MAÎTRE ERIC DUPOND-MORETTI

(Auteur de la phrase :  » L’avocat n’est pas là pour faire de la morale mais pour faire du droit »)

Éric Dupond-Moretti né le 20 avril 1961 à Maubeuge, est un redoutable avocat pénaliste français surnommé « Acquittator ».

Il a gagné plus d’une centaine de procès d’assises en trente ans.

Orphelin de père (ouvrier métallurgiste) à l’âge de quatre ans, c’est sa mère (femme de ménage), d’origine italienne et née Moretti, qui élèvera seule le petit Éric Dupond-Moretti. Pour lui rendre hommage, il prendra, dès sa première affaire, le patronyme de Dupond-Moretti.

Le jeune Éric se montre si indiscipliné que sa mère le confiera dès la classe de sixième aux curés de l’institution Saint-Pierre à Fourmies (Nord). Il deviendra pour un temps un premier de classe très brillant. Mais, la rébellion reprenant le dessus, l’élève Dupond-Moretti stagnera au rang des élèves moyens. C’est dans un autre lycée catholique, Notre-Dame-de-Valenciennes, qu’il décrochera son bac, mention assez bien.

À 15 ans, Éric savait déjà qu’il endosserait la robe d’avocat. L’affaire Christian Ranucci, l’homme « du pull-over rouge », fera naître sa vocation. La mort de son grand-père maternel dans des conditions suspectes en 1957 sera également une sorte de déclic. La plainte de la famille Moretti restera sans suite… « Mon grand-père n’était qu’un petit immigré rital, pas même un binational », dira plus tard Me Dupond-Moretti.

Après avoir été employé d’usine, puis fossoyeur, il sera, pour payer ses études de droit à Lille-2, pion dans un collège, maçon ou serveur de restaurant. Ses résultats s’avèrent médiocres puisqu’il est reçu en fin de classement au barreau de Lille alors qu’il est le lauréat ex aequo du concours d’éloquence : « Une première injustice. » Aujourd’hui, il en rigole. À l’époque, il disait déjà qu’il serait « dans le top 10 des plus grands pénalistes ».

Les stages dans les cabinets d’avocats étant à l’époque inexistants, Éric Dupond-Moretti passait des heures sur les bancs de la cour d’assises à écouter les ténors du barreau. Le droit pénal l’intéresse. Il prêtera serment à Douai le 11 décembre 1984.

Le jeune diplômé ne parvient pas à se faire engager dans un cabinet réputé de Lille. Ses premiers faits d’armes le mèneront aux prud’hommes, puis dans les commissions d’office avec pour mentors Jean Descamps, le Lillois, et Alain Furbury, le Toulousain, dont il porte aujourd’hui la robe. Il obtient son premier acquittement le 27 mars 1987.

À Lille, Toulouse, Marseille, il est appelé sur toutes les plus grandes affaires, celles qu’il rendra médiatiques par ses plaidoiries « inspirées par un surmoi douloureux, un manque, une rage ». Il refuse peu de dossiers. « J’aurais défendu Klaus Barbie, et même Hitler s’il me l’avait demandé », a déclaré « la bête noire », ainsi surnommée par l’un de ses fils âgé alors de 13 ans.

En 1993, EDM est poursuivi, à la suite de la dénonciation d’un dealer. Interpellé dans sa voiture à Lille, il sera mis en garde à vue par le juge Thorel. Sa berline aurait transporté de la cocaïne. Sa maison est perquisitionnée. Un policier assurera, sans préciser l’identité de l’auteur, que « quelqu’un avait saupoudré de la drogue sur le tapis ». L’affaire s’est dégonflée, mais a failli mettre un point final à sa carrière. Traumatisé (aujourd’hui encore), Dupond-Moretti a crucifié le juge Thorel dans un de ses livres.

Une carrure de rugbyman et un énorme palmarès dans les prétoires. Eric Dupont-Moretti, 55 ans le mois prochain, est un ténor du barreau, sans doute le plus célèbre des avocats pénalistes français. Jean Castela, « commanditaire présumé » de l’assassinat du préfet Erignac, acquitté, c’est lui. Jacques Viguier, le prof de droit toulousain accusé du meurtre de sa femme, acquitté, lui aussi. Roselyne Godard, la « boulangère » de l’affaire d’Outreau, acquittée, c’est toujours lui. C’est d’ailleurs avec cette dernière affaire que l’avocat né à Maubeuge et inscrit au barreau de Lille a gagné une réputation nationale.

«BETE NOIRE»

Les familiers des palais de justice soulignent sa malice, sa faculté à trouver «le petit truc dans un dossier qui peut tout faire tomber». Sa présence physique peut impressionner les témoins, mais aussi les magistrats. Plusieurs portraits de lui reprennent la même expression : «Il mord et ne lâche plus». Le titre de son récit-témoignage de 2012 en dit long sur sa perception par ses ennemis : «Bête noire»*. Et lui-même résume sa philosophie professionnelle avec cette formule : «Faire acquitter un innocent, c’est la moindre des choses. Sortir un coupable, c’est plus intéressant, ça prouve que les règles sont respectées». La défense des libertés par le code, tout le code.

Au début des années 1990, il épouse Hélène, jurée à l’un de ses procès. Il l’avait trouvée très belle et « avait plaidé pour elle ». Ils auront quatre enfants.

Quand il ne plaide pas, maître Dupond-Moretti (54 ans) chasse avec ses chiens et ses faucons. Avec ses copains paysans, il parle du rythme de nature, des « choses qui lui lavent la tête ». Avec ses amis – il en a peu -, il trinque. Il aime le bon vin et « la gamelle ».

INTERVIEWS

J’étais très indiscipliné, et ma mère a eu l’idée de m’envoyer, après la sixième, en internat chez les curés, à l’Institution Saint-Pierre [à Fourmies (59), près de la frontière belge, NDLR]. J’ai passé ma première année à pleurer tous les soirs. Et je me suis totalement investi dans le travail jusqu’à devenir premier de ma classe. J’avais battu un record, m’avait indiqué un enseignant, en obtenant, pendant un mois entier, une moyenne générale de 19,07 sur 20. Mais les choses se sont dégradées à partir de la quatrième. J’ai retrouvé mon goût immodéré pour l’indiscipline, et d’élève très brillant je suis devenu tout à fait moyen. Un peu fainéant, même, je faisais le strict minimum !
Vous avez toujours difficilement supporté d’obéir ?

J’avais une très forte rétivité à la discipline parce qu’elle était très sévère. Alors je faisais le mur. C’est mon professeur d’histoire qui m’a sauvé de l’exclusion de l’établissement. Il a été mon avocat à plusieurs conseils de discipline. C’était aussi une forme d’engagement, plutôt anticlérical ! Une anecdote me revient. Lorsque j’étais en seconde, le prêtre qui dirigeait l’institution avait réuni tous les élèves pour recevoir l’archevêque. Nous étions à la veille d’importantes élections nationales. L’archevêque nous cite, moqueur, une phrase de Georges Marchais [alors secrétaire général du Parti communiste] : ce dernier, à la question « Qu’y a-t-il après la mort ? » avait répondu : « Je ne sais pas, je ne suis pas encore mort ». Cela avait fait rire toute l’assemblée. Je ne goûtais pas la plaisanterie. Lorsqu’il a été possible de poser des questions, je suis intervenu en expliquant que j’étais d’accord avec Georges Marchais, et j’ai demandé si l’archevêque était venu faire sa campagne électorale… J’avais à peine fini ma phrase qu’on m’avait empoigné par le col et jeté dehors.
Vous quittez finalement le pensionnat juste avant le bac…

En fin de compte, ils ont décidé de se séparer de moi à la fin de la première ! J’ai alors intégré un autre lycée de curés, à Valenciennes [59], pour suivre ma terminale. J’ai eu mon bac avec mention assez bien, en bachotant beaucoup à la fin de l’année, faute d’avoir vraiment travaillé avant. Ce qui m’a mis d’ailleurs un très gros coup de stress. Mieux vaut travailler régulièrement !
Quelles matières vous plaisaient le plus au lycée ?

L’histoire et le français. J’ai eu des bonnes notes au bac de français. En seconde, on m’a pourtant dirigé, un peu contre mon gré, vers la série C [maths-physique, l’équivalent du bac S actuel], alors que je me sentais plutôt littéraire.
À quel moment le métier d’avocat s’est imposé à vous ?

À 15 ans, quand j’ai entendu que Christian Ranucci avait été guillotiné, en 1976. J’ai été profondément choqué par son exécution. À partir de ce jour-là, il était écrit que je deviendrais avocat. Cela vient peut-être aussi de ma propre histoire : mon grand-père maternel, immigré italien, a été retrouvé mort sur une voie ferrée, assassiné. Ma famille a voulu porter plainte, mais tout le monde s’en est moqué… J’ai, par ailleurs, eu beaucoup de chance d’avoir cette vocation, car ma famille n’est pas issue du monde judiciaire.

Comment imaginiez-vous la profession quand vous étiez adolescent ?

J’avais une image assez personnelle et romantique du métier. Avec l’envie de lutter contre l’injustice, d’être le seul soutien d’un homme que tout accable. Et l’idée très forte de liberté.
Et, dans la réalité, vos rêves de lycéen n’ont pas été déçus ?

Non, ils correspondent, je crois, à ce qu’est vraiment le métier. Avec une différence tout de même. Quand on est jeune, on pense que la justice sera au rendez-vous et que les règles sont bien faites. Elles le sont, mais quand on voit comment elles peuvent être appliquées, il y a souvent des distorsions. De ce point de vue, on perd assez vite ses illusions.
Vous entamez vos études de droit : est-ce la fin de l’indiscipline ?

J’ai fait mon droit à Lille 2, sans jamais redoubler. Je voulais surtout que cela se termine et commencer mon vrai métier. J’avais souvent fait des petits boulots au lycée, en été dans des usines ou comme fossoyeur, et, une fois à l’université, je suis devenu pion au collège, en semaine. Le week-end, je travaillais dans la restauration. J’avais juste hâte de devenir avocat à plein-temps.

L’université, ça vous a plu ?

Pour moi, c’était un vrai bonheur parce que j’ai découvert la liberté. J’en ai un peu abusé, mais je travaillais tout de même assez régulièrement, principalement aux moments clés, de manière intense. C’est d’ailleurs mon seul conseil pour réussir les études de droit : il faut travailler !

J’ai fait mon droit à Lille 2, sans jamais redoubler. Je voulais surtout que cela se termine et commencer mon vrai métier.

Le droit pénal vous passionne d’emblée…

Oui, toutes les matières autour du droit pénal, ou même du droit privé en général. Un professeur de sciences politiques m’a aussi marqué profondément : José Savoye, dont le cours était passionnant. Il deviendra par la suite doyen [et président] de l’université, et sera aussi l’un de mes premiers patrons. J’aimais le talent de cet homme, un tribun, drôle, cultivé, qui savait plein d’anecdotes.

À quel moment découvrez-vous le métier de près ?

Il n’y avait pas encore de stages dans les formations. Je suis donc allé m’asseoir sur les bancs de la cour d’assises pour écouter les grands avocats. Ce qui a encore renforcé ma détermination.

Vous entrez ensuite à l’école du barreau…

Après la maîtrise [l’équivalent actuel du M1], j’ai suivi une année de formation à l’école du barreau [1983-1984], qui venait tout juste d’ouvrir. À quelques mois près, j’aurais pu y échapper ! Car cela a été pour moi un vrai supplice : je voulais être avocat, pénaliste, mais je devais suivre des matières qui ne me servaient à rien. Je me rappelle notamment d’un cours sur les loyers et la loi de 1948, que j’ai séché, pour aller aux assises. Ce qui m’a été bien reproché. Je crois qu’on m’a fait payer mon manque d’assiduité : je suis entré premier dans l’école, j’en suis sorti dernier !

Le diplôme en poche, comment décrochez-vous votre premier job ?

Au départ, je ne trouve pas de patron ! Je remporte un concours d’éloquence – le concours de la Conférence du stage –, qui me donne le droit de prononcer un discours le jour de la rentrée judiciaire. Une fois celui-ci prononcé, un avocat vient me voir et me dit qu’il souhaite m’embaucher. Je trouve ainsi mon premier cabinet. Mais l’avocat souhaitait que je travaille en droit du travail et non en droit pénal, comme je le voulais. Nous avons trouvé un compromis : j’effectuais un mi-temps en droit du travail et un mi-temps en droit pénal.
Quelles sont vos premières impressions ?

Je m’y suis tout de suite plu. J’alternais entre le droit du travail, du côté des employeurs, le droit administratif, pour les collectivités publiques, et le droit pénal. Ce qui donnait alors un mélange plutôt inédit quand je recevais mes clients : de petits délinquants se retrouvaient à côté de grands patrons et chefs d’entreprise… Les avocats du cabinet m’ont toujours laissé « carte blanche », et je leur en suis très reconnaissant.

Encourageriez-vous un jeune qui veut exercer le métier d’avocat aujourd’hui ?

Je ne découragerais sûrement pas quelqu’un qui veut l’exercer, mais il faut savoir qu’il est exigeant et difficile. On ne compte pas ses heures. Et il est très dur de le concilier avec une vie personnelle.

Ce n’est pas une terre promise, il faut se battre. Comme pour le droit, la recette est : travail, travail, travail !
Auriez-vous pu faire un autre métier ?

Non. D’ailleurs, c’est l’un des indices pour savoir si l’on est fait pour être avocat. Ceux qui pensent qu’ils pourraient faire un autre métier n’ont pas leur place dans cette profession. Mieux vaut donc faire autre chose, le plus tôt possible.

Vous vous retrouvez plutôt du côté des accusés et non des victimes. C’est un choix ?

Parmi les accusés, que certains présentent comme les « méchants », il y a aussi des innocents ! La frontière est ténue entre l’homme honnête et l’homme malhonnête, le crime est à la portée de tous. Je suis en effet plus enclin à être avocat de la défense, une sorte de procureur de droit privé. Il m’arrive tout de même parfois d’être du côté de la partie civile, la souffrance des victimes a toute son importance. Mais je trouve plus difficile et gratifiant d’être du côté de l’accusé.

Avez-vous un modèle ?

Alain Furbury, avocat à Toulouse [31], mon mentor, qui a eu une infinie patience et gentillesse avec moi lorsque nous avons plaidé ensemble.

Si vous pouviez changer quelque chose dans votre carrière, ce serait quoi ?

Il y a plein de dossiers que j’aimerais plaider de nouveau. Autrement et mieux.
L’insolence vous caractérise, c’est indispensable pour être avocat ?

Bien sûr ! Il faut être insolent ! Je me définis souvent comme un anarchiste épicurien. Dans le système judiciaire, très pesant, une bonne dose d’insolence est très utile !

Vous avez aussi des qualités d’orateur, c’est incontournable ?

Je me rappelle la réflexion d’un avocat du Sud : « Ce n’est que du vent, mais ça souffle fort. » C’est donc en effet une qualité essentielle, mais ce n’est pas

suffisant. Et je n’oublie pas que pendant dix ans – systématiquement ! – j’ai vomi avant de prendre la parole en plaidoirie !

Quelle est la plaidoirie dont vous êtes le plus fier ? Et celle que vous estimez ratée ?

Des ratées, il y en a plein. J’ai eu beaucoup plus de mauvais résultats que de bons. Dans ce métier, il y a des jours où vous êtes moins performant. Car vous êtes fatigués, car le dossier est mauvais, vous inspire moins. Quand le client est acquitté, c’est qu’il n’y a pas de preuve contre lui. Une belle plaidoirie avec un mauvais résultat, c’est une catastrophe pour un avocat. On se maudit toujours de ne pas avoir convaincu. Celles dont je suis le plus fier sont celles qui m’ont permis d’obtenir le résultat que j’espérais. Il faut, quand vous arrêtez de plaider, que votre chemise soit trempée. Il faut tout apporter à celui qui vous a confié sa liberté.

Imaginons, vous êtes nommé ministre de la Justice. Quelle serait votre première mesure ?

Supprimer l’école de la magistrature (ENM). C’est ‘’l’encastement’’ d’un corps qui a besoin de tout, sauf de ça. Tant qu’à faire, j’en ferais une autre : séparer le siège du parquet. Imaginons un triangle, je mettrais le juge au sommet, le procureur et l’avocat à la même hauteur. Il y a une trop grande proximité entre le siège et le parquet. Ils portent la même robe, sortent de la même école, ont la même grille indiciaire et passent de l’un à l’autre. C’est le corps le plus endogame de France. L’ENM génère l’entre-soi. Je suis pour un système où on serait avocat une dizaine d’années avant de devenir magistrat.

Nous, avocats, nous sommes auxiliaires de justice. Dans le sport, ce sont ceux qui coupent les citrons… Le procureur et le président, dans une cour d’assises, sont à la même hauteur. L’avocat, lui, est tout en bas. Pourquoi ? Il est moins important ? Ce doit être une erreur de menuiserie… Le procureur et le président ont le même uniforme. Il n’y a pas un seul sport où l’arbitre porte le même maillot qu’un des joueurs…

Pourriez-vous défendre l’assassin présumé d’un membre de votre famille ?

Bien sûr que non. Comment voulez-vous que je mette mon énergie pour quelqu’un qui est accusé d’avoir tué mon fils ?

Je n’aurais pas le recul suffisant. L’autre chose que je m’interdirais de faire, c’est plaider pour quelqu’un qui me dicterait un système de défense.

Par exemple, je peux défendre un négationniste mais je ne le ferais pas s’il me demande de dire que les chambres à gaz n’ont pas existé.

« UN JUGE QUI FAIT MAL SON BOULOT, ÇA EXISTE »

L’acquittement se joue-t-il dans le prétoire ou dans l’opinion publique, à travers les médias ?

Dans les prétoires. Et cela se fait lors des débats, pas uniquement lors de la plaidoirie. L’intime conviction se forge petit à petit, mot après mot, virgule après virgule. Dans certains dossiers, il est inutile de communiquer, cela donne du grain à moudre à vos adversaires.

N’êtes-vous pas frustré qu’il ne reste rien de vos plaidoiries une fois celles-ci terminées ? En d’autres mots, les procès ne devraient-ils pas être filmés ?

Ce qui est beau, c’est qu’il ne reste rien d’une plaidoirie. Une plaidoirie, ce sont des mots à un certain moment pour un accusé. Je suis pour que les procès soient filmés. D’ailleurs, une loi est passée mais, en France, la justice n’a très souvent pas le matériel. Quand c’est filmé, les mauvais présidents de cour d’assises sont plus attentifs. C’est comme pour les gardes à vue filmées. Pour les bons flics, cela n’a rien changé.

On sent que vous attachez une très grande importance à la langue. Quelle est votre technique d’écriture pour vos plaidoiries ?

Je rédige assez peu, j’écris surtout l’introduction. J’ai besoin de cette assurance. Les premières lignes sont écrites ou apprises. Cela permet de poser la voix, d’aller chercher les jurés. Les mots sont importants pour moi, oui. Camus disait : ‘’ Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ‘’. Je trouve totalement anormal que dans notre pays les gens sortent de sixième en ne sachant ni lire ni écrire. La langue a pour intérêt de différer le conflit. Quand on ne parle plus la même langue, cela l’annonce, le conflit.

Vous avez dit : « Cette vie-là, je l’ai choisie, je l’aime et elle me tue à petit feu ». Qu’est-ce qui vous ferait arrêter demain ?

(Silence). Un AVC… Ou alors l’idée que ce métier ne me plaît plus. Ce métier, on ne peut pas le faire à moitié, par défaut.

Y a-t-il une différence entre la gauche et la droite au pouvoir pour un avocat ?

Non, pas vraiment il n’y a jamais eu autant de détenus qu’aujourd’hui.
Quoique… Sous Sarkozy, c’était un crime = une loi.

Une loi circonstancielle. Il y a une différence de sensibilité, regardez la polémique autour du Garde des Sceaux. On lui reproche beaucoup de choses. Elle ose dire que la prison n’est pas une solution. Et je suis plutôt de ce côté-là…

Qu’est ce qu’un mauvais juge ?

Un juge qui fait mal son boulot, et ça existe. L’un des problèmes, c’est qu’il n’existe pas de responsabilité des juges. Le corps judiciaire a du mal à se sanctionner. C’est la troisième chose que je mettrais en place si j’étais ministre. Après Outreau, on n’en a pris qu’un, Burgaud (NDLR : le juge d’instruction), les autres sont passés au travers des gouttes. Certains ont même été promus… Tous les autres professionnels de ce pays engagent leur responsabilité. Le boulanger, s’il fait du mauvais pain, il n’a plus de clients.

Le juge, rien… Allez faire un tour sur le site du CSM (NDLR : Conseil supérieur de la magistrature) et regardez les sanctions, vous serez édifié…

Faut-il développer le service civique ?

Je pense que oui. Moi, j’ai tout fait pour échapper à l’armée. J’étais boursier, j’étais en fin d’études et je perdais une année. Si ça sert à retarder les études ou à désocialiser quelqu’un, c’est totalement inutile. Mais réunir des jeunes gens pour leur rappeler les valeurs de la République, cela va dans le bon sens. Les communautarismes n’ont rien à faire dans notre société.

« LE DEUIL A L’AUDIENCE EST UNE ESCROQUERIE »

Êtes-vous pour étendre le fichier ADN ?

C’est sûr que plus on restreint la liberté, plus on est efficaces. Mais nous n’avons déjà plus beaucoup de libertés, je trouve. Est-ce que la souffrance des victimes justifie tout ? La législation envers elles a beaucoup évolué. Je pense qu’on est allés très loin. Le procès pénal n’est pas le procès des victimes. La justice, c’est la confiscation du droit à la vengeance. Une victime, qui est dans la peine, dans le chagrin, ne raisonne plus. La réparation morale d’un chagrin n’est pas à l’aune d’une condamnation. Le deuil à l’audience est une escroquerie, l’apaisement d’une victime qui passerait par une sanction très lourde, voire, à une époque, à le peine de mort, est une hérésie.

Une des solutions pour la délinquance des jeunes n’est-elle pas de leur faire faire des travaux d’intérêt général, de leur faire visiter des prisons ?

Tout ce qui permet d’éviter la prison est une bonne solution. Les gamins, quand ils sortent, sont contaminés. Victor Hugo a écrit qu’il valait mieux construire une école qu’une prison. Les peines de prison pour les gamins doivent être fulgurantes et très courtes. Il n’y a jamais eu autant de peines lourdes et autant de détenus.

Mais il y a une précarité monstrueuse dans nos prisons. Le but est de punir, d’écarter un type dangereux, de réinsérer mais il y a des tas de gens qui sont en taule pour rien.

Pour des délits routiers, des non-paiements de pension alimentaire. Le peuple est nourri par les politiques qui ont investi le champ du sécuritaire.

On nous répète : ‘’ Plus ça cogne, moins il y a de délinquance ‘’. C’est faux.

Sources : www.lequipe.fr ; www.lepoint.fr ; www.letudiant.fr et www.estrepublicain.fr