CHAPITRE 3 : DES HYPOTHEQUES

ARTICLE 2114

L’hypothèque est un droit-réel sur les immeubles affectés à l’acquittement d’une obligation.

Elle est, de sa nature, indivisible, et subsiste en entier sur tous les immeubles affectés, sur chacun et sur chaque portion de ces immeubles.

Elle les suit dans quelques mains qu’ils passent.

ARTICLE 2115

L’hypothèque n’a lieu que dans les cas et suivant les formes autorisés par la loi.

ARTICLE 2116

Elle est ou légale, ou judiciaire, ou conventionnelle.

ARTICLE 2117

L’hypothèque légale est celle qui résulte de la loi. L’hypothèque judiciaire est celle qui résulte des jugements ou actes judiciaires.

L’hypothèque conventionnelle est celle qui dépend des conventions et de la forme extérieure des actes et des contrats.

ARTICLE 2118

Sont seuls susceptibles d’hypothèques :

  • les biens immobiliers qui sont dans le commerce, et les accessoires réputés immeubles ;
  • l’usufruit des mêmes biens et accessoires pendant le temps de sa durée.

ARTICLE 2119

Les meubles n’ont pas de suite par hypothèque.

ARTICLE 2120

Il n’est rien innové par le présent Code aux dispositions des lois maritimes concernant les navires et bâtiments de mer.

SECTION 1 :

DES HYPOTHEQUES LEGALES

ARTICLE 2121

Les droits et créances auxquels l’hypothèque légale est attribuée sont :

  • ceux des femmes mariées, sur les biens de leur mari ;
  • ceux des mineurs et interdits, sur les biens de leur tuteur ;
  • ceux de l’Etat, des communes et des établissements publics, sur les biens des receveurs et administrateurs comptables.

ARTICLE 2122

Le créancier qui a une hypothèque légale peut exercer son droit sur tous les immeubles appartenant à son débiteur, et sur ceux qui pourront lui appartenir dans la suite, sous les modifications qui seront ci-après exprimées.

SECTION 2 :

DES HYPOTHEQUES JUDICIAIRES

ARTICLE 2123

L’hypothèque judiciaire résulte des jugements soit contradictoires, soit par défaut, définitifs ou provisoires, en faveur de celui qui les a obtenus. Elle résulte aussi des reconnaissances ou vérifications, faites en jugement, des signatures apposées à un acte obligatoire sous seing privé.

Elle peut s’exercer sur les immeubles actuels du débiteur et sur ceux qu’il pourra acquérir, sauf aussi les modifications qui seront ci-après exprimées.

Les décisions arbitrales n’emportent hypothèque qu’autant qu’elles sont revêtues de l’ordonnance judiciaire d’exécution. L’hypothèque ne peut pareillement résulter des jugements rendus en pays étranger, qu’autant qu’ils ont été déclarés exécutoires par un tribunal français ; sans préjudice des dispositions contraires qui peuvent être dans les lois politiques ou dans les traités.

SECTION 3 :

DES HYPOTHEQUES CONVENTIONNELLES

ARTICLE 2124

Les hypothèques conventionnelles ne peuvent être consenties que par ceux qui ont la capacité d’aliéner les immeubles qu’ils y soumettent.

 

ARTICLE 2125

Ceux qui n’ont sur l’immeuble qu’un droit suspendu par une condition, ou résoluble dans certains cas, ou sujet à rescision, ne peuvent consentir qu’une hypothèque soumise aux mêmes condi­tions ou à la même rescision.

 

ARTICLE 2126

Les biens des mineurs, des interdits, et ceux des absents, tant que la possession n’en est déférée que provisoirement, ne peuvent être hypothéqués que pour les causes et dans les formes établies par la loi ou en vertu de jugements.

 

ARTICLE 2127

L’hypothèque conventionnelle ne peut être consentie que par acte passé en forme authentique devant deux notaires, ou devant un notaire et deux témoins.

 

ARTICLE 2128

Les contrats passés en pays étranger ne peuvent donner d’hypothèque sur les biens de France, s’il n’y a des dispositions contraires à ce principe dans les lois politiques ou dans les traités.

 

ARTICLE 2129

Il n’y a d’hypothèque conventionnelle valable que celle qui, soit dans le titre authentique constitutif de la créance, soit dans un acte authentique postérieur, déclare spécialement la nature et la situation de chacun des immeubles actuellement appartenant au débiteur sur lesquels il consent l’hypothèque de la créance. Chacun de tous ses biens présents peut être nominativement soumis à l’hypothèque.

Les biens à venir ne peuvent pas être hypothéqués.

 

ARTICLE 2130

Néanmoins, si les biens présents et libres du débiteur sont insuffisants pour la sûreté de la créance, il peut, en exprimant cette insuffisance, consentir que chacun des biens qu’il acquerra par la suite y demeure affecté à mesure des acquisitions.

 

ARTICLE 2131

Pareillement, en cas que l’immeuble ou les immeubles présents, assujettis à l’hypothèque eussent péri, ou éprouvé des dégradations, de manière qu’ils fussent devenus insuffisants pour la sûreté du créancier, celui-ci pourra en poursuivre dès à présent son remboursement, ou obtenir un supplément d’hypothèque.

 

ARTICLE 2132

L’hypothèque conventionnelle n’est valable qu’autant que la somme pour laquelle elle est consentie, est certaine et déterminée par l’acte : si la créance résultant de l’obligation est conditionnelle pour son existence, ou indéterminée dans sa valeur, le créancier ne pourra requérir l’inscription dont il sera parlé ci-après que jusqu’à concurrence d’une valeur estimative par lui déclarée expressément et que le débiteur aura droit de faire réduire, s’il y a lieu.

 

ARTICLE 2133

L’hypothèque acquise s’étend à toutes les améliora­tions survenues à l’immeuble hypothéqué.

 

SECTION 4 :

DU RANG QUE LES HYPOTHEQUES ONT ENTRE ELLES

ARTICLE 2134

Entre les créanciers, l’hypothèque, soit légale, soit indiciaire, soit conventionnelle, n’a de rang que du jour de l’inscription prise par le créancier sur les registres du conservateur, dans la forme et de la manière prescrites par la loi, sauf les exceptions portées en l’article suivant.

 

ARTICLE 2135

L’hypothèque existe, indépendamment de toute inscription :

  • au profit des mineurs et interdits, sur les immeubles appartenant à leur tuteur à raison de sa gestion, du jour de l’acceptation de la tutelle ;
  • au profit des femmes, pour raison de leurs dot et conventions matrimoniales, sur les immeubles de leur mari, et à compter du jour du mariage.

La femme n’a hypothèque pour les sommes dotales qui proviennent de successions à elles échues, ou de donations à elles faites pendant le mariage, qu’à compter de l’ouverture des successions ou du jour que les donations ont eu leur effet.

Elle n’a hypothèque pour l’indemnité des dettes qu’elle a contractées avec son mari, et pour le remploi de ses propres aliénés, qu’à compter du jour de l’obligation ou de la vente.

Dans aucun cas, la disposition du présent article ne pourra préjudicier aux droits acquis à des tiers avant la publication du présent titre.

 

ARTICLE 2136

Sont toutefois les maris et les tuteurs tenus de rendre publiques les hypothèques dont leurs biens sont grevés, et, à cet effet, de requérir eux-mêmes, sans aucun délai, inscription aux bureaux à ce établis, sur les immeubles à eux appartenant, et sur ceux qui pourront leur appartenir par la suite.

 

ARTICLE 2137

Les subrogés tuteurs seront tenus, sous leur responsabilité personnelle, et sous peine de tous dommages et intérêts, de veiller à ce que les inscriptions soient prises sans délai sur les biens du tuteur, pour raison de sa gestion, même de faire faire lesdites inscriptions.

 

ARTICLE 2138

A défaut par les maris, tuteurs, subrogés tuteurs, de faire faire les inscriptions ordonnées par les articles précédents, elles seront requises par [le procureur de la République] près le tribunal de première instance du domicile des maris et tuteurs, ou du lieu de la situation des biens.

 

ARTICLE 2139

Pourront les parents, soit du mari, soit de la femme, et les parents du mineur, ou, à défaut de parents, ses amis requérir lesdites inscriptions ; elles pourront aussi être requises par la femme et par les mineurs.

 

ARTICLE 2140

Lorsque, dans le contrat de mariage, les parties majeures seront convenues qu’il ne sera pris d’inscription que sur un ou certains immeubles du mari, les immeubles qui ne seraient pas indiqués pour l’inscription resteront libres et affranchis de l’hypothè­que pour la dot de la femme et pour ses reprises et conventions matrimoniales. Il ne pourra pas être convenu qu’il ne sera pris aucune inscription.

 

ARTICLE 2141

Il en sera de même pour les immeubles du tuteur, lorsque les parents, en conseil de famille, auront été d’avis qu’il ne soit pris d’inscription que sur certains immeubles.

 

ARTICLE 2142

Dans le cas des deux articles précédents, le mari le tuteur et le subrogé tuteur, ne seront tenus de requérir inscription que sur les immeubles indiqués.

 

ARTICLE 2143

Lorsque l’hypothèque n’aura pas été restreinte par l’acte de nomination du tuteur celui-ci pourra, dans ce cas où l’hypothèque générale sur ses immeubles excéderait notoirement les sûretés suffisantes pour sa gestion, demander que cette hypothèque soit restreinte aux immeubles suffisants pour opérer une pleine garantie en faveur du mineur.

La demande sera formée contre le subrogé tuteur, et elle devra être précédée d’un avis de famille.

 

ARTICLE 2144

Le mari pourra de même, avec le consentement de sa femme, demander que l’hypothèque générale sur tous ses immeubles pour raison de la dot, des reprises et des conventions générales, soit restreinte aux immeubles suffisants pour la conservation des droits de la femme.

Lorsque la femme refusera de renoncer à son hypothèque légale pour rendre possible une aliénation ou une constitution d’hypothèque que le mari devra faire dans l’intérêt de la famille, ou lorsqu’elle sera hors d’état de manifester sa volonté, le juge pourra autoriser, aux conditions qu’il estimera nécessaires à la sauvegarde des droits de l’épouse, la subrogation judiciaire de l’acquéreur ou du prêteur du mari à l’hypothèque légale de la femme.

Cette subrogation pourra erre autorisée, quel que soit le régime adopté par les époux, et aura de même effet que si la femme avait, par acte authentique, renoncé à l’hypothèque en la forme prévue à l’article 2135.

 

ARTICLE 2145

Les jugements sur les demandes des maris et tuteurs prévus aux articles précédents seront rendus dans les formes réglées par les articles 861 à 863 du Code de procédure civile.

Dans le cas où le tribunal prononcera la réduction de l’hypothèque à certains immeubles, les inscriptions prises sur tous les autres seront rayées.