Ilich Ramirez Sanchez, dit Carlos, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’attentat du Drugstore Publicis ce mardi 28 mars. La défense n’aura cessé de dénoncer un procès qui laisse le doute planer.
La salle numéro 3 de la cour d’assises spéciale de Paris était pleine ce lundi 27 mars après-midi. Et pour cause, nous sommes à la veille de la fin du procès d’Ilich Ramirez Sanchez, dit “Carlos”, démarré quatorze jours auparavant. “La filleule de mon client peut-elle aller embrasser son parrain ?”, demande Me Isabelle Coutant-Peyre en préambule de l’audience, l’une des avocates de la défense alors que les enfants de moins de 15 ans ne sont d’ordinaire pas admis au sein d’une cour d’assise.
A quelques mètres, assis dans la salle, le père de la fillette se frotte les yeux humides en regardant la scène. Cet homme, c’est l’humoriste et polémiste Dieudonné, récemment condamné en appel à deux mois de prison ferme et 9 000 euros d’amende pour incitation à la haine et tenue de propos antisémites par la justice belge.
Figure du terrorisme internationaliste des années 1970, Carlos est aujourd’hui âgé de 67 ans et est jugé pour assassinats terroristes. Le 15 septembre 1974, aux alentours de 17 h une grenade lancée dans le Drugstore Publicis de Saint-Germain-des-Près tue deux personnes et en blesse trente-quatre autres.
Un procès qui se tient alors 43 ans après les faits, et qui relève d’une certaine “archéologie judiciaire”, comme le souligne la défense. La plupart des témoins ont disparu, les policiers de l’époque aussi, et la dernière juge qui a traité l’affaire est à la retraite. Par deux reprises, en 1989 et en 1999, Carlos a bénéficié d’un non-lieu.
Déjà deux fois condamné à la peine maximale
Ce “révolutionnaire professionnel”, comme il aime se définir, encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Mais Carlos a déjà été condamné deux fois à la peine maximale depuis son arrestation en 1994 : pour le meurtre de trois hommes en 1975 à Paris, dont deux policiers, et pour quatre attentats faisant onze morts et blessant plus de 150 personnes, à Paris, Marseille, et dans deux trains.
Lundi matin, l’avocat général a estimé qu’il y avait une “concordance d’imputabilité” des éléments accusant Carlos et a exigé la réclusion criminelle à perpétuité. “J’ai l’intime conviction qu’il est l’auteur de l’attentat du Drugstore”, lâche Rémi Crosson.
“J’ai plaidé à quatre reprises pour Carlos, et je n’ai jamais vu des réquisitions aussi express, c’est un record pour réclamer une réclusion à perpétuité”, rétorque alors Me Coutant-Peyre, en préambule de sa plaidoirie. L’avocate, qui est en également l’épouse du révolutionnaire, fustige “un procès politique” et “qui n’a aucun sens judiciaire” puisque “définitivement jugé en 1983”.
Dans le box, l’accusé reste relativement calme et affiche une mine détendue, commentant parfois les fins de phrase de ses avocats ou faisant un signe de la main aux personnes venues le soutenir. Me Coutant-Peyre accuse l’Etat français d’avoir tenter de “flinguer” Carlos.“On entend des leçons sur le respect de la vie humaine, mais des fonctionnaires des services spéciaux français ont essayé de le descendre”, poursuit Me Coutant-Peyre avant de revendiquer la “liberté des idéologies” :
“L’objectif, ici, c’est de criminaliser le combat pour les Palestiniens, un communiste, un révolutionnaire. Est-ce le rôle de la France ?!”.
L’avocate ne prononce pas un seul mot envers les victimes de l’attentat du Drugstore mais parle des “milliers de Palestiniens massacrés en Jordanie” pour qui “il n’y a jamais eu de procès”.
“Le doute profite”
“Vous êtes obligés d’acquitter, le doute profite, ce n’est parce qu’on est dans un procès politique de quelqu’un condamné deux fois à perpétuité, ce n’est pas parce qu’il y a ces deux condamnations qu’il faut en ajouter une autre”, termine-t-elle avant de sortir le carton de bouteille de champagne. Et de la disposer bien en évidence sur son pupitre. “Si je perds, elle sera pour vous, et si je gagne, elle me reviendra”.
C’est ensuite Me Francis Vuillemin qui prend la parole pour la défense. “Vous avez survolé les faits”, tonne-t-il d’une voix gutturale en se tournant vers l’avocat général.
“On soutient la culpabilité de Carlos dans une nébuleuse d’éléments, réunies dans le cadre d’une procédure où le droit a été injurieux et les preuves torturées, (…) et la loi fondamentale de la prescription violée, martèle-t-il. Nourri, logé, escorté depuis 20 ans, avec l’argent du contribuable français… Vous faites partie du patrimoine national, classé au monument historique ! “
De manière extrêmement méthodique, Me Francis Vuillemin se lance alors dans une fragilisation point par point des arguments de l’accusation. Il démarre en pointant du doigt les incohérences des récits des témoins et explique comment n’importe qui peut correspondre à la description donnée. “Même vous monsieur le président !”.
“Le seul trait commun aux dizaines de témoins font la description d’un homme sans barbe et qui ne porte pas de moustache, et qui n’était pas de race noire, ça fait beaucoup de monde !”, insiste-t-il avant de fustiger le procédé d’ “un album entonnoir”. Lors du premier procès, en 1989, plusieurs photos avaient été montrées aux témoins dans un album contenant des portraits d’hommes barbus, de femmes, et certains clichés de Carlos à l’époque des faits.
L’avocat de la défense met en lumière des témoignages qui changent au fil des années. “Tous ces témoignages, je vous demande de faire comme s’il n’avaient jamais existé”. Et met en doute l’expertise de la grenade, dont la description varie aussi selon les témoignages : écailles, lisses, kaki, ou encore marron.
“Quel type de grenade a explosé à Saint-Germain ? On n’en sait rien du tout !, insiste Me Vuillemin. Et ça, ce sera pour l’appel.” L’avocat dénonce ensuite “la mascarade Klein-Amparo” : l’ex-maîtresse et l’ex-compagnon d’armes de Carlos, dont les témoignages déterminants pour l’accusation, comportent quelques contradictions. “Vous pouvez imaginez que Carlos a monté l’opération mais vous ne pouvez pas en être sûrs”, ne cesse-t-il de marteler.
Le piste du “Furet du nord”
Me Vuillemin se penchera ensuite longuement sur une autre piste, rapidement délaissée par les magistrats de l’époque : celle d’un attentat orchestré contre M. Bleustein-Blanchet, propriétaire de Publicis. “Il fallait suivre la piste du Furet du Nord”, clame-t-il. Quelques jours avant l’attentat du Drugstore, un homme avait envoyé des messages menaçant envers M. Bleustein-Blanchet, signé par ce nom de code, “le Furet du Nord”. Or, c’est aussi l’appellation d’une librairie située à Lille. A travers ces menaces les enquêteurs de l’époque vont s’intéresser à une habitant de Lille, un militant d’extrême droite fasciné par le régime nazi et qui tient des propos antisémites. “J’ai une certaine sympathie pour le temps d’Hitler”, avait-il déclaré aux enquêteurs en 1974. Dans une lettre farfelue adressée à la DST, il fait référence au “chef-vendeur du Furet du nord, à Lille”. Une histoire qui contient “beaucoup de coïncidences concomitantes”, selon l’avocat.
“Carlos ne facilite jamais la tâche de ses avocats, il joue, il provoque, ils vous tend un piège. Il est assis sur deux condamnations à perpétuité, il peut se payer le luxe d’une erreur judiciaire, il peut se payer le luxe d’une troisième perpétuité qui ne changera rien. Dans le monde de Carlos, si vous le condamnez il gagne, et si vous l’acquittez, il perd. Alors acquittez Carlos, il passera ses nerfs sur ses avocats”, conclut Me Vuillemin après deux heures de plaidoirie.
Condamnation à perpétuité
Mardi 28 mars marque la fin de ce procès médiatique long de quinze jours au total. Vêtu d’un costume noir élégant et les bras appuyés sur la vitre de son box, le révolutionnaire vénézuélien s’adresse pour la dernière fois à la Cour avant le verdict. “J’ai mes habitudes aux assises, c’est de famille. J’y suis allé pour la première fois à 14 ans”, commence-t-il en référence à son père avocat. “C’est un procès absurde, déplore le vieil homme avec un accent hispanique très prononcé. Une vieille affaire de 43 ans, où il y a eu deux fois non-lieu, et pas de confrontation avec les témoins”.
“Nous les fedayin (les combattants palestiniens, ndlr) on ne balance pas, et on ne coopère pas avec la justice”, déclare-t-il avant d’ajouter : “Les victimes méritent la compassion”. Et de conclure en saluant la Cour : “J’ai déjà assez parlé, je suis sûr que vous allez prendre la décision correcte”.
Dans l’après-midi, la Cour a finalement suivi les réquisitions de l’avocat général, considérant que “tous les éléments accumulés durant l’enquête” convergeaient “vers lui”, rapporte l’AFP. Ilich Ramirez Sanchez a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’attentat du Drugstore Publicis.
Source : www.lesinrocks.com
Date de l’article : 28 mars 2017