AFFAIRE DU COLLIER DE LA REINE

ACTE I – UNE JEUNESSE EPOUVANTABLE

Jeanne de Valois-Saint-Rémy, plus connue sous le nom de Comtesse de la Motte-Valois, naît en juillet 1756 dans un bled paumé de Bourgogne. Très jeune, on lui apprend qu’elle est issue directement d’une lignée bâtarde du roi de France Henri II. Une information difficile à admettre pour cette petite fille qui vit avec sa famille dans la misère la plus totale!

Son père, un ancien soldat, vit de petits boulots et de braconne. Quant à sa mère, pour oublier sa vie misérable, elle boit à en devenir méchante. Mais l’alcool a au moins cette vertu de lui donner le courage de se prostituer pour joindre les deux bouts…

Dur, dur, pour la petite Jeanne, qui se retrouve parfois dans la rue à faire la mendicité! Petite bouffée d’oxygène dans la vie morose de la jeune fille: son frère Jacques et sa sœur Marie-Anne avec qui elle est très liée.

Alors qu’elle a à peine 6 ans, son père meurt, et sa mère en profite pour aller refaire sa vie au bras d’un beau et jeune soldat. Ses trois enfants? Peu lui importe! C’est un fardeau bien trop lourd qui l’empêche de profiter des plaisirs de la vie… Elle leur a déjà donné la vie, n’est-ce pas suffisant?

Et voilà les trois enfants à la rue, livrés à eux-mêmes. Jacques, l’aîné, vient tout juste d’avoir 11 ans… Endossant la responsabilité de chef de famille, il prend soin comme il peut de ses petites sœurs. Les trois gamins vivent de mendicité et dorment là où ils peuvent. Une jeunesse pareille, il y a de quoi traumatiser un enfant, c’est sûr! Toute sa vie, Jeanne en conservera d’ailleurs un farouche désir de revanche: hors de question de vivre la même vie que ses parents!

Les trois pauvres gosses sont repérés par un abbé qui se prend de pitié pour eux. Il les oriente vers une certaine marquise de Boulainvilliers qui, dans sa grande mansuétude, vient en aide à tous les nobles désargentés. On prend soin de mener une petite enquête sur les enfants pour vérifier leur origine royale. Le pedigree est confirmé! La Boulainvilliers prend alors toute la fratrie sous son aile…

On donne à Jacques, le grand frère, une petite pension et on le fait rentrer dans une école d’officier. Son avenir est tout tracé, il arpentera les mers du globe au service de sa Majesté. Il connaîtra une belle carrière, finira lieutenant de vaisseau, et mourra en service sur l’île Maurice à seulement 34 ans. Dont acte. Au moins aura-t-il vu du pays.

Jeanne et sa sœur Marie-Anne sont quant à elles placées au couvent de Longchamp. Au couvent! Jeanne rêve d’une vie d’aventures, de princes charmants et de bijoux en or, pas de soutane et de prières! Alors le couvent… Soyons sérieux! Rouvray). Elle a subsisté jusqu’à la Révolution.

ACTE II – UN PETIT COUP DE POUCE DU DESTIN

La petite Jeanne sera patiente, pourtant! Ce n’est qu’à l’âge de 24 ans qu’elle persuade sa sœur de fuir avec elle le couvent de Longchamp et, toutes les deux, elles prennent la poudre d’escampette. Drôle de façon de remercier celles qui les ont accueillies, nourries et blanchies durant de longues années !

Jeanne n’a pas beaucoup d’atout dans sa poche. Elle n’est pas spécialement jolie, pas spécialement intelligente… Mais elle est de descendance royale, et elle compte bien le faire savoir et le faire fructifier!

Sans le sou, les demoiselles atterrissent dans le village de Bar-sur-Aube, pas très loin de leur lieu de naissance. Elles ne passent pas inaperçues, ces deux grandes sauterelles, qui clament haut et fort leur nom à particule. La famille Surmont, une des plus riches familles de la région, entend parler de ces deux étranges demoiselles et décident à leur tour de les prendre sous leur aile: elles sont accueillies en grande pompe dans la somptueuse demeure familiale…

Quelques mois plus tard, en janvier 1780, tout le monde apprend une nouvelle surprenante: Jeanne de la Motte-Valois va épouser le neveu de ses logeurs, un certain d’Arsonval, gendarme du roi.

D’Arsonval est laid. D’Arsonval n’est pas très intelligent. Est-il riche, au moins? Non plus! C’est son oncle, le sieur Surmont, qui doit subvenir à ses besoins… Mais que va-t-elle faire dans cette galère!? Elle qui clamait haut et fort qu’elle n’épouserait qu’un homme titré et fortuné… Quand des petits jumeaux viennent au monde six mois plus tard, on comprend mieux les raisons précipitées de ce mariage… Jeanne n’a pas le moins du monde envie de s’encombrer de ces deux moutards. Et lorsqu’ils meurent tous les deux quelques jours plus tard, ça l’arrange plutôt bien…

Nous retrouvons le couple 4 ans plus tard à Paris. Jeanne est très volage et accorde ses faveurs à beaucoup d’hommes, pourvu qu’il ait du charme (un peu), de l’argent (beaucoup) ou un titre (surtout). Bientôt, elle fait la connaissance du cardinal de Rohan…

Le mari de Jeanne se satisfait de cette situation et, au passage, se fait appeler « comte ». Rien, pourtant, ne l’autorise, de près ou de loin, à arborer un tel titre! Et c’est ainsi que Jeanne de la Motte devient la Comtesse de la Motte, un nom qui lui sera bien utile plus tard pour monter ses petites magouilles…
Interlude – Pendant ce temps-là, à la cour du roi…

1772. Louis XV veut gratifier sa chère Madame du Barry d’un magnifique collier.

Enfin, non, pas un « magnifique » collier du genre de ceux qu’on voit dans les bijouteries. Un « magnifique » collier du genre qu’on ne voit nulle part, qu’on fabrique sur-mesure, à la beauté inégalée dans le monde, et avec des diamants gros comme des œufs de caille.

Il met le bijoutier le plus en vogue du moment sur le coup, et bientôt la composition est terminée. Manque de bol, Louis XV meurt entre-temps…

Mince! Voilà notre bijoutier qui a investi une petite fortune en pierres et qui se retrouve avec un collier sur les bras!

Parce que soyons clairs, à part le roi, pas grand monde a les moyens de se l’offrir, ce collier…ressembler à un sapin de noël en moins de trois secondes

1778.

Le bijoutier tente d’approcher la reine de France Marie-Antoinette.

Ah! Que vous êtes belle! Ah, que vous êtes jolie! Sans rire, si votre visage s’accordait avec ce doux appareillage, vous seriez la phénix des hôtes de ce roi!

Mais rien à faire… Marie-Antoinette reste inflexible. Selon elle, l’argent pourrait être bien mieux dépensé pour le royaume, en achetant des navires de guerre par exemple (et pan! l’idée reçue selon laquelle Marie-Antoinette est une idiote sans cervelle qui ruina la France en prend un sacré coup dans l’aile!) (à moins que, comble du raffinement, elle refuse tout simplement de porter un collier conçu pour une autre femme?)

(Nan, je préfère la première hypothèse)

En attendant, le bijoutier désespère…

La reine Marie-Antoinette – « Eh ouais, la du Barry, moi j’ai pas besoin de collier pour être belle! »

ACTE III – CE PAUVRE CARDINAL DE ROHAN QUI SE FAIT PRENDRE AU PIEGE…

Le cardinal de Rohan est encore et toujours sous le charme de sa belle Jeanne de la Motte. Pour elle, rien n’est trop beau et il la comble de cadeaux et d’argent liquide. Sentant le bon filon, Jeanne met au point un plan diabolique…

Elle sait que le cardinal est en froid avec Marie-Antoinette, pour de sombres histoires politiques, et cette histoire le fait souffrir au plus haut point. Ah! Que ne donnerait-il pour être de nouveau dans les petits papiers de la reine!

Jeanne profite de la situation en lui faisant croire qu’elle est une amie intime de la reine. Par son entremise, le cardinal de Rohan peut espérer une réconciliation! Et Jeanne d’organiser un rendez-vous nocturne entre le cardinal et Marie-Antoinette dans les jardins de Versailles…

Nous sommes le 11 août 1784.

Marie-Antoinette, vraiment? Non! Elle loue les services d’une prostituée réputée pour se ressemblance frappante avec la reine…

Le piège diabolique se referme… Il ne reste plus qu’à convaincre ce pauvre cardinal que Marie-Antoinette est prête à tirer une croix sur le passé à condition qu’il lui donne un petit coup de pouce.

Imitant l’écriture de la reine, Jeanne transmet un courrier au cardinal en janvier 1785 dans lequel Marie-Antoinette lui demande de servir d’intermédiaire pour l’achat du fameux collier.

Oh, pas grand chose! Il faudrait juste qu’il aille trouver le bijoutier et qu’il achète le collier en son nom. Mais pas besoin d’engager d’argent, non! Elle s’engage par écrit à payer au bijoutier les 1.6 million de livres demandés par 4 versements de 400.000 livres espacés dans le temps.

La première échéance, bien sûr, lui parviendra rapidement.

Pourquoi ne peut-elle payer la somme comptant?

La raison est très simple: il ne faut pas que le peuple apprenne que l’argent public est dilapidé pour un bijou.

Nous sommes en 1785 et, déjà, dans les rues, certaines voix s’élèvent contre la mauvaise gestion du royaume!

Avec 1,6 million de livres, on peut s’acheter 3 énormes châteaux avec des parcs immenses… ça donne une petite idée de ce que représente cette somme colossale. Bien sûr, Marie-Antoinette demande à ce que le collier soit remis à sa très chère amie Jeanne qui viendra lui apporter elle-même…

Trop heureux de pouvoir enfin se débarrasser de ce maudit collier, le bijoutier ne se fait pas prier. Quant au cardinal, il n’a pas à avancer le moindre centime, voilà un service facile à rendre à Marie-Antoinette!

Les deux hommes ne sentent pas venir le coup de Trafalgar…

Sans se méfier, ils concluent l’accord, considérant qu’un écrit de la reine en personne est un gage suffisant. Le collier est remis à Jeanne de la Motte. Cette dernière se presse de dessertir toutes les pierres du collier et de les revendre à l’unité au marché noir…

Bien sûr, quelque temps plus tard, quand le bijoutier ne voit pas la couleur du moindre centime, il ne manque pas de faire grand bruit de l’affaire. Et le cardinal de Rohan d’être arrêté pour escroquerie… Il est arrêté le 15 août 1785 !
Malheureusement, même si l’enquête blanchit totalement Marie-Antoinette, l’opinion publique, elle, se persuade du contraire. Cette sale Autrichienne qui dilapide l’argent du royaume, voilà la responsable de tous les maux!

Au terme d’un procès public, le cardinal de Rohan lui aussi fut jugé non-coupable et acquitté. Acquitté? Non, pas tout à fait, il est quand même condamné à rembourser le collier. Faut pas déconner…

Notre chère Jeanne de la Motte, bien sûr, fut déclarée coupable, et condamnée à la prison à perpétuité. Comme toutes les voleuses de l’époque, on la marque d’un V au fer rouge.fer rouge sur la poitrine de Jeanne

Fin de l’histoire? Non, cette sacrée Jeanne fait encore parler d’elle!

Elle s’évade de prison et part pour Londres, bien décidée à monter une ou deux petites escroqueries histoire de remonter la pente. Elle prend même le temps de raconter son histoire dans ses Mémoires…

Londres, un jour d’août 1791

Jeanne est désespérée. Un mal de tête épouvantable, souvenir de sa cuite de la veille au soir, l’empêche de réfléchir efficacement. Assise sur le bord du lit de sa chambre d’hôtel bon marché, elle pleure, comme elle n’a jamais pleuré de toute sa vie. Comment en est-elle arrivée là?

Bientôt, on frappe violemment à sa porte.

– Ouvrez, Madame, nous savons que vous êtes là!

Jeanne réfléchit à vive allure. La police? Elle se précipite à la fenêtre pour contrôler l’activité de la rue et ne distingue rien d’anormal. Non, pas la police, ils auraient déjà bouclé tout le quartier. Sûrement un de ses nombreux créanciers.

Mais comment ont-ils bien pu faire pour la retrouver?

Elle prend pourtant grand soin de donner des faux noms aux réceptions des hôtels où elle se rend. Vite, il n’y a pas de temps à perdre.

Elle ramasse un foulard qui traîne par terre, récupère deux trois affaires qu’elle fourre dans sa jupe et se précipite vers la fenêtre.

Troisième étage.

Un instant d’hésitation, une goutte de sueur qui perle sur son front. N’est-ce pas trop haut?

Derrière elle, elle entend les hommes en train d’essayer d’enfoncer la porte.

Non, elle sait qu’elle peut le faire.

Elle essuie ses mains moites sur le tissu de sa jupe avant d’enjamber le rebord de la fenêtre.

Elle se trouve une prise solide à laquelle elle s’agrippe fermement, puis fait descendre doucement tout son corps le long du mur. Un moment d’hésitation.

Et si c’était vraiment trop haut?

Quand elle lâche sa prise, Jeanne retient sa respiration et ferme les yeux.

Quelques secondes plus tard, deux hommes pénètrent dans la chambre. Ils comprennent tout de suite que la fille de l’air vient une nouvelle fois de leur filer sous le nez. Ils se ruent vers la fenêtre grande ouverte.

En contrebas, allongée sur le dos, gît le corps d’une femme. Un filet de sang coule depuis ses lèvres et se répand le long des pavés. Sous l’œil indifférent des passants, une bise légère effleure délicatement sa peau et soulève son corsage, dévoilant pudiquement sur sa poitrine un V gravé au fer rouge.

Jeanne meurt défenestrée dans des circonstances pas tout à fait élucidées (suicide? accident?) à l’âge de 35 ans, le 23 août 1791.

Source : www.etaletaculture.fr