RDC, JUGE CHANTAL RAMAZANI : « SOUS LA MENACE, NOUS AVONS VIOLE LA LOI POUR CONDAMNER MOÏSE KATUMBI »
Chantal Ramazani Wazuri, l’ex-présidente du Tribunal de paix de Lubumbashi, qui a été contrainte de fuir la RDC, s’est confiée à Afrik.com. Elle explique dans le détail les coulisses de la condamnation de l’opposant Moïse Katumbi, à l’issue d’une cabale judiciaire visant à écarter de la course à l’élection présidentielle l’un de ses grands favoris. « J’ai signé le jugement de condamnation sous la menace », nous a-t-elle confié. Un témoignage édifiant sur l’arbitraire qui règne encore aujourd’hui au Congo-Kinshasa où l’Etat de droit est mis à mal.
Propos recueillis par Adrien Seyes pour Afrik.com.
Adrien Seyes : Comment vous a été présentée cette affaire abracadabrantesque opposant Moïse Katumbi au citoyen grec Alexander Stoupis ?
Juge Chantal Ramazani : Le bâtonnier m’a dit qu’il s’agissait d’un dossier particulièrement sensible, suivi par M. Kalev Mutond lui-même (NDLR : le patron de l’ANR). Il me l’a présenté comme un homme puissant, l’un des bras droits du chef de l’Etat. Rapidement, j’ai reçu un nombre incalculable d’appels, de la part du Premier Président près la Cour d’appel de Lubumbashi, M. Paulin Ilunga, qui m’a téléphoné à plusieurs reprises avant l’audience, du bâtonnier également qui m’a demandé de me prononcer en urgence sur le dossier, mais aussi directement de M. Kalev Mutond lui-même.
AS : A quel moment vous êtes-vous rendue compte que cette affaire était hors norme ?
Juge Chantal Ramazani : Lorsque les avocats de Moïse Katumbi ont déposé un « donner acte », ce qui signifie qu’ils suspectaient notre tribunal (de partialité). Notre code de procédure pénale nous interdit en ce cas de poursuivre l’instruction de ce dossier. Nous avons en effet l’obligation de sursoir à statuer. C’est la loi. Mais le Premier Président près la Cour d’appel de Lubumbashi m’a demandé de ne tenir aucun compte de ce « donner acte ». A partir de ce moment-là, j’ai véritablement commencé à m’inquiéter.
AS : En dépit de ce donner acte, vous avez poursuivi la procédure ?
Juge Chantal Ramazani : En principe, lorsque l’une des parties présente un « donner acte », vous devez sursoir à statuer. Le tribunal saisi doit suspendre la procédure. On ne pouvait donc pas légalement continuer. Mais j’ai reçu des instructions pressantes me demandant de passer outre ce « donner acte ». Cela a d’ailleurs causé lors de l’audience des incidents dans la salle. Au point que j’ai été contrainte de demander aux avocats de Moïse Katumbi de quitter la salle. Ceux-ci ont, par la suite, soulevé d’autres exceptions car leur client ne pouvait se présenter à l’audience (NDLR : des soins lui étaient alors prodigués en Afrique du Sud, suite à une agression quelques jours plus tôt à la seringue infectée par un policier). Ici aussi, nous n’en avons pas tenu compte.
AS : Aviez-vous conscience à ce moment-là de la gravité et des conséquences de vos actes ?
Juge Chantal Ramazani : Je savais qu’agir ainsi été totalement illégal. Mes collègues également ne cautionnaient pas du tout ce qui était en train de se tramer. Mais le Premier Président près la Cour d’appel nous a dit et répété, à moi en particulier, que le Président de la République lui-même, M. Joseph Kabila, suivait ce dossier. A ce moment-là, ce dernier était d’ailleurs à Lubumbashi. J’ai donc été obligé d’obéir aux ordres de ma hiérarchie. Comment voulez-vous, en tant que simple magistrat, que l’on passe outre ce que ces hautes personnalités nous demandaient ? Je suis mère de famille. J’avais peur. Je ne savais pas ce qui pouvait m’arriver, ainsi qu’à mes proches. Et puis, je ne voulais pas perdre mon travail. C’est ce travail qui fait vivre ma famille. J’ai donc fait que ce qu’on m’a demandé de faire.
AS : Avez-vous tout de même pris connaissance du fond de l’affaire, considérée par beaucoup comme rocambolesque ?
Juge Chantal Ramazani : Nous n’avons matériellement pas eu le temps nécessaire de connaître le dossier, d’apprécier le fond de l’affaire et de donner notre intime conviction. Ce dossier a été en réalité traité comme un cas de flagrance. Comment peut-on prendre connaissance d’un dossier aussi volumineux et se prononcer sur le champ ? C’est impossible. Le pire, c’est qu’au fond, il y avait déjà une prescription car c’est un dossier qui date de plus de dix ans (NDLR : l’affaire remonte à… 1974). A supposer que les faits aient été avérés, le faux était prescrit il y a très longtemps. L’usage de faux, n’en parlons même pas. Sans l’ombre d’un doute, cette affaire était déjà prescrite. Elle n’aurait jamais du faire l’objet d’une jugement.
AS : Vous considérez-vous, avec vos collègues magistrats, comme les auteurs de ce jugement qui a entraîné la condamnation de Moïse Katumbi ?
Juge Chantal Ramazani : Techniquement, oui. Mais moralement, non. Nous n’en avons pas pris la décision en conscience. Le jugement nous a été dicté par le Premier Président. Il nous a expressément intimé l’ordre suivant : « pour ce dossier, vous devrez condamner Moïse Katumbi à trois ans de prison, à une amende d’un million de dollars et vous devez assortir le jugement d’une clause d’arrestation immédiate ». Tout cela était surréaliste. Par exemple, comment peut-on motiver une arrestation immédiate ? C’était totalement inadapté à la situation. Mais le Premier Président a insisté. On a donc signé, nous juges, l’acte de condamnation de Moïse Katumbi sous pression et en violation des règlements qui régissent le fonctionnement des tribunaux et parquets. Nous avons violé la loi pour condamner Moïse Katumbi.
AS : Pourquoi le Premier Président près la Cour d’appel de Lubumbashi a-t-il fait preuve d’autant de zèle tout au long de cette procédure ?
Juge Chantal Ramazani : Il protégeait son poste. Il avait sans doute peur de le perdre. Comme le chef de l’Etat était en ville, comme il s’agissait d’un dossier de la présidence, comme le dossier était suivi par Kalev Mutond, la pression exercée sur ses épaules devait être forte. Cela explique mais n’excuse pas son attitude. Le même jour quand il nous a demandé de signer le jugement, l’un de mes confrères a refusé de s’exécuter. Il a alors coupé son téléphone et il est parti. Nous sommes restés avec l’une de mes collègues et l’officier du ministère public. Je suis alors allé voir le Premier Président en lui disant qu’il nous était impossible de nous prononcer en pareilles circonstances. Ce dernier nous a ordonné de statuer quand même. Puis, il nous a demandé de lui donner l’adresse, la photo et le dossier physique de notre confrère qui avait refusé d’obtempérer. Nous avons eu très peur pour lui.
AS : N’avez-vu jamais eu à ce moment-là le sentiment que le dossier n’avait rien de judiciaire et ne relevait en réalité que d’une cabale politique ?
Juge Chantal Ramazani : Le 21 juillet 2016, le jugement n’avait pas encore été prononcé. Or l’information sur la condamnation de Moïse Katumbi était déjà diffusée sur la chaîne de télévision Télé 50 (NDLR : proche de la Majorité présidentielle). C’était donc la preuve que tout avait été prévu d’avance, que cette affaire était montée de toutes pièces.
AS : Revenons s’il vous plait à votre confrère magistrat. Que s’est-il passé pour lui par la suite ?
Juge Chantal Ramazani : Notre confrère a finalement était contraint d’apposer lui aussi sa signature sur le jugement le lendemain. Comment ? Le Procureur général a envoyé l’Avocat général, accompagnés d’officiers de police pour l’occasion, pour l’enlever – il n’y a pas d’autres termes. Au tribunal, nous étions tous paniqués. Les autres magistrats, apeurés, se sont enfuis. C’était terrible. Un peu plus tard, j’ai appris que finalement notre confrère avait signé. J’ai alors envoyé un texto au Premier Président pour l’en informer.
AS : Pourquoi avez-vous décidée de révéler de tels faits d’une particulière gravité ?
Juge Chantal Ramazani : Si je tiens à dénoncer ces méfaits, c’est d’abord pour soulager ma conscience. J’ai très mal vécu tous ces événements. Ensuite, c’est aussi pour que justice soit rendue. On a condamné une personne, Moïse Katumbi, sur la base d’un faux procès. A aucun moment dans cette affaire, le fond n’a été abordé. Nous n’avons même pas lu le dossier, faute de temps. Mais en réalité, ce ne sont pas les juges qui ont condamnés Moïse Katumbi. Ce sont les politiques.
AS : Vous avez dit que le plaignant, M. Stoupis, semblait particulièrement soutenu à l’occasion de cette procédure visant Moïse Katumbi. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Juge Chantal Ramazani : M. Stoupis aurait du verser à l’Etat 30.000 dollars de caution. Mais il s’est présenté à l’audience avec un certificat d’indigence au motif qu’il ne pouvait pas payer les frais de justice. En même temps, il est venu au tribunal accompagné de très grands avocats. Il logeait à l’hôtel. Comment une telle personne qui se dit indigente peut-elle se le permettre ? C’est complétement incohérent. A ce moment-là, j’ai à nouveau subi des menaces de la part du Premier Président qui m’a ordonné de faire droit à la demande de M. Stoupis. Le bâtonnier m’a lui aussi appelé, le samedi, en me tutoyant pour me menacer : « si tu ne le fais pas, tu auras des problèmes ». Le greffier, qui devait lui aussi signer l’ordonnance permettant à Stoupis de ne rien payer, a reçu les mêmes menaces. Nous avons donc été contraints de nous exécuter.
AS : Y a-t-il d’autres éléments de procédure qui vous ont surpris dans ce dossier ?
Juge Chantal Ramazani : Oui, Moïse Katumbi a fait opposition dans le cadre de cette procédure en souhaitant que l’affaire soit jugée au mois de septembre 2016. Les avocats de Stoupis ont alors demandé qu’elle le soit le 18 juillet. J’étais surprise. Le Premier Président m’a alors appelée en me menaçant. « Tu dois donner une date », m’a t-il dit. Comme je trainais les pieds, Kalev Mutond lui-même m’a téléphoné. L’affaire a finalement été fixée au 25 juillet 2016.
AS : Comment se sont déroulés les derniers jours de juillet 2016 menant à la condamnation de Moïse Katumbi ?
Juge Chantal Ramazani : Avant le 25 juillet, date du prononcé du jugement, le Premier Président m’a demandé le dossier physique contenant l’ensemble des pièces. Il ne me l’a rendu que le 22 juillet, accompagné d’un jugement déjà pré-rédigé, à charge pour nous de le prononcer trois jours plus tard…
AS : Qu’avez-vous pensé de ce jugement rédigé d’avance ?
Juge Chantal Ramazani : J’étais scandalisée. Qui plus est, sur la forme, il est très mal rédigé, vicié sur plusieurs points. Plusieurs des formulations qui apparaissent ne sont jamais employées par un Tribunal de paix. Un tel jugement, ne serait-ce que sur le plan formel, ne peut être considéré comme valide.
AS : Quelle a alors été votre réaction ?
Juge Chantal Ramazani : J’ai décidé d’écrire pour dénoncer ces actes graves à notre ministère de tutelle, le ministre de la Justice. J’ai demandé dans ce courrier que ma signature soit retirée du jugement parce qu’elle avait en réalité été extorquée. Malheureusement, le ministre ne m’a jamais répondu. Et personne depuis n’a osé dénoncer ces faits très graves. Ni le conseil de la magistrature, ni les syndicats de magistrats. C’est d’autant plus décevant qu’à l’heure où je vous parle beaucoup de magistrats en RDC travaillent sous pression. Dans notre pays, le pouvoir politique instrumentalise la justice.
AS : Quelles ont été, pour vous les conséquences de ces dénonciations ?
Juge Chantal Ramazani : Quand j’ai dénoncé ces méfaits, des militaires ont été envoyés chez moi. Ils ont arrêté mon chauffeur. Des compatriotes m’ont alors aidé à m’enfuir. Ma photo était placardée partout, même à l’aéroport. Mais j’ai finalement réussi à m’échapper par la grâce de Dieu et j’ai été « exfiltré » en Europe.
AS : Que demandez-vous désormais ?
Juge Chantal Ramazani : Je demande que ma signature soit retirée du jugement condamnant Moïse Katumbi. J’ai signé ce jugement sous la menace. Ce jugement ne peut donc être valide. Il est nul et de nul effet.
Source : www.afrik.com