Cesare Terranova devient magistrat en 1946. Il deviendra juge d’instruction à Palerme en 1958 et sera le pionnier de la lutte antimafia en Sicile en s’attaquant aux membres de Cosa nostra sans aucune concession.
Le juge Terranova fut une figure de proue de l’acte d’accusation faisant suite à la première guerre de la mafia qui se déroula de décembre 1962 au 30 juin 1963. Une lutte de pouvoir qui se termina tragiquement avec le massacre de Ciaculli (7 représentants des forces de l’ordre trouvent la mort dans un attentat à la voiture piégée par l’attentat). Là, l’état ne peut plus se bercer du fameux «Tant qu’ils se tuent entre eux» qui permettait de tranquilliser l’opinion bourgeoise. Une commission d’enquête parlementaire est mise sur pied.
Les instructions menées par Terranova vont bouleverser les organigrammes, provoquent la dissolution de la Coupole mafieuse et entraînent la paralysie de la mafia.
En 1968, 117 des protagonistes de la Première Guerre mafieuses furent traduits en justice. Le 22 décembre 1968, le verdict tombe et se montre extrêmement décevant. Seuls quelques mafiosi sont condamnés à de lourdes peines de prison. La plus longue échut au boss de l’Uditore, Piertro Torretta pour le meurtre de deux hommes à son domicile. Il écope de 27 ans. Angelo La Barbera écope quant à lui de 22 ans et 6 mois. Jugés par contumace, Michele Greco en prend pour 10 ans alors que Tommaso Buscetta 14 ans. Les autres prévenus furent acquittés pour insuffisance de preuve et ceux qui furent condamnés à de courtes peines ressortirent libres du tribunal après avoir purgé leur peine en détention préventive. La déception est grande pour le juge Terranova.
Au cours de ses instructions, Cesare Terranova fut l’un des premiers à reconnaître l’existence d’un gouvernement au sein de Cosa nostra. Il indiquera dans un de ses verdicts que la mafia n’est pas un concept abstrait ni un état d’esprit, mais bel et bien une criminalité organisée, efficace et dangereuse, fonctionnant en agrégats, en groupes, en familles ou mieux encore en «Cosca». Il ajoutera qu’il existe une seule mafia, ni vieille ni jeune, ni bonne ni mauvaise. Appuyant ses dires en déclarant haut et fort que la mafia ne soit pas un mythe comme certains essayent de le faire croire à cette époque, mais qu’il s’agit d’une association criminelle.
Le juge Terranova qui est l’un des seuls hauts magistrats communistes a également mené des enquêtes sur les liens existant entre la mafia et le monde politique. Il soupçonnait l’homme politique Salvatore Lima, alors maire de Palerme, d’être de mèche avec un certain nombre de mafieux, y compris Angelo La Barbera. Ce qui se révéla exact quelques années plus tard.
Le juge Terranova n’avait jamais caché son ambition de faire coffrer le chef des Corleonais Luciano Leggio. En 1965, Terranova rédige un acte d’accusation contre 64 mafiosi de Corleone, pour une série de meurtres entre 1958 et 1963. Dont l’une des victimes est l’ancien parrain de Corleone, Michele Navarra.
Le 10 juin 1969, les 64 accusés sont acquittés. Luciano Leggio est condamné avec sursis, car reconnu du bout des lèvres par le jury coupable d’un vol de céréales commis en 1948. Il sera acquitté des meurtres notamment du syndicaliste Placido Rizzotto et de son ancien chef Michele Navarre. Notons que les juges et les procureurs avaient reçu à un rythme régulier des lettres anonymes les menaçant de mort. Salvatore Riina — successeur de Leggio — sera également acquitté lors de ce procès.
Le Parquet fit tout de même appel contre le verdict et Leggio qui ne se présenta bien entendu par à son procès fut condamné par contumace en 1970. Il restera en fuite jusqu’en 1974 où il fut capturé et placé en détention.
Le juge Terranova interroge le parrain de Corleone.
Au cours d’un interrogatoire, Luciano Leggio refusa de répondre aux questions du juge Cesare Terranova. Il poussa l’arrogance en disant au magistrat qu’il ne se souvenait même plus du nom de ses parents. Loin de se décontenancer, Terranova demanda au greffier:
«Écrivez que Luciano Leggio ne sait pas de qui il est le fils».
Cette petite phrase rendit Leggio totalement fou de rage et depuis ce jour, il ressentit une haine profonde envers le magistrat qui relata sa réaction: «Leggio écumait de rage et il m’aurait tué sur place s’il l’avait pu»
Après l’échec de lutte contre la mafia par les tribunaux, Cesare Terranova changea de stratégie. Il démissionna de la magistrature et fut élu en mai 1972 en tant que représentant du Parlement italien pour la gauche indépendante sous les auspices de Parti communiste italien (PCI).
Il devint secrétaire de la Commission antimafia créé en 1963 à la suite du massacre de Ciaculli. En 1976, Cesare Terranova et le député communiste Pio La Torre rédigent un rapport minoritaire de la Commission antimafia. Ce document soulignait les liens existants entre la mafia et des politiciens de premier plan, en particulier de la démocrate-chrétienne (DC).
Cependant, ce rapport et la documentation de la Commission antimafia sont ignorés par la classe politique qui argumente que ces liens n’existent plus. Cesare Terranova déclara que la Commission avait perdu treize années et ne brigua pas un nouveau mandat
En juin 1979, il demanda sa réintégration à la magistrature au sein du bureau d’instruction de Palerme, bien décidé à combattre la mafia et l’amener devant les tribunaux. Il dira à sa femme très angoissée par son choix «Ne t’inquiète pas. La mafia ne s’attaquera jamais à un juge.»
L’assassinat du juge Cesare Terranova
Il y avait à peine une semaine que Tarranova avait quitté ses fonctions parlementaire à Rome pour revenir en Sicile. Le 25 septembre 1979, à 8 h 30 du matin, Cesare Terranova fut tué via Marchese de Villabianca, devant sa maison située dans un quartier résidentiel de Palerme. Malgré le risque d’être vus, les 3 tueurs de criblèrent d’une trentaine de balles et prirent le temps de s’approcher du vieux magistrat pour lui administrer le coup de grâce. En outre, son garde du corps, le maréchal de police Lenin Mancuso ne fut pas épargné lui non plus. Cosa nostra exhibait sauvagement sa puissance. Le message était clair.
C’est depuis sa prison que Luciano Leggio ordonna en 1974 le meurtre du juge Terranova comme une vengeance à l’outrage subit lors de son interrogatoire dans les années soixante. La coupole de la mafia accepta à condition que ce dernier soit assassiné à Rome et non pas en Sicile. Le meurtre est toutefois laissé en suspens pour ne pas mettre en péril les espoirs des parrains de faire libérer Leggio. Les tractations échouèrent. Ce qui signa l’arrêt de mort du juge Terranova. L’ordre d’exécution est confirmé par la Coupole en juin 1979, lors d’une nouvelle réunion des principaux parrains de Cosa nostra.
Source : Leshommesdelantimafia.wordpress.com