CHAPITRE 2 : DES PRIVILEGES

ARTICLE 2095

Le privilège est un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d’être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires.

 

ARTICLE 2096

Entre les créanciers privilégiés, la préférence se règle par les différentes qualités des privilèges.

 

ARTICLE 2097

Les créanciers privilégiés qui sont dans le même rang sont payés par concurrence.

 

ARTICLE 2098

Le privilège, à raison des droits du trésor royal [public], et l’ordre dans lequel il s’exerce, sont réglés par les lois qui les concernent.

Le trésor royal [public] ne peut cependant obtenir-de privilège au préjudice des droits antérieurement acquis à des tiers.

 

ARTICLE 2099

Les privilèges peuvent être sur les meubles ou sur les immeubles.

 

SECTION 1 :

DES PRIVILEGES SUR LES MEUBLES

ARTICLE 2100

Les privilèges sont ou généraux, ou particuliers sur certains meubles.

 

PARAGRAPHE 1 :

DES PRIVILEGES GENERAUX SUR LES MEUBLES

ARTICLE 2101

Les créances privilégiées sur la généralité des meubles sont celles ci-après exprimées, et s’exercent dans l’ordre suivant :

  • les frais de justice ;
  • les frais funéraires ;
  • les frais quelconques de la dernière maladie, quelle qu’en ait été la terminaison, concurremment entre ceux à qui ils sont dus ;
  • les salaires des gens de service, pour l’année échue et ce qui est dû sur l’année courante, les sommes pour lesquelles un privilège est établi à l’article 549 du Code de commerce et les appointements de tous ceux qui louent leurs services pour les six derniers mois ;
  • les fournitures de subsistances faites au débiteur et à sa famille savoir, pendant les six derniers mois, pour les marchands en détail, tels que boulangers, bouchers et autres ; et pendant la dernière année, par les maîtres de pension et marchands en gros.

 

PARAGRAPHE 2 :

DES PRIVILEGES SUR CERTAINS MEUBLES

ARTICLE 2102

Les créances privilégiées sur certains meubles sont :

  • les loyers et fermages des immeubles sur les fruits de la récolte de l’année, et sur le prix de tout ce qui garnit la maison louée ou la ferme, et de tout ce qui sert à l’exploitation de la ferme: savoir, pour tout ce qui est échu, et pour tout ce qui est à échoir, si les baux sont authentiques, ou si, étant sous signature privée, ils ont une date certaine : et, dans ces deux cas, les autres créanciers ont le droit de relouer la maison ou la ferme pour le restant du bail, et de faire leur profit des baux ou fermages, à la charge toutefois de payer au propriétaire tout ce qui lui serait encore dû.
  • et, à défaut de baux authentiques, ou lorsque étant sous signature privée, ils n’ont pas une date certaine, pour une année à partir de l’expiration de l’année courante.

Le même privilège a lieu pour les réparations locatives, et pour tout ce qui concerne l’exécution du bail.

Néanmoins les sommes dues pour les semences ou pour les frais de la récolte de l’année sont payées sur le prix de la récolte, et celles dues pour ustensiles, sur le prix de ces ustensiles, par préférence au propriétaire, dans l’un et l’autre cas.

Le propriétaire peut saisir les meubles qui garnissent sa maison ou sa ferme, lorsqu’ils ont été déplacés sans son consentement, et il conserve sur eux son privilège, pourvu qu’il ait fait la revendication ; savoir, lorsqu’il s’agit du mobilier qui garnissait une ferme, dans le délai de quarante jours ; et dans celui de quinzaine, s’il s’agit des meubles garnissant une maison ;

  • la créance sur le gage dont le créancier est saisi ;
  • les frais faits pour la conservation de la chose ;
  • le prix d’effets mobiliers non payés, s’ils sont encore en la possession du débiteur, soit qu’il ait acheté à terme ou sans terme.

Si la vente a été faite sans terme, le vendeur peut même revendiquer ces effets tant qu’ils sont en la possession de l’acheteur, et en empêcher la revente, pourvu que la revendication soit faite dans la huitaine de la livraison, et que les effets se trouvent dans le même état dans lequel cette livraison a été faite.

Le privilège du vendeur ne s’exerce toutefois qu’après celui du propriétaire de la maison ou de la ferme, à moins qu’il ne soit prouvé que le propriétaire avait connaissance que les meubles et autres objets garnissant sa maison ou sa ferme n’appartenaient pas au locataire. Il n’est rien innové aux lois et usages du commerce sur la revendication.

  • les fournitures d’un aubergiste sur les effets du voyageur qui ont été transportés dans son auberge ;
  • les frais de voiture et les dépenses accessoires sur la chose voiturée ;
  • les créances résultant d’abus et prévarications commis par les fonctionnaires publics dans l’exercice de leurs fonctions, sur les fonds de leur cautionnement et sur les intérêts qui en peuvent être dus ;
  • les créances nées d’un accident au profit des tiers lésés par cet accident ou de leurs ayants droit sur l’indemnité dont l’assureur de la responsabilité civile se reconnaît ou a été judiciairement reconnu débiteur à raison de la convention d’assurance.

Aucun payement fait à l’assuré ne sera libératoire tant que les créanciers privilégiés n’auront pas été désintéressés.

 

SECTION 2 :

DES PRIVILEGES SUR LES IMMEUBLES

ARTICLE 2103

Les créanciers privilégiés sur les immeubles sont :

  • le vendeur, sur l’immeuble vendu, pour le payement du prix ;
  • s’il y a plusieurs ventes successives dont le prix soit dû en tout ou en partie, le premier vendeur est préféré au second, le deuxième au troisième, et ainsi de suite ;
  • ceux qui ont fourni les deniers pour l’acquisition d’un immeuble, pourvu qu’il soit authentiquement constaté, par l’acte d’emprunt, que la somme était destinée à cet emploi, et, par la quittance du vendeur, que ce payement a été fait des deniers empruntés ;
  • les cohéritiers, sur les immeubles de la succession, pour la garantie des partages faits entre eux, et des soultes ou retour de lots ;
  • les architectes, entrepreneurs, maçons et autres ouvriers employés pour édifier, reconstruire ou réparer des bâtiments, canaux, ou autres ouvrages quelconques, pourvu néanmoins que, par un expert nommé d’office par le tribunal de première instance dans le ressort duquel les bâtiments sont situés, il ait été dressé préalablement un procès-verbal, à l’effet de constater l’état des lieux relativement aux ouvrages que le propriétaire déclarera avoir dessein de faire, et que les ouvrages aient été, dans les six mois au plus tard de leur perfection, reçus par un expert également nommé d’office.

Mais le montant du privilège ne peut excéder les valeurs constatées par le second procès-verbal, et il se réduit à la plus-value existante à l’époque de l’aliénation de l’immeuble et résultant des travaux qui y ont été faits ;

ceux qui ont prêté les deniers pour payer ou rembourser les ouvriers, jouissant du même privilège, pourvu que cet emploi soit authentiquement constaté par l’acte d’emprunt et par la quittance des ouvriers, ainsi qu’il a été dit ci-dessus pour ceux qui ont prêté les deniers pour l’acquisition d’un immeuble.

 

SECTION 3 :

DES PRIVILEGES QUI S’ETENDENT SUR LES MEUBLES ET IMMEUBLES

ARTICLE 2104

Les privilèges qui s’étendent sur les meubles et les immeubles sont ceux énoncés en l’article 2101.

 

ARTICLE 2105

Lorsqu’à défaut de mobilier les privilégiés énoncés en l’article précédent se présentent pour être payés sur le prix d’un immeuble en concurrence avec les créanciers privilégiés sur l’immeu­ble, les payements se font dans l’ordre qui suit :

  • les frais de justice et autres énoncés en l’article 2101 ;
  • les créances désignées en l’article 2103.

 

SECTION 4 :

COMMENT SE CONSERVENT LES PRIVILEGES

ARTICLE 2106

Entre les créanciers, les privilèges ne produisent d’effet à l’égard des immeubles qu’autant qu’ils sont rendus publics par inscription sur les registres du conservateur des hypothèques, de la manière déterminée par la loi, et à compter de la date de cette inscription, sous les seules exceptions qui suivent.

 

ARTICLE 2107

Sont exceptées de la formalité de l’inscription les créances énoncées en l’article 2101.

 

ARTICLE 2108

Le vendeur privilégié conserve son privilège par la transcription du titre qui a transféré la propriété à l’acquéreur, et qui constate que la totalité ou partie du prix lui est due ; à l’effet de quoi la transcription du contrat faite par l’acquéreur vaudra inscription pour le vendeur et pour le prêteur qui lui aura fourni les deniers payés, et qui sera subrogé aux droits du vendeur par le même contrat : sera néanmoins le conservateur des hypothèques tenu, sous peine de tous dommages et intérêts envers les tiers, de faire d’office l’inscription sur un bordereau de même nature que ceux indiqués à l’article 2148 ci-après, des créances résultant de l’acte translatif de propriété, tant en faveur du vendeur qu’en faveur des prêteurs, qui pourront aussi faire faire, si elle ne l’a été, la transcription du contrat de vente, à l’effet d’acquérir l’inscription de ce qui leur est dû sur le prix.

 

ARTICLE 2109

Le cohéritier ou copartageant conserve son privilège sur les biens de chaque lot ou sur le bien licite, pour les soulte et retour de lots, ou pour le prix de la licitation, par l’inscription faite à sa diligence, dans soixante (60) jours, à dater de l’acte de partage ou de l’adjudication par licitation ; durant lequel temps aucune hypothèque ne peut avoir lieu sur le bien chargé de soulte ou adjugé par licitation, au préjudice du créancier de la soulte ou du prix.

 

ARTICLE 2110

Les architectes, entrepreneurs, maçons et autres ouvriers employés pour édifier, reconstruire ou réparer des bâtiments, canaux, ou autres ouvrages et ceux qui ont, pour les payer et rembourser, prêté les deniers dont l’emploi a été constaté, conservent, par la double inscription faite, 1° du procès-verbal qui constate l’état des lieux, 2° du procès-verbal de réception, leur privilège à la date de l’inscription du premier procès-verbal.

 

ARTICLE 2111

Les créanciers et légataires qui demandent la séparation du patrimoine du défunt, conformément à l’article 878, au titre Des succession, conservent à l’égard des créanciers des héritiers ou représentants du défunt, leur privilège sur les immeubles de la succession par les inscriptions faites sur chacun de ces biens, dans les six mois à compter de l’ouverture de la succession.

Avant l’expiration de ce délai, aucune hypothèque ne peut être établie avec effet sur ces biens par les héritiers ou représentants au préjudice de ces créanciers ou légataires.

 

ARTICLE 2112

Les cessionnaires de ces diverses créances privilégiées exercent tous les mêmes droits que les cédants, en leur lieu et place.

 

ARTICLE 2113

Toutes créances privilégiées soumises à la formalité de l’inscription, à l’égard desquelles les conditions ci-dessus prescrites pour conserver le privilège n’ont pas été accomplies, ne cessent pas néanmoins d’être hypothécaires ; mais l’hypothèque ne date, à l’égard des tiers, que de l’époque des inscriptions qui auront dû être faites ainsi qu’il sera ci-après expliqué.