M. LANDRY KUYO – JURISTE – CONSULTANT EN DEVELOPPEMENT

LES MAUX QUI MINENT LA POLICE, LA GENDARMERIE, LES MAGISTRATS

Juriste-Consultant en développement, Me Landry Kuyo a bien voulu répondre à certaines de nos préoccupations relatives aux maux qui minent la Police, la Gendarmerie, les Magistrats dans la seconde partie de notre enquête liée à l’abus de confiance, la corruption dans les corps de métiers sus-cités.

Pour quel délit un magistrat, gendarme, policier ou Frci doivent-ils faire arrêter et enfermer un individu ?

Il est important de pouvoir faire la précision. Pour ce qui est du domaine de compétence de toutes les personnes intervenant dans le domaine judiciaire final, il faudrait que ces infractions se déclinent en crimes ou la contravention est prévue par le code pénal. Il y a donc pas mal d’actes qui sont commis, mais qui ne sont pas d’ordre pénal.

Tout ce qui est d’ordre pénal peut être commis par un Officier de la police judiciaire qui procède à l’arrestation lorsqu’il y a suffisamment de preuves qui sont réunies. Lesquelles preuves constituant un dossier sont soumises au Procureur décidant de poursuivre ou ne pas poursuivre pour un procès.

C’est au cours de ce procès que l’individu bénéficiant de la présomption d’innocence sera convaincu de culpabilité ou non. Sous nos cieux, plusieurs personnes se plaignent de la manière dont elles sont arrêtées et déférées. Ces personnes accusent les autorités du fait qu’aucune enquête n’est faite pour définir que le mis en cause ait commis l’acte…

Effectivement, on a un réel problème. A ma connaissance, est-ce que les autorités policières mènent des investigations sérieuses concernant de véritables enquêtes, si vous me le permettez, comme ce qui est vu dans les films ? Je ne le crois pas un seul instant.

Tout simplement, parce que la culture voudrait qu’il y ait un individu qui se plaigne de quelque chose. S’adresse au commissariat de police ou alors à la brigade de gendarmerie pour que sa simple parole fasse voix et que l’on procède ainsi à l’arrestation du mis en cause, lequel aura à se défendre avec les maigres moyens, puisque déjà saisi, il est en situation non pas de présomption, mais de présomption de culpabilité.

Et il n’y a pas de véritables investigations qui sont menées.

Des investigations qui voudraient que des éléments matériels soient réunis. Très souvent, il y a une insuffisance d’éléments matériels qui voudrait qu’on pousse davantage l’enquête, par exemple on parlerait de police scientifique.

On n’a pas suffisamment les moyens pour pousser l’investigation. Ce qui fait que de manière vraisemblable, certaines personnes sont considérées comme suffisamment peu crédibles et donc, ayant commis plus ou moins cette infraction pour qu’elles soient mises en détention préventive, par la suite pour connaître leur juge. C’est une situation déplorable, parce que beaucoup de personnes innocentes, étant là au mauvais moment, ou alors à la mauvaise heure, ou alors pour question d’interprétation, se voient traquées du coup par la loi.

C’est quelque chose qu’il faut rectifier le plus rapidement possible. Mais, il y a une chose qui est importante : c’est qu’il y a des affaires qui sont d’ordres purement civiles, certainement les affaires relatives aux questions pécuniaires. Vous allez emprunter de l’argent à quelqu’un, lequel vous donne un certain délai et pour des questions d’ordre alimentaire voudrait que son argent lui soit restitué avant le terme. Cette personne-là va profiter de quelques connaissances qu’elle a au sein d’un commissariat de police pour exercer une sorte de pression. Alors, on va assister à ce qu’on appelle « la contrainte par corps ».

La contrainte par corps c’est quoi ?

C’est la possibilité qui était réservée aux autorités, au pouvoir public de pouvoir détenir une personne ou de la priver de sa liberté afin qu’elle puisse restituer l’argent qu’elle détenait. La contrainte par corps, en matière civile, comme on l’appelle…, en matière fiscale, elle demeure. Nous nous rendons compte que la pratique continue d’être menée, quand bien même l’affaire n’est pas pénale, vous vous rendez compte que certains officiers de police judiciaire se reconnaissent compétents pour pouvoir traiter ce genre d’affaires, alors que ce n’est pas le cas.

Nous savons simplement que lorsque nous avons une dette d’argent qui est au-delà d’un million Francs Cfa, dans ce cas, oui la police judiciaire est compétente, mais en deçà, il n’en est réellement pas question.

Si ce n’est pas la police qui doit s’en occuper, et à quel corps revient cette affaire civile?

C’est une affaire civile, donc c’est le tribunal civil. Il suffit simplement, lorsqu’on se sent lésé, parce qu’on a en face de soit un mauvais payeur de pouvoir introduire une demande en justice.

Elle se présente de trois manières : soit il y a une assignation, soit il y a une comparution, soit il y a une requête.

Lorsqu’il y a une requête, on peut préférer un référé, lorsqu’on a suffisamment de preuves à produire devant le juge qui lui permettrait ainsi de délivrer une ordonnance de payer. Vous savez, il y a tellement de procédures.

On le dit souvent dans les rues et dans nos quartiers que la voie civile, donc celle qui nous emmène devant le juge est un peu trop longue. On emprunte des raccourcis, lesquels raccourcis sont lésionnaires et aliénants des droits des citoyens.

Car, si vous arrivez à le faire pour récupérer votre argent, sachez que demain, quelqu’un d’autre le fera contre vous.

Peut-on affirmer que l’Ivoirien connaît ses droits ?

L’Ivoirien est un ignorant juridique. Ça c’est une évidence !

J’ai pour preuve la pratique d’avoir eu la chance de passer régulièrement sur les antennes de la télévision. Très souvent, on évite à proposer certains thèmes, parce qu’on se dit : « c’est évident, c’est un BA-BA, tout le monde le connaît », mais lorsque vous développez vous vous rendez compte qu’il y a tellement de messages extraordinaires qui vous parviennent et les gens qui vous remercient parce qu’elles n’ont pas accès au droit.

La difficulté vient de quoi ?

La difficulté vient du fait que dans les dix premières années de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, ceux qui ont appris le droit, ceux qui en sont devenus des professionnels-magistrats, ont proposé cette matière comme étant très hermétique.

Le droit a été présenté comme une chose venant de Dieu, inaccessible au commun des mortels.

Aujourd’hui, notre travail consiste à le ramener auprès des gens. Donc, à le rendre beaucoup plus terrestre, beaucoup plus intelligible, parce que le droit, il est fait pour les gens et non, eux. Et donc, quand il ne le maîtrise pas, lorsqu’il ne s’y connaît pas, il est contre les gens.

Quel commentaire faites-vous de la déclaration de l’ex-Pdg de Elf, Loik Le Floch-Prigent qui, arrêté en septembre 2012, en Côte d’Ivoire et transféré au Togo où il a été libéré en février 2013, pour des raisons de santé, dénonce la manipulation des pouvoirs…

Déjà même, dans l’organisation culturelle des pouvoirs dans leur répartition, le pouvoir judiciaire est influencé institutionnellement par le pouvoir exécutif. Parce que le Procureur de la République est nommé par le Président de la République, et agit sur ses instructions.

Quand c’est le cas, lorsque l’exécutif comme le Président de la République, dans nos pays africains, exerce un pouvoir, très fort, très concentré, très influent, c’est un pouvoir présidentialiste.

Lorsque celui-ci, tout puissant, agit et donne l’ordre au Procureur de la République, qu’est-ce que celui-ci peut bien faire ?

Et très souvent, certaines affaires prennent des tournures très politiques, de sorte que du point de vue juridique, le traitement qui est très facile à faire, la pesanteur politique aidant, le Procureur de la République a les mains liées.

Quand c’est comme ça, c’est le justiciable qui en souffre énormément. Parce que la raison d’Etat qui est d’ordre politique est au-delà de la raison humaine, la raison sociale.

Je comprends bien !

Je ne connais pas exactement le dossier, mais je comprends bien, parce qu’il n’est pas le seul Homme d’affaire dans ce cas à avoir souffert de pareille situation. La Côte d’Ivoire en a connu des dizaines et des centaines. Ce qui a miné l’environnement des affaires.

Je crois, pour ma part, qu’il faudrait travailler à un système républicain dans lequel il y a une réelle séparation des pouvoirs, où il y a une réelle indépendance du pouvoir judiciaire.

Qui doit donner cette indépendance du pouvoir judiciaire ?

Cette indépendance du pouvoir judiciaire, elle n’est pas donnée, elle s’acquiert.

Elle s’acquiert par des batailles législatives, mais aussi par une responsabilité citoyenne. Lesquels citoyens qui se sont levés soit, par une question d’insécurité connue maintenant, ou de manière préventive, auront donc à veiller à ce que cette indépendance de la justice soit réelle.

C’est une sorte de contrôle citoyen des individus sur le mécanisme et le fonctionnement de l’ordre institutionnel. Il faudrait qu’on soit capable de pouvoir dire, capable de faire des enquêtes, capable de faire des rapports, capable de pouvoir interroger, capable de pouvoir s’interroger soi-même, capable de pouvoir dénoncer sans pour autant le faire avec grossièreté, avec violence.

On peut le faire avec des mots justes, des démonstrations scientifiques, il n’y a pas de raison de craindre pour sa vie ou pour sa liberté, parce que dans tous les cas, aucune société par rapport à son système n’est parfaite. On est considérablement dans une sorte d’aberration pour le mieux être et pour le meilleur.

La Côte d’Ivoire a un système judiciaire, ou un système républicain qui a besoin de se parfaire continuellement, pas forcément au niveau organique, mais au niveau de l’animation. Donc, au niveau des individus qui ont la responsabilité de faire fonctionner ces organes-là, lesquels ont besoin eux-mêmes de s’affranchir, parce qu’ils s’auto-condamnent, ils s’automutilent, ils s’auto-adjoignent, à ce pouvoir qui, semble-t-il, est supérieur, alors qu’ils peuvent agir de manière autonome, indépendamment.

Ça, c’est un autre point de travail à faire, et puis, il y a aussi que ceux qui ont un pouvoir supérieur devraient faire montre d’un peu de lucidité et se rendre compte que même si le pouvoir, comme le disait Montesquieu : « le pouvoir rend fou et le pouvoir absolu rend absolument fou », il faudrait agir dans l’intérêt commun, et agir dans l’intérêt commun, c’est se limiter à ceux à quoi le droit nous donne le droit de faire.

Que doit faire le magistrat ?

A l’Ena, la question de justice doit être la matière fondamentale, la plus grande des matières.

Parce que si techniquement nos cadres sont bien formés, du point de vue des valeurs, il y a une véritable carence.

Le problème, c’est la question des valeurs. Ce n’est pas la question des compétences.

C’est pourquoi ? on se trouve dans cette situation pour faire cette interview-là.

Les gens n’assimilent pas les valeurs, ils ne les manifestent pas.

Source : www.news.abidjan.net

Publié le 9 août 2013