un prélat, sa façon de penser. Dans la presse, des porte-voix de sectes chrétiennes sionistes dénoncent » l’Iranisation » galopante du pays de leur cœur. » Est-il acceptable, demandait ces jours-ci l’un d’entre eux dans le Jérusalem Post, qu’Israël, signataire de la déclaration des droits de l’homme, puisse interdire la possession du Nouveau Testament ? « .
Tout a commencé à la fin février à la Knesset avec l’adoption, en lecture préliminaire, d’un projet de loi bannissant, sous peine d’un an de prison, » la possession, l’impression, la diffusion ou l’importation de brochures ou matériels contenant un élément de persuasion au changement de religion « . La Bible Chrétienne » tombe évidemment dans cette catégorie et plusieurs évêques ont fait part aux instances israéliennes de leur » mécontentement » à propos d’un texte » qui reflète une attitude hostile et non démocratique « .
De même est-il antisémite le journaliste de » Haaretz » qui constate – pour le condamner – que ce projet de loi désigne comme criminelle » …toute personne qui détient, sans autorisation valable, le Nouveau Testament dans sa bibliothèque, les lecteurs de Quo Vadis ? ou de certains livres de Graham Greene… « . » On n’a jamais vu en Israël des mesures législatives de ce genre même contre la littérature pornographique « , écrit ce journaliste.
Antisémite de même, le professeur Zimmermann, chef du département des études germaniques à l’université hébraïque de Jérusalem quand il définit, dit-il, » sans hésitation, un secteur entier de la population juive comme une copie des nazis allemands ? ».Antisémite, Madame Léa Rabin, quand elle déclare au Journal du Dimanche (14.IX.97) » Dans mes pires cauchemars, je n’aurais pu imaginer que nous puissions en arriver là (en Israël) ».
Antisémite, Amos Oz, l’écrivain israélien connu, quand il exprime la même angoisse face à la montée de la violence des extrémistes : » … Des fanatiques se sont présentés l’autre jour devant la porte de la prison de Beersheba, les bras chargés de fleurs, de gâteaux et autres cadeaux : ils venaient fêter l’anniversaire du meurtrier de Rabin et lui manifester leur solidarité « .
Antisémite, la fille du Général Peled qui déclarait après la mort de son enfant de 14 ans, tué dans un attentat ? (le Monde 9.IX.97) : » Ma fille est une victime de la paix. Je n’ai rien contre les terroristes, je me plains de ce gouvernement. Cette attaque démontre combien mon père avait raison : seule la formule de deux États pour deux nations séparées par une frontière et incluant la partition de Jérusalem constitue la solution. Ces attentats sont la conséquence directe de l’oppression, de l’esclavage, des humiliations et de l’état de siège imposés par Israël au peuple palestinien.
Ces attaques sont des réponses à nos actes. Je n’ai là-dessus aucun doute : ces attentats sont le fruit du désespoir et la résultante directe de ce que nous, Israéliens, avons fait jusqu’ici dans les territoires. Ce gouvernement fait tout ce qu’il peut pour détruire la paix. Je n’ai pas de critique particulière à l’encontre des terroristes du Hamas, c’est nous qui les avons fabriqués. Côté palestinien, il n’y a pas une famille qui n’ait été atteinte par la mort que sème Israël. Tout ce que nous faisons dans les territoires, c’est de produire chaque semaine quelques kamikazes potentiels de plus. Ils sont notre miroir. Bien sûr, le terrorisme auquel ils se livrent paraît plus atroce que les bombardementsperpétrés par notre armée sur les camps de réfugiés, mais au fond, les dommages que nous causons sont pires (…). » Oui, ma fille est une victime de la paix, et c’est pourquoi elle reposera aux côtés de son grand-père « .
Antisémite, Monsieur Barton Gellman qui écrit dans le Washington Post et dans Jeune Afrique(29.X.97), qu’en Israël » l’assassinat est considéré comme une méthode du gouvernement ? « .Antisémite, Monsieur Finkielkraut qui, sous le titre :Israël : la catastrophe, écrit dans Le Monde du 18.XII.96, » La solidarité avec Israël changerait de nature si elle acceptait sans coup férir, que le dernier mot revienne aux cow-boys à mitraillette et à kipa. »
On a reproché à Roger Garaudy les mots » lobby pro-israélien « , mais c’est le titre d’un article de Monsieur Serge Halimi dans Le monde Diplomatique où il écrit : » Il est difficile de surestimer l’influence politique de l’American Israeli Public Affairs Committee, ou AIPAC. Organisé dans chaque État Américain, disposant d’un budget qui a quadruplé de 1982 à 1988, assisté par ses cinquante-cinq mille adhérents (un nombre qui a quintuplé en 8 ans), il est devenu ce que le New York Times appelle » un modèle pour les autres lobbies « , le » lobby le plus efficace, une » force majeure dans la politique américaine au Proche-Orient « .
Une guerre culturelle déchire Israël aujourd’hui. Guerre entre religieux et laïcs, guerre entre partisans de la paix et partisans de la guerre. » Dans le désert qu’il traverse, Israël a besoin d’amis lucides « , écrit Thomas Friedman dans le » New York Times » (22.IV.97).Cette lucidité courageuse à l’égard d’Israël, beaucoup de juifs de la diaspora ont su la montrer à telle ou telle occasion. Ils ne tombent heureusement pas sous le coup de votre loi. La question posée par ces poursuites est claire : les héritiers de Montaigne et de Zola n’auraient-ils donc pas le droit de s’exprimer, à propos d’Israël, avec la même liberté que ses citoyens ou ses amis dans la diaspora?
Mais la loi Gayssot, me dira-t-on ?
Dans le » Jewish Chronicle » (14.II.97) qui est le principal hebdomadaire de la communauté juive en Angleterre, Monsieur Chaïm Bermant réplique fort bien aux tenants de cette loi : » … Il est presque incroyable que des juifs, qui sont parmi les peuples ceux qui doivent leur survie au fait de vivre dans une société libre, puissent être prêts à supprimer cette liberté (…). La liberté d’outrager ou de causer un tort fait partie précisément de la liberté d’expression « .Répondant à l’argument selon lequel l’Allemagne et la France se sont déjà dotées de lois de ce genre, Chaïm Bermant ajoute : » C’est vrai, mais je n’ai jamais considéré que l’Allemagne ou la France soient sur ce sujet des exemples en matière de respect des libertés « .
Monsieur le Président, Mesdames, vous ne pouvez acquiescer à ce que les parties civiles vous demandent.
Vous ne pouvez faire de votre Tribunal, le gardien d’une vérité officielle alors que l’Histoire est une perpétuelle relecture et remise en cause.
Ce procès porte atteinte au principe de liberté tel qu’il est affirmé dans l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Article. 10
Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières …
Et dans l’article 19, du pacte International relatif aux droit civils et politiques.
Article 19
1 – » Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
2 – Tout personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce… «
Ce procès viole le principe d’égalité tel que défini par l’article 14 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Article 14
» La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation « .
Ce procès viole enfin le principe de la légalité des incriminations. L’incrimination ne répond pas en effet ici, à l’exigence de précision. Stendhal admirait le style du code pour sa précision, définition précise du licite, et de l’interdit, des droits et des devoirs de chacun. Il n’avait pas relu le code revu par Monsieur Gayssot, notre nouveau Portalis. Le mot contester, sans aucune autre précision est une notion trop large dans un texte qui doit être interprété d’une manière restrictive. Quand un terrain est miné, comme vous l’avez dit, Monsieur le Président, quand les mots sont plombés, comme l’écrit un chroniqueur (Figaro du 10.I.98), quand les sous-entendus accusent Roger Garaudy, comme l’écrit un autre (Le Monde – 11.I.98), nous sommes dans le domaine de l’arbitraire absolu.
Vous ne pouvez pas acquiescer.
Les parties civiles ont peu parlé de Zola en ces jours anniversaires. La raison en est évidente. Le combat de Zola contre l’injustice, c’est nous qui le menons aujourd’hui. Dans la guerre culturelle qui déchire Israël, les parties civiles vous demandent de prendre le parti des fondamentalistes, vous ne pouvez acquiescer.
Condamner le doute, c’est condamner Garaudy , mais c’est aussi condamner Descartes : » … je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensais qu’il fallait que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il ne me resterait point après cela quelque chose en ma créance qui fût entièrement indubitable » DESCARTES, Disc. méthode, IVe part.
C’est aussi condamner Claude Bernard :
» Le grand principe expérimental est donc le doute, le doute philosophique qui laisse à l’esprit sa liberté et son initiative, et d’où dérivent les qualités les plus précieuses pour un investigateur en physiologie et en médecine. Il ne faut croire à nos observations, à nos théories, que sous bénéfice d’inventaire expérimental « .Cl. BERNARD, Introd. à l’Et. méd. expér., I, II p. 76.
Le doute décrit Balzac, n’est ni une impureté, ni un blasphème, ni un crime (Séraphita).L’appétit de savoir naît du doute lui répond Gide en écho (Nouvelles Nourritures).
Garaudy ne nie rien du crime. Il ne le conteste pas. Il s’interroge seulement comme beaucoup d’autres sur son ampleur. Il s’interroge comme beaucoup d’autres sur l’arme qui n’est pas unique du crime.
Une interprétation restrictive conformément aux principes généraux du droit de l’article 24 bis, doit vous permettre de prononcer la relaxe de cet homme que l’Abbé Pierre honore d’une amitié de 40 ans, en qui Yéhudi Ménuhin reconnaît son père le rabbin Moshe Menuhin, mais personnifié dans le cadre de la foi musulmane.
À moins que vous n’acceptiez notre exception préjudicielle et soumettiez à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, le texte de la loi Gayssot pour savoir si elle est conforme à la Déclaration Européenne des Droits de l’Homme.
Monsieur GARAUDY vous réclame simplement le droit de parler d’Israël avec autant de liberté qu’un juif.
Ce qu’on vous demande aujourd’hui, c’est, en vertu d’une loi scélérate, de monter la garde autour d’un mensonge, à savoir l’exclusivité allemande du crime contre l’humanité, mensonge d’autant plus sacrilège que le monde, aujourd’hui sue le crime par tous ses pores.
Ce qu’on vous demande, c’est de mener contre la liberté de l’esprit un procès en sorcellerie qui fait de la France la risée de ceux-là même que la loi prétend protéger.
Mais, en prenant la loi telle qu’elle est, en l’interprétant selon des principes, vous avez le droit et le devoir de dire NON, pour l’honneur de la France et de la République. »
Sources : www.rogergaraudy.blogspot.com et www.lemonde.fr