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M. JEAN ZOA ZOA – CONSULTANT JURIDIQUE, FISCAL ET DOUANIER EXPERT MARITIME CERTIFIÉ

LA PROTECTION DU CREANCIER DANS LE CREDIT MARITIME :
MECANISMES ET PORTEE

 

Les opérations de transport constituent aujourd’hui l’une des activités les plus productives du commerce international, au regard des flux de marchandises qu’elles permettent d’acheminer. Le mode maritime se positionne comme la pierre angulaire des échanges mondiaux du seul fait que 90% des échanges se fait par mer.

Cependant, force est de constater que le transport maritime est très couteux car il nécessite la mobilisation des ressources financières gigantesques.

Par conséquent, il est presque impossible sinon difficile pour un armateur soucieux de maintenir et promouvoir sa flotte dans un secteur concurrentiel, d’autofinancer ses expéditions maritimes.

En cela, le recours à l’emprunt semble être la solution de principe telle que l’illustre le fonctionnement de grands armements internationaux.

Seulement, l’emprunt fait naitre une situation d’insécurité qui a pour corollaire, la protection du créancier. Ceci est d’autant plus pertinent que l’homme, être de bien matériels pour reprendre Adam Smith, se doit de protéger son patrimoine.

Il n’est donc pas étonnant de voir que le droit d’inspiration civiliste a aménagé des mesures de sauvegarde à cet effet. Ainsi, pourrait-on constater par le biais de l’article 2093 que les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ou encore que le créancier exerce sur les biens de son débiteur un droit de rétention. Ainsi également a-t-on vu le législateur OHADA s’activer sur des questions de protection du créancier au travers des actes uniformes sur les suretés et sur les voies d’exécution.

Vu ce qui précède, notre problématique pourrait paraitre à première vue comme étant sans pertinence car aussi bien le code civil que les actes uniformes pour ce qui est de l’espace OHADA ont abondamment traité la question.

Cependant, loin de nous l’idée de prétendre que la protection du créancier en droit commun est épuisée, il est forcé de reconnaitre qu’elle est moins complexe que la question de la protection du créancier dans le crédit maritime.

Pour tout dire, la protection du créancier dans le crédit maritime est une problématique aussi dense et profonde que la mer. En tout état de cause, il convient de se référer aux différents instruments du crédit en droit maritime qui dans l’ensemble, sont animés d’un régime dérogatoire au droit commun de par leur particularité.

La présente étude est donc riche de sens car elle devrait permettre non seulement d’aborder des questions ponctuelles de droit maritime du crédit, mais également d’analyser d’autres aspects présentés ici comme complémentaires et indispensables. Sont ainsi cités les aspects maritimes du droit des biens permettant de circonscrire l’assiette du crédit maritime, et les aspects maritimes du droit patrimonial dans l’optique de comprendre les diverses institutions qui gouvernent le patrimoine du débiteur en droit maritime.

Comme le disait pierre Bourdieu, un objet de recherche, si partiel et si parcellaire soit-il, ne peut être défini et construit qu’en fonction d’une problématique. Pour mieux appréhender le sens de notre étude, il serait souhaitable de se poser la question de savoir qu’est ce qui fait le particularisme de la protection du créancier dans le crédit maritime et parallèlement quelle appréciation conviendrait-il de faire sur l’efficacité de ladite protection ?
Deux aspects méritent de retenir l’attention : il s’agit tout d’abord de comprendre le cadre juridique qui gouverne la protection du créancier dans le crédit maritime (partie 1) avant de s’interroger sur la portée de son efficacité en matière de protection des créances (partie 2).

I- LE CADRE JURIDIQUE DE LA PROTECTION DU CREANCIER DANS LE CREDIT MARITIME

La protection du créancier dans le crédit maritime obéit à un régime spécifique assis sur des principes qui gouvernent les conditions d’existence de sa créance. Ce particularisme tient par ailleurs au fait qu’il a été aménagé en la faveur du créancier des mesures de protection qui se détachent du droit commun.

a- La spécificité des principes gouvernant les mesures de protection du créancier maritime

Il conviendrait d’examiner ici les principes d’encadrement de l’assiette du crédit et les principes relatifs à la gestion des créances maritimes.

Sur l’assiette du crédit maritime,

Le droit maritime du crédit est gouverné par deux grands principes d’inspiration fiduciaire que sont la consécration de la séparation du patrimoine de l’armateur et l’éclatement du patrimoine maritime au regard de l’institution du single Ship Company.

Le principe de la séparation des patrimoines terrestre et maritime dans le crédit maritime impose de constater l’existence d’un patrimoine maritime et d’un patrimoine terrestre.
Pour mémoire, l’article 2093 du code civil souligne le principe de l’unicité du patrimoine, une personne ne pouvant avoir deux patrimoines.

« Heureux civiliste pour qui les choses sont faciles » s’exclamait ainsi un théoricien du droit maritime pour exposer la particularité de l’aspect maritime de cette question. Les biens du débiteur sont-ils encore le gage de ses créanciers ? Assurément pas tous en droit maritime. Concernant l’armateur, il y a lieu de noter qu’il possède un patrimoine maritime et un patrimoine terrestre. Cela s’explique au regard des principes du shipping management qui impose de respecter une gestion terrestre et une gestion nautique de l’entreprise de transport maritime.

Ainsi, la conséquence en est que les créances nées de la gestion terrestre ne peuvent avoir pour garantie que le patrimoine terrestre de l’armateur tandis que les créances issues de la gestion nautique n’auraient pour garantie que le patrimoine maritime de l’armateur avec pour principale assiette, le navire.

Principal gage du crédit maritime, le navire n’offre cependant pas de confort juridique au regard de la versatilité de son statut, celui-ci variant au gré des législations maritimes consultées. En effet, le navire revêt d’abord un caractère qui lui est propre, ce qui conduit vers une certaine tendance à le personnaliser. Il est donc doté d’éléments d’individualisation tels que le nom. C’est dans cette perspective qu’il est également considéré comme un patrimoine d’affectation, car les créanciers ont la possibilité d’exercer sur lui des droits réels. Le système de droit civil encadre le patrimoine d’affectation par des caractères comme la personnalité (seule une personne peut avoir un patrimoine) et l’indivisibilité.

Le navire est ensuite considéré comme une chose. Cependant, il est une chose mobilière à laquelle on assigne le régime des immeubles. Ainsi, dans certaines législations comme c’est le cas avec le code maritime russe, le navire est tout simplement classé dans la catégorie des immeubles.

En tant qu’élément de l’assiette des sûretés, le navire est le gage le plus immédiatement accessible aux personnes qui sont amenées à devenir créanciers de l’armateur. C’est en cela qu’il est perçu comme étant le plus efficace et parfois l’unique gage des titulaires de créances maritimes.

Seul le patrimoine maritime peut faire l’objet de sûretés maritimes. Il est l’assiette par excellence de cet ordre de sûretés et constitue de ce fait un véritable labyrinthe juridique, puisqu’il faut chercher à le ranger entre le régime des personnes et celui des choses ; la dernière option n’étant pas elle-même aisée car là encore, il convient de résoudre une équation à deux inconnues avec comme solution finale, une réponse à tout le moins équivoque : le navire, un bien unique en son genre, un meuble dont la possession ne vaut titre, ou un hybride des meubles et des immeubles pour paraphraser le Pr Antoine VIALARD. Et c’est en cela que nous percevons le navire sous le prisme d’un véritable monstre juridique dévorant çà et là divers éléments de la théorie générale des biens pour se façonner un régime propre.

Le principe de la séparation même du patrimoine maritime par l’institution du single ship company (doublée de la notion de patrimoine d’affectation) constitue un autre principe gouvernant l’assiette du crédit maritime. Le single ship company est le mode de gestion en vertu duquel une société de shipping est constituée d’un seul navire. L’une des règles cardinales du crédit maritime étant la consécration de la notion de «navire débiteur », seul ledit navire peut faire l’objet d’une saisie. Pour mémoire, il s’agit d’une autre institution faisant obstacle à la théorie de l’universalité du patrimoine de l’article 2093 du code civil.

En ce qui concerne la créance de l’armateur sur le chargeur, il conviendrait de noter que l’armateur dispose d’un certain privilège sur les marchandises transportées dans l’optique de garantir sa créance. On pourrait ainsi penser que l’armateur qui est lié par le principe de la séparation de patrimoine tel qu’exposé ci-dessus, ne saurait aller au-delà du fret pour constituer sa garantie.

Comme on peut le constater, le patrimoine maritime est constitué au gré des affectations des éléments qui le composent. Il s’agit d’une aberration juridique au regard du droit civil car seule une personne peut détenir un patrimoine unique et indivisible tel que le souligne l’article 2093 du code civil. La particularité en droit maritime est qu’il se situe aux antipodes de l’article 2093 du code civil.

Sur l’organisation des créances maritimes :

La protection du créancier obéit à un régime original dans la mesure où l’organisation des créances maritimes est soutendue par deux grands principes que sont l’énumération restrictive des créances maritimes et celui de la limitation de responsabilité en la matière.

Parlant du principe de l’énumération restrictive de la notion de créance maritime, ne peut être considéré comme créancier en matière maritime que toute personne dont la créance est née de l’un des faits énumérés par les conventions internationales sur la saisie conservatoire de navire.
Le créancier se doit donc de faire prévaloir le caractère maritime de la créance reconnu comme telle par les conventions internationales.

Concernant le principe de la limitation des créances maritimes, il convient au préalable de noter que la responsabilité civile est gouvernée par le principe de la réparation intégrale du préjudice causé à autrui par son fait personnel, ou du fait des personnes dont on doit répondre, ou encore du fait des choses que l’on a sous sa garde (1) . Cependant, la réalité est toute autre dans le contexte maritime, comme le souligne le professeur Antoine VIALARD : « la règle d’or du droit maritime, est bien au contraire, le principe de la réparation limitée du propriétaire ou de l’armateur ou de l’exploitant du navire » . (2)

Ce principe requiert que soit mise à contribution, la constitution d’un fonds de limitation de la responsabilité du propriétaire du navire. L’esprit du fonds de limitation nait du souci de limiter la responsabilité du propriétaire du navire exclusivement au règlement des créances auxquelles la limitation est opposable (3), la répartition de ce fonds se faisant entre les créanciers proportionnellement aux créances reconnues. Il convient de retenir que le Doyen René RODIERE, dans sa tentative de justification de ce principe, avait pu avancer l’idée d’une protection du propriétaire du navire contre certains actes du capitaine susceptibles de causer sa ruine ; Or le doyen Georges Ripert pour sa part pensait qu’il s’agit là de la clé de voute du droit maritime.

b- Le particularisme des instruments garantissant l’efficacité de la protection du créancier dans le crédit maritime

Sur les modes d’exercice des sûretés garantissant la protection du créancier

L’Acte Uniforme OHADA sur le droit des sûretés exclut de son domaine d’application un certain nombre de matières. Le dernier fragment de son article 4 dispose que «Les sûretés propres au droit fluvial, maritime et aérien, les sûretés légales autres que celles régies par le présent Acte uniforme, ainsi que les sûretés garantissant l’exécution de contrats conclus exclusivement entre établissements de financement, peuvent faire l’objet de législation particulière».
Une lecture synthétique des différentes conventions maritimes internationales a permis de dégager deux ordres de sûretés.

Il s’agit d’une part des privilèges maritimes de premier et de second rang, ceux de premier rang conférant un véritable droit de suite. En droit commun, un privilège ne peut être assorti que d’un droit de préférence. L’hypothèse selon laquelle il produit à la fois les effets d’un droit de suite et d’un droit de préférence n’est donc pas envisageable à une exception près, celle du bailleur d’immeuble. Ce dernier est reconnu créancier sur les meubles meublant le local loué (4). Cependant, il faut remarquer que tous les privilèges maritimes de premier rang sont assortis d’un droit de suite en plus du droit de préférence.

Il s’agit ensuite de l’hypothèque maritime qui ne peut être que de nature conventionnelle contrairement au droit commun dont l’article 2116 du Code civil énonce qu’elle «est ou légale, ou judiciaire, ou conventionnelle ». (5) Le code CEMAC de la marine marchande en est une illustration, et on s’en voudrait ne pas citer un extrait de son article 87 en vertu duquel : « l’hypothèque maritime constitue une sûreté conventionnelle qui confère au créancier un droit réel sur le navire…».

Sur les instruments de mise en œuvre des suretés en vue de la réalisation du crédit maritime

Parlant des mécanismes de mise en œuvre des sûretés, la saisie conservatoire de navires constitue un véritable manque à gagner pour le navire. Le Pr Antoine VIALARD souligne d’ailleurs que c’est un « formidable moyen de pression sur l’armateur débiteur, puisqu’elle paralyse son outil d’exploitation » (6) Cette saisie appelle la mobilisation de notions juridiques antinomiques, comme c’est le cas avec l’assiette des sûretés.

En ce qui concerne la saisie conservatoire, son originalité par rapport à son équivalent de droit commun réside dans le dualisme des moyens d’action qu’elle offre au créancier, à savoir une action directe sur navire (action in rem) et une action directe sur le propriétaire (action in personam).

L’action in rem est une institution fortement inspirée du droit anglo-saxon. En vertu de l’article 3-1 de la convention de Bruxelles de 1952, elle permet d’écarter toute référence à la personne du propriétaire du navire en entrainant la perception du navire comme étant le seul « débiteur » du créancier. Bien plus, on peut penser que l’action in rem aurait pour fondement la théorie de navire-personne qui doit être rattachée à une autre théorie, celle du patrimoine d’affectation.

Il s’agit une fois de plus d’une notion contraire au principe de l’unicité ou d’indivisibilité du gage (7) de l’article 2093 du code civil. La particularité du droit maritime réside dans le fait que c’est le navire en lui-même qui est tenu pour responsable des faits allégués.

D’inspiration civiliste, l’action in personam permet d’exercer une action non plus sur le navire, mais à l’encontre de la personne qui en a la propriété. Le créancier a ainsi la faculté de saisir tous navires appartenant à son débiteur. Cette action se rapproche des principes du droit de gage général en droit commun. Il permet de faire face à la pratique fiduciaire de single ship company en favorisant la saisie de tout autre navire appartenant au propriétaire du navire auquel se rapporte la créance. Il faudra pour cela établir le lien entre le navire saisi et le navire auquel la créance se rapporte, d’où l’expression anglaise de « sisters ships » (8)ou encore de la théorie des navires apparentés. C’est en ce sens que la convention internationale de 1952 précise :

« Tout demandeur peut saisir : soit le navire auquel la créance se rapporte, soit tout autre navire appartenant à celui qui était au moment où est née la créance maritime, propriétaire du navire auquel la Créance se rapporte(…) (9) ».

La saisie vente des navires pour sa part est un mode de saisie peu pratiqué dans le monde maritime en raison du caractère beaucoup plus attirant de la saisie conservatoire. En réalité, il n’existe aucune règlementation d’envergure internationale en la matière, chaque Etat ayant le plus souvent recours aux règles de saisie immobilière de droit commun. .

Les conventions maritimes sur la saisie-vente ou saisie-exécution, n’existent pas. Face à ce vide juridique au niveau international, la quasi-totalité des Etats ont eu recours à la saisie-immobilière de droit commun pour régir des questions de crédit maritime. Cette démarche paraitrait à première vue paradoxale et partant incohérente sinon comment comprendre que l’on ait pris l’intégralité des règles qui ont vocation à s’appliquer en droit commun pour régir une institution ayant pour caractéristique un régime dérogatoire de droit commun.

C’est en cela que le code CEMAC de la marine marchande de 2012 a taillé des règles saisie-vente à la mesure du singularisme du droit maritime pour le libérer de l’emprise du droit commun

II- L’APPRECIATION DU REGIME DE PROTECTION DU CREANCIER MARITIME DANS LA GESTION DU CREDIT MARITIME

Il sera question d’examiner les défaillances du cadre actuel du crédit maritime (a) avant d’envisager les perspectives de correction du régime de protection du créancier (b)

a ) La protection du créancier dans le crédit maritime : un régime fortement entravé par un excès de particularisme et les défaillances de l’environnement juridique du crédit maritime

Un régime de protection entravé par les dérives même des conditions d’existence du crédit maritime

Faut-il le rappeler, la théorie générale de la responsabilité en droit civil est basée sur le principe de la réparation intégrale du dommage causé à autrui du fait de sa cause ou de celle des choses que l’on a sous sa garde. Or en matière maritime, l’applicabilité pratique du principe de la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes donne à constater que le droit maritime semble plutôt prôner un principe de responsabilité intégrale mais avec réparation limitée.

Il semble par ailleurs qu’en considérant le navire comme débiteur de l’obligation maritime, le droit maritime consacre ainsi par le biais de l’action in rem une absence de responsabilité du fait des dommages causés par les choses que l’on a sous sa garde. Ces règles dérogatoires contribueraient ainsi à une remise en cause de l’efficacité de la protection du créancier dans le crédit maritime.

La perception du navire comme débiteur constitue un autre facteur d’inefficacité dans la mesure où elle limite la théorie d’universalité du patrimoine de l’article 2093 du code civil. Cela se voit avec le développement des single ship companies qui sont des armements constitués d’un seul navire. Cela est également perceptible dans les contrats d’affrètement qui pourraient donner lieu à la saisie d’un bien (le navire) n’entrant pas dans le patrimoine de celui qui en a la garde et qui est par conséquent à l’origine de la créance (l’affréteur).

Une inefficacité accentuée par les dérives de l’environnement juridique emprunt de cacophonie et tourné vers le protectionnisme des débiteurs

D’entrée de jeu, l’environnement juridique du crédit en droit maritime offre à constater que cette notion constitue un réceptacle de conventions maritimes concurrentes et désunifiées.

La multiplicité des conventions maritimes internationales a pour répercussion, d’engendrer une certaine concurrence entre elles au niveau de leur application. De fait, deux conventions ont vocation à régir un même domaine matériel, et parfois, doivent cohabiter dans le même espace.

En ce qui concerne la concurrence matérielle entre deux conventions, l’hypothèse est celle où deux Etats ont ratifié deux conventions distinctes portant sur le même objet. Ainsi, il va de soi qu’en matière de saisie conservatoire de navire, un conflit naisse sur la qualification de la créance. Dans cet état d’esprit, certaines créances auxquelles il a été reconnu un caractère maritime dans la convention de 1999, ne le seront pas forcément dans un Etat régit par la convention de 1952, de sorte que le contentieux de l’interprétation du sens de l’expression créance maritime soit susceptible de varier d’une convention à l’autre (10).

C’est également, dans cette perspective que l’on doit se situer pour comprendre l’éventualité d’un conflit sur la hiérarchie des créanciers entre un Etat membre de la CEMAC et la France. En réalité, les Etats de la CEMAC sont régis par un code communautaire de la marine marchande portant l’empreinte de la convention de 1993 sur les hypothèques et privilèges maritimes ; la France quant à elle se trouve sous l’emprise de la convention de Bruxelles de 1926, en raison de la conformité de ses dispositions à cette convention. Or, il est clair que ces deux conventions contiennent d’énormes disparités. C’est ainsi que la Convention de 1993 impose aux Etats contractants de recevoir des informations sur toutes les hypothèques prises sur le navire avant de procéder à la nouvelle immatriculation, et ce contrairement aux dispositions des Conventions de 1926 et 1967 qui ne comportent aucune exigence en la matière.

Il convient par ailleurs de comprendre que les conventions maritimes se caractérisent essentiellement par les intérêts occultes qu’elles protègent, et qui en fin de compte contribuent à leur inefficacité.

De nombreuses conventions constitueraient ainsi un véritable système protectionniste des intérêts des transporteurs et leurs assureurs. Dans cet ordre d’idées, les créanciers hypothécaires sont amenés à subir la subrogation du propriétaire du navire dans les indemnités d’assurance, au regard la convention de 1926 sur les privilèges et hypothèques maritimes. Ces conventions maritimes nourrissent un intérêt plutôt tourné vers la protection des revenus occultes de l’assurance et de l’arbitrage maritime international qui est le support des injonctions anti suit.

La question des saisies conservatoires par exemple a été volontairement ignorée par les Règles de Rotterdam. Et pour cause, il était question pour les anglais de pérenniser et surtout de garder le monopole du marché de l’arbitrage, et de protéger les intérêts des P and I clubs en les épargnant d’un régime trop stricte de réparation des dommages.

Nous reprendrons ici les propos du Pr Othman BEN FADHEL qui affirme que : « Les anglais ne veulent pas perdre les revenus invisibles rapportés par l’arbitrage international. Ils ne veulent pas non plus que les entreprises financières qu’ils abritent, c’est-à-dire les Protection and Indemnity Clubs (mutuelles d’assurance des armateurs de navires) perdent de l’argent en payant plus d’indemnités aux destinataires de marchandises. » (11)

b- L’équation du renforcement du régime de protection du créancier maritime

vers un élargissement de l’assiette et de la notion de créances maritimes ?

Tel que précédemment exposé, l’assiette du crédit maritime est soumise à une double limitation : il s’agit d’un bien au régime hybride, lequel se trouve encadré par la théorie de la séparation des patrimoines terrestre et maritime. Ainsi l’un des critères retenus pour complexifier la classification du navire dans la théorie générale des biens réside dans la valeur de celui-ci.

A l’heure actuelle, la limitation de responsabilité est calculée sur la base du volume intérieur du navire.

Le volume intérieur du navire servant de base de calcul peut être relatif au volume de l’espace commercialisable que l’on obtient en tenant compte de la jauge nette ; il peut être relatif au volume comprenant les espaces dédiés au fonctionnement du navire ou au logement de l’équipage, et que l’on obtient par référence au tonnage brut du navire. Cependant, il ressort que la réparation du dommage n’aura pas ici, toute son efficacité. En effet, deux navires peuvent par exemple avoir un même tonnage et pas forcément la même valeur, laquelle valeur est souvent préconisée par certains, comme le plafond de la réparation.

Il conviendrait tout simplement de corriger ses lacunes par la cote de fiabilité attribuée au navire par une société de classification. Ainsi, l’état du navire tel qu’il a été classé après inspection par la société de classification pourrait avoir des incidences sur la contribution de l’armateur à la dette. Cela est pertinent puisque la cote du navire réduirait ou augmenterait le montant de la contribution à la dette qui aurait été fixé au départ, à un montant identique à tous les armateurs.

Vers une réduction de l’excès de particularisme des régimes de l’assiette et créances maritimes.

L’une des mesures qui pourraient contribuer à l’efficacité de protection des créances maritimes serait la réduction de l’excès de particularisme du régime de l’assiette et des créances. Concernant l’assiette du crédit, tel que précédemment indiqué, le navire est presque l’unique gage des créanciers. Celui-ci est encadré de deux éléments de complexification que sont sa difficile classification dans la théorie générale des biens et sa séparation d’avec le patrimoine de l’armateur.il conviendrait ainsi d’adopter stricto sensu l’esprit de l’art 516 du code civil selon lequel les biens sont ou meubles ou immeuble, ce qui permet de tirer les conséquences qui s’attachent à chacune de ces catégories.

Il conviendrait par ailleurs de se détourner des prescriptions de l’art 531 en vertu duquel les navires sont des biens meubles mais peuvent être soumis à des régimes particuliers en raison de leur importance. En effet l’esprit de cette disposition aurait pour conséquence de créer une véritable cacophonie dans la théorie générale des biens quand on sait la multitude des biens qui aujourd’hui ont une importante valeur économique et qui pourraient par conséquent se réclamer un véritable régime dérogatoire.

Pour mémoire, il semble que la classification des biens tient en premier à la nature de ceux-ci et non à leur valeur.

Il restera alors à résoudre la question de la séparation des patrimoines maritime et terrestre. On note la encore les effets pervers de cette division qui pourrait entrainer une pluralité de patrimoine eu égard aux aspects maritime, terrestre et aérien.il faudrait repréciser ici la notion d’universalité de patrimoine qui englobe les biens meubles et immeubles de la personne. Un bien ne pouvant détenir un patrimoine au nom d’un prétendu patrimoine d’affectation. On ne saurait par ailleurs séparer le patrimoine en raison des gestions nautiques et terrestres qui en réalité sont des aspects liés et complémentaire dans le management des armements. Bien plus, la gestion terrestre précèderait la gestion nautique, celle-ci apparait ainsi comme le principal et l’autre l’accessoire. Faut-il le rappeler, l’accessoire suit le sort du principal. Parlant des créances maritimes, il conviendrait de restreindre le champ d’application de la limitation des créances maritimes et notamment de redéfinir celui-ci. La solution pourrait ainsi consister à n’appliquer le principe qu’aux seules créances issues des évènements de mer(cas de la force majeure) et abandonner la tendance à la prise en compte de la capacité du navire comme mesure de réparation, en laissant de côté un indice plus fiable :la cote attribuée au navire par les sociétés de classification.

En outre, il convient de noter que d’autres perspectives de réforme du régime des suretés maritimes pour une protection plus efficace sont envisageables. Ainsi en est-il de la révision du régime de l’hypothèque maritime conformément au modèle du mortgage appliqué dans l’espace Common Law tel que préconisé par Jean-Yves Thomas (12). Ainsi en est-il également de la restriction du champ d’application du principe de la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes (13).

[1] -Se référer aux articles 1382, 1383 et 1384 du Code Civil,

[2] -Vialard (Antoine), Etude à la mémoire de Christian Lapoyade-Deschamps, Presse universitaire de Bordeaux, 2003

[3] -Article 106 Code CEMAC de la marine marchande, conforme à la convention internationale de 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes amendée en 1996.

[4] -Les articles 182 et 184 du droit OHADA des sûretés confèrent au bailleur un droit de préférence et un droit de suite sur les meubles garnissant le local loué

[5] -les articles 2115 à 2133 du Code civil encadrant ces différentes formes hypothèques.

[6] -Vialard (Antoine), Droit maritime, PUF, 1997, N365, p311

[7] -principe consacré par les articles 2284 et 2285 du code civil

[8] -les sisters ships ou subrogate ships désignent les navires similaires que possède le débiteur, sur lesquels navires les droits des créanciers peuvent être transférés. Ngamkan Gaston les définit aussi comme « tout navire apparenté au navire débiteur ou causal. » ; voir ce sens son article Saisie conservatoire de navires : étude comparée entre le droit communautaire de l’afrique centrale et le droit béninois, p7

[9] -Article 3 de la Convention de Bruxelles de 1952 sur les saisies conservatoires de navires. Le CCMM prévoit également une disposition similaire en son article 144

[10] -C.A d’Aix-en-Provence, 26 octobre 2001, navire Canmar Supreme, DMF, 2002, p20, observations Remery (Jean Pierre),

[11] – Ben Fadhel (Othman), Op.cit.

[12] – Voir en ce sens l’article de Thomas (Jean-Yves), Faut-il reformer l’exercice de l’hypothèque maritime ?, Gazette de la chambre, Printemps 2004, n°4

[13] . Voir en ce sens l’article intitulée, La force créatrice de droit du fait de la nature, publié dans la Revue de la Recherche Juridique de Presse Universitaire d’Aix-Marseille, par Montas (Arnaud) et De Zarate (Ortiz).

Source : www.tribunejustice.com