LE JUGE RENAUD VAN RUYMBEKE

Né à Neuilly-sur-Seine le 19 août 1952, Renaud van Ruymbeke est un magistrat français exerçant au pôle financier du tribunal de Paris.

Fils d’André van Ruymbeke, ancien directeur de l’Union laitière normande (ULN), il mena l’instruction de plusieurs affaires politico-financières, comme l’affaire Urba, l’affaire des frégates de Taïwan et, initialement, l’affaire Clearstream.

Renaud Van Ruymbeke est considéré en France et à l’étranger comme l’un des meilleurs de sa profession, incorruptible et tenace, insensible aux pressions et aux embûches.

Des qualités révélées très tôt par un dossier déjà médiatique mettant en cause classe politique et milieux financiers : l’affaire Robert Boulin, demeurée non élucidée.

Après avoir instruit les dossiers Robert Boulin, Urba et le financement occulte du PS, l’affaire Elf et celle des frégates de Taïwan, le juge à la fine moustache se retrouve à nouveau face au mur apparemment infranchissable du « secret-défense » dans l’affaire Karachi.

« VR », comme le surnomment ses collègues, enquête depuis début octobre sur le volet financier du Karachigate, soit l’éventualité de rétro-commissions au bénéfice de la campagne élyséenne d’Edouard Balladur, résultant de la vente de sous-marins au Pakistan. Malgré l’interjection en appel du parquet le 7 octobre, Van Ruymbeke continue d’enquêter, bien décidé à multiplier les auditions de témoins en attendant la décision finale de la Cour d’appel de Paris.

AFFAIRE BOULIN

Le suicide du ministre boulin

La technique Ruymbeke : prendre de cours, sprinter.

Elémentaire pour ce fana de foot, qui a d’ailleurs instruit l’affaire des transferts opaques du PSG et de la tentative de rachat de l’OM par Jack Kachar.

Dès sa nomination en 1977 comme juge d’instruction à Caen, le juge n’a cessé de prendre en vitesse, alimentant son moteur de procès-verbaux et de dossiers en cascades.

Son baptême du feu survient avec l’affaire Boulin. Le ministre du travail de Valérie Giscard d’Estaing, est mêlé à l’achat suspect d’un terrain à Ramatuelle (Var).

Il met fin à ses jours, dénonçant dans une lettre écrite avant son suicide « le jeune juge van Ruymbeke, aveuglé par sa passion de « faire un carton sur un ministre » qui est passé à côté de la question ».

Première accusation du genre, qui esquisse la caricature du « juge rouge », et dont les mauvaises langues aiment à rappeler que le père, énarque, fut proche du parti communiste.

Le croisé anti-corruption

Après un détour comme professeur par l’école nationale de la magistrature jusqu’en 1988, il reprend les instructions.

Au cœur des années Mitterrand, l’affaire Urba explose en 1991, révélant un système de financement occulte au bénéfice du Parti socialiste. Le magistrat devient véritablement le croisé de l’autorité judiciaire, contre la corruption politique, qu’il dénonce dans un « appel de Genève », lancé avec six juges d’autres pays d’Europe en 1996.

Objectif : traquer la corruption qui « prospère sans vergogne » au sein de l’Union Européenne.

Mais voilà, Van Ruymbeke voudrait franchir le mur de l’argent comme on fait un saut d’obstacles. La chute est parfois rude. Il rejoint en 2000 le pôle financier de Paris et instruit en 2001 l’affaire des frégates de Taïwan : déjà une histoire de commissions et rétro-commissions en marge de la vente de frégates à la marine taïwanaise en 1991.

Ministres de droite comme de gauche lui opposent le secret-défense. De guerre lasse, VR agite le drapeau blanc et prononce un non-lieu sur le dossier en 2008.

AFFAIRE CLEARSTREAM

Autre affaire toute aussi mystérieuse à ce jour, Clearstream.

Seule certitude dans le dossier, la tentative d’instrumentalisation de la justice pour des règlements de compte au sommet de l’Etat. Après l’avoir mise en route, les principaux protagonistes ont tout fait pour tenter d’arrêter une machine devenue folle.

Comme souvent, le meilleur moyen pour étouffer une affaire devenue gênante consiste à désigner des lampistes et à retourner les accusations contre ceux qui les ont initialement lancées.

Ce n’est donc pas un hasard si hier un journaliste, Denis Robert, et aujourd’hui un juge, Renaud van Ruymbeke, se trouvent voués aux gémonies.

Dans le cas de Renaud van Ruymbeke, le rapport annoncé comme le mettant en cause avait été commandé en juin 2006 par le ministre de la Justice après que le magistrat ait reconnu dans la presse avoir rencontré en avril 2004 Jean-Louis Gergorin, le corbeau de l’affaire Clearstream.

Trois reproches seraient formulés à Renaud van Ruymbeke : l’accomplissement d’auditions hors procédure, la non-révélation d’informations utiles à des procédures pénales et la transmission d’éléments d’instruction à une personne extérieure.

Si le magistrat est bien parvenu à démontrer que les listings de Clearstream sont des faux, on préfère lui reprocher la façon dont il y est parvenu.

A l’évidence, la culture du résultat prônée par le ministre de l’Intérieur à ses troupes ne saurait s’appliquer au ministère de la Justice quand elle risque de l’égratigner.

En vérité, les éléments fournis anonymement à la presse et repris par une partie de cette dernière sont des extraits choisis sortis de leur contexte et qui omettent sciemment de préciser que l’Inspection contrebalance ses observations en estimant que le juge “a agi dans le souci exclusif de la recherche de la vérité” et que “les manquements, au demeurant isolés dans le déroulement de sa carrière, doivent également être envisagés en considérant les appréciations particulièrement élogieuses dont M. Van Ruymbeke fait l’objet”.

Pour sa part, le quotidien gratuit 20 Minutes rappelait dans son édition du 1er février que Nicolas Sarkozy avait peu apprécié les commissions rogatoires internationales, lancées à son encontre par Renaud van Ruymbeke pour vérifier si le ministre disposait de comptes à l’étranger, ainsi que l’audition de l’un de ses proches, Jacques Heyer, fin 2005.

Nicolas Sarkozy n’avait pas hésité alors à attaquer publiquement sur TF1 le magistrat.

Personne donc ne s’étonne aujourd’hui, surtout pas l’intéressé, que le ministre de la Justice, Pascal Clément, inféodé au président de l’UMP, ait décidé de renvoyer le juge devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

La manœuvre était cousue de fil blanc, la décision opportunément fondée sur le principal grief du rapport de l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ), à savoir la non-révélation d’informations utiles à des procédures pénales en cours ainsi que la transmission d’éléments d’instruction à une personne extérieure. Renaud Van Ruymbeke, considéré par beaucoup comme un exemple, encourt une sanction pouvant aller du blâme à la révocation.

Sa demande de promotion comme président de chambre de la cour d’appel de Paris apparaît sérieusement compromise.

A l’évidence, on ne met pas en cause impunément Nicolas Sarkozy.

LE PETRIN DE CLEARSTREAM 2

Mais les vieux démons ressurgissent sous la forme d’un corbeau, qui manque causer sa perte, avec l’affaire Clearstream 2.

Destinataire d’une série de lettres anonymes dénonçant des personnalités et hommes politiques prétendument bénéficiaires de rétrocommissions issues de la vente des frégates de Taïwan, le juge agit hors de la procédure pénale. Il rencontre en secret le corbeau, en fait le vice-président d’EADS Jean-Louis Gergorin. Ce n’est que quelques mois plus tard qu’il comprend avoir été manipulé, sans pour autant trahir la confidentialité de sa source.

La sanction tombe : Pascal Clément, le Garde des sceaux de l’époque, ordonne en 2006 l’ouverture d’une enquête disciplinaire à son encontre, avant de le faire convoquer devant le Conseil supérieur de la magistrature en 2007. Résultat : l’obstiné magistrat se voit refuser sa promotion à la Cour d’appel de Paris. Et se met à dos Nicolas Sarkozy, mis en cause à tord dans l’affaire Clearstream et se considérant à l’époque « victime d’un corbeau allié à un juge ».

Van Ruymbeke jouera t-il à nouveau hors-jeu dans l’affaire Karachi? Nul doute que face aux arguments de le la « raison d’Etat » ou du « secret-défense » qui ont tant freiné ses investigations par le passé, VR pourrait être à nouveau tenté de passer la cinquième vitesse.

AFFAIRE ATTENTAT DE KARACHI

Les investigations du juge Renaud Van Ruymbeke dans le volet financier de l’affaire de l’attentat de Karachi commencent semble-t-il à inquiéter en haut lieu.

Depuis le mois de septembre, le plus célèbre juge d’instruction français conduit l’information judiciaire ouverte pour entrave à la justice et faux témoignages.

L’enquête a été lancée après la plainte déposée par Me Olivier Morice, le conseil de plusieurs familles des salariés de la Direction des constructions navales tués en 2002. Elle vise à déterminer si l’entreprise majoritairement détenue par l’État a sciemment caché divers documents permettant d’établir un lien entre le drame et l’arrêt du versement des commissions octroyées en marge de deux contrats d’armement.

a) De forts soupçons

Il n’a pas fallu longtemps à Renaud Van Ruymbeke pour mettre au jour d’importants soupçons de corruption liés à un retour partiel en France des commissions destinées à influencer les décideurs étrangers. Selon certains témoignages, réfutés par les intéressés, des transferts de fonds occultes liés à ces ventes d’armes auraient pu financer la campagne d’Édouard Balladur lors de la présidentielle de 1995, mais aussi le Parti républicain de l’ancien ministre François Léotard.

A la lumière de ces nouveaux éléments, Renaud Van Ruymbeke avait logiquement demandé à la fin du mois de novembre au procureur de Paris de pouvoir étendre ses investigations à des faits d’abus de biens sociaux et recel, un juge d’instruction n’ayant pas la possibilité de s’autosaisir.

Le dossier est désormais suffisamment étoffé pour permettre au magistrat de s’intéresser au rôle des intermédiaires libanais Ziad Takieddine et Abdul Rahman el-Assir. Les deux hommes, réputés proches des balladuriens, étaient apparus au dernier moment, en 1994, lors de la vente des sous-marins au Pakistan et des frégates à l’Arabie saoudite. Les commissions dont ils étaient destinataires dans le cadre de ces deux contrats, baptisés Agosta et Sawari II, se montaient respectivement à 33 millions et 200 millions d’euros.

b) Le parquet bloque

Le parquet, de par son statut sous la tutelle du pouvoir politique, ne tient pas à ce que Renaud Van Ruymbeke puisse élargir le périmètre de son enquête. Il vient de requérir, « au nom d’une bonne administration de la justice », l’ouverture d’une information judiciaire distincte.

Argument invoqué : les faits nouveaux sont différents de ceux instruits jusqu’alors par Renaud Van Ruymbeke, les personnes visées et la période concernée ne sont pas les mêmes. Faisant fi de l’indépendance entre l’exécutif et le judiciaire, le ministre du Budget François Baroin a d’ailleurs laissé entendre hier qu’un nouveau juge d’instruction serait prochainement désigné.

Le choix de ce magistrat appartient à Chantal Arens, la présidente de la cour d’appel de Paris. Dans un courrier qu’il lui a adressé hier, Me Olivier Morice, l’avocat des familles de victimes, lui demande avec insistance de désigner, comme elle en a la possibilité, Renaud Van Ruymbeke. « Les parties civiles ne sont pas dupes de la volonté de saucissonnage judiciaire du parquet, qui a pour principal objectif de rendre moins efficace l’avancée d’une justice indépendante, insiste Me Morice, un juriste habitué à se colleter avec la raison d’État. Ceux qui orientent depuis le début de cette affaire la démarche du parquet n’ont d’autre souci que la protection de hautes personnalités politiques françaises susceptibles d’être inquiétées. »

c) Sarkozy ne l’aime pas

Juge coriace et méthodique, Renaud Van Ruymbeke est détesté par Nicolas Sarkozy. La discorde est née d’une conversation que les deux hommes avaient eue il y a plusieurs années dans les locaux de l’École nationale de la magistrature à Bordeaux.

Le futur chef de l’État n’avait pas apprécié que le juge soutienne que l’argent pourrit le football. Il y a quelques semaines, en marge du sommet de Lisbonne, il a de nouveau dit tout le mal qu’il pensait de lui aux journalistes qui l’accompagnaient. Ce jour-là, Nicolas Sarkorzy avait promis de transmettre à la justice tous les documents qu’elle réclamait. Renaud Van Ruymbeke les attend toujours.

LA PROCEDURE DISCIPLINAIRE

Le juge est accusé d’avoir rencontré secrètement en 2004 l’ancien vice-président du groupe d’aéronautique et de défense EADS, Jean-Louis Gergorin, qui disait avoir des informations à lui communiquer mais, s’affirmant menacé, ne voulait pas déposer officiellement.

Renaud Van Ruymbeke enquêtait alors sur des soupçons de rétro-commissions dans le dossier hypersensible de la vente de frégates à Taïwan.

Pour les soutiens du juge, cette procédure disciplinaire était purement politique, déclenchée par le pouvoir exécutif contre un magistrat indépendant enquêtant sur des affaires gênantes.

LE JUGE BLANCHI

Visé depuis six ans pour son action en marge de l’affaire Clearstream, le juge anti-corruption Renaud Van Ruymbeke est sorti blanchi de sa procédure disciplinaire le 7 octobre 2012.

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a annoncé mercredi l’abandon des poursuites contre le juge anti-corruption Renaud van Ruymbeke en ses termes : « Le Conseil donne acte au garde des Sceaux de son désistement des poursuites ».

Lors d’une audience publique le 3 octobre, le ministère de la Justice avait fait savoir qu’il ne réclamait plus de sanction contre le juge et abandonnait les poursuites qu’il avait lui-même initiées.

AMERTUME DU JUGE

Renaud Van Ruymbeke s’est dit « soulagé » de cette décision. « Je regrette que tout cela ait duré six ans. Il n’y a rien à me reprocher, comme je l’ai toujours dit », a-t-il cependant déclaré à la presse au palais de justice de Paris. « Il y a un peu d’amertume, il y a eu du temps perdu », a ajouté le juge du pôle financier de Paris, en charge notamment de l’enquête sur le volet financier de l’enquête Karachi. Mais « cela ne m’a pas empêché de continuer à croire en ce que je fais et à continuer en toute indépendance », a-t-il précisé. Car « les juges d’instruction qui ont en charge des dossiers lourds sont indépendants. Il y a parfois des pièges. Il y a des tentatives de déstabilisation.

J’en ai connu dans ma carrière », a-t-il noté.

Il a relevé que la procédure disciplinaire lancée contre lui en marge de l’affaire Clearstream avait « duré un peu plus longtemps que les autres », avait été « peut-être plus éprouvante ». « Mais elle ne m’a pas empêché de continuer à faire mon travail », a-t-il assuré. « Les poursuites ont été engagées pour des raisons politiques par l’ancien garde des Sceaux », Pascal Clément, a-t-il dit. Renaud Van Ruymbeke a également précisé qu’il aspirait « à rester au poste » de juge d’instruction « pour terminer les dossiers dont a la charge », notamment l’affaire Karachi.

LE JUGE CONTRE LA SUPPRESSION DU JUGE D’INSTRUCTION

Le juge Renaud van Ruymbeke voit dans la suppression du juge d’instruction , que devrait préconiser mardi un rapport sur la réforme de la procédure pénale remis à Nicolas Sarkozy, « une volonté de mettre au pas » un magistrat indépendant du pouvoir politique. « Il n’est pas illogique de voir aujourd’hui, au moment où il y a une concentration des pouvoirs, une volonté de mettre au pas ce juge », a affirmé le célèbre juge financier mardi matin sur France Info.

De manière générale, le juge d’instruction « dérange bien évidemment le pouvoir politique (…) surtout depuis les années 1990, depuis qu’ (il) s’est intéressé aux affaires politico-financières. On le supprime, donc le problème n’est plus là », a ajouté Renaud van Ruymbeke.

Une commission présidée par le haut magistrat Philippe Léger doit remettre mardi après-midi au président de la République une série de propositions pour réformer la procédure pénale, parmi lesquelles la suppression du juge d’instruction.

Cette mesure aura pour effet de faire du parquet, hiérarchiquement subordonné au pouvoir exécutif, l’unique autorité dirigeant les enquêtes pénales.

La commission « ne veut pas couper le lien entre le pouvoir exécutif et le parquet », a poursuivi van Ruymbeke. « Je ne suis pas contre la suppression du juge d’instruction mais à ce moment là, donnez l’indépendance au parquet qui va être très puissant demain ! C’est une question de libertés individuelles », a-t-il fait valoir.

« On surexploite l’affaire d’Outreau comme si (ce n’) était la faute que du juge d’instruction. C’était l’occasion (…) de tout remettre à plat. En réalité, on a bien compris que le président de la République avait pris position pour la suppression (de ce juge) et la commission s’est engouffrée derrière directement », a-t-il encore indiqué.

Le juge van Ruymbeke, qui instruit notamment l’affaire du trader Jérôme Kerviel, est une figure emblématique de la justice financière en France. Dans le passé, il a enquêté sur l’affaire Elf ou encore celle des frégates de Taïwan.

Sources : www.agoravox.fr ; www.lepoint.fr ; www.archive.francesoir.fr
www.teomankaiser.blogspot.com ; www.challenges.fr